Daniel Pittet: «La fragilité est ma force»

Fondateur du festival Prier Témoigner, qui s’apprête à vivre sa 30ème édition, Daniel Pittet revient sur les moments forts des éditions passées. La manifestation, qui doit beaucoup au parcours atypique et douloureux de son créateur, lui a aussi permis de sortir de sa terrible histoire d’abus.

Il a le tutoiement facile. Casquette vissée sur le crâne, une gouaille d’enfer, un regard bleu franc, Daniel Pittet range ses presque deux mètres sur la chaise en face de moi. Pour ses soixante ans, lance-t-il tout de go en remontant les manches de son pull, il s’est fait tatouer les avant-bras à l’encre noire. «Angels» à droit, un acrostiche composé des initiales du prénom de ses six enfants, et «Fragile» à gauche: «La fragilité est ma force, glisse-t-il, c’est l’adjectif qui me correspond le mieux».

Car de la force, il en a fallu à ce Fribourgeois, véritable électron libre au sein de l’Eglise catholique. Abusé dès 9 ans et durant quatre ans par un Père capucin, il aurait pu perdre la foi et se détourner de l’Eglise. Lui a choisi de pardonner. C’est ce qu’il raconte dans son livre paru en 2017. Or s’il n’avait pas pardonné, le festival Prier et Témoigner n’existerait tout simplement pas. 

Après le calvaire vécu auprès du religieux pédophile, Daniel Pittet passera quatre ans comme novice au monastère d’Einsiedeln. Mais son corps parle: une méningite foudroyante lui fait comprendre qu’il n’est pas fait pour être moine. «J’étais dépressif et je n’arrivais plus à me relever», se souvient-il. 

«C’est sous le porche de cette église que j’ai décidé de garder la foi. Sinon, je me serais suicidé.»

De retour à Fribourg, le cardinal Journet suggère au servant de messe, qu’il est devenu, d’aller à Notre-Dame de Bourguillon. «Si tu souffres, vas là-bas», m’a-t-il conseillé. Dans ce sanctuaire surplombant la ville de Fribourg, Daniel Pittet pleure huit fois sa souffrance. La neuvième, il voit une jeune fille pleurer. «J’ai dit à la Vierge de s’occuper d’elle. C’est sous le porche de cette église que j’ai décidé de garder la foi. Sinon, je me serais suicidé. L’Eglise, c’est donc ma vie».

Un nouveau départ

Daniel Pittet est parvenu à rajeunir le public | © Fonds CIRIC/J.C. Gadmer/BCU Fribourg

Puis, les choses s’enchaînent. Après avoir tenu à bout de bras durant vingt ans l’Apostolat de la Prière, un mouvement qui propose une réunion annuelle à ses membres, Louis Schenker voit débarquer Daniel Pittet et en fait son nouveau président. Le nouvel arrivé va transformer cette rencontre annuelle, rajeunir son comité comme son public-cible et rebaptiser la manifestation: «En 1989, j’explique que ce qu’il faut, c’est prier. Le Père Marie-Joseph Huguenin estime, lui, qu’il faut aussi témoigner. Le titre de la manifestation vient de là.»

Pour lancer son festival, il invite tous les mouvements de la CRAL, la Communauté Romande de l’Apostolat des Laïcs. «Je n’en avais rien à faire de toutes les divergences internes à l’Eglise, sourit-il. Je voulais que le festival s’adresse à tout le monde.» Pour les fédérer, le jeune président leur propose de se présenter avec un stand: «Les trois étages de l’aula de l’Université de Fribourg étaient pleins et pour Mgr Daucourt, un évêque français, c’était la première fois, m’a-t-il dit, qu’il voyait ces différents mouvements réunis. Et surtout, il y avait désormais des jeunes!», lance-t-il dans un sourire.

Posé devant lui sur la table, le verre d’eau qu’entourent ses mains paraît lilliputien. Les yeux dans le vague, il semble replongé dans le passé. «L’un de mes souvenirs les plus marquants remonte à 1993, commence-t-il. À l’époque, j’allais très mal … je venais de découvrir qu’un autre enfant avait été abusé par le même homme d’Eglise que moi». Un silence passe…

Son témoignage est énorme

«Cette année-là, poursuit-il avec aplomb, l’invité de l’édition était Jean Vanier, le fondateur de la communauté de l’Arche et du mouvement Foi et Lumière pour les enfants handicapés mentaux. Il arrive, il me voit, il m’embrasse et croyez-le ou non, mes angoisses disparaissent!

Invité en 1993, Jean Vanier a marqué Daniel Pittet | © Fonds CIRIC/J.C. Gadmer/BCU Fribourg

Décédé en mai 2019, l’humanité de Jean Vanier et sa proximité avec les pauvres et les handicapés a durablement marqué Daniel Pittet. «Il disait que les handicapés étaient ses maîtres. Son témoignage est énorme.»  C’est suite à cette rencontre qu’il décidera avec son épouse d’adopter une enfant handicapée. C’est leur sixième enfant, le «A» pour Anne-Léa, tatoué sur son avant-bras…

Autre moment fort dans le rétroviseur de Daniel Pittet, la venue de Guy Gilbert, en 1994: «Le curé des loubards avait attiré une foule de gens en marge de tout, s’amuse-t-il, des drogués et des cabossés de la vie. Durant son intervention, il était interrompu toutes les deux minutes, mais quelle patience! Il répondait à chacun et poursuivait sans dévier de sa ligne», raconte-t-il, visiblement admiratif.

Les reliques de sainte Thérèse de Lisieux

Mais le véritable point d’orgue, c’est le coup de maître qu’il réalise en 1997: faire venir à Fribourg les reliques de sainte Thérèse de Lisieux! Des reliques bloquées à la douane de Bardonnex à Genève et qui ont failli ne jamais arriver: «Le douanier voulait absolument savoir la valeur de ces reliques et refusait de nous laisser passer, explique-t-il sur un ton jubilatoire. J’ai donc téléphoné à la Télévision Suisse Romande et une équipe a débarqué. C’est là que le chef douanier a téléphoné à Berne et il a finalement laissé passer le convoi.» Ah! … La procession des reliques en ville de Fribourg … Les yeux brillants, son évocation enthousiaste: «C’était l’un des plus beaux moments de ma vie».

La procession des reliques de la «petite Thérèse» en ville de Fribourg, lors de l’édition 1997, reste un moment inoubliable pour Daniel Pittet | © Fonds CIRIC/J.C. Gadmer/BCU Fribourg

Daniel Pittet a présidé la manifestation de 1990 à 1998. Depuis ses débuts, il l’a aussi vue évoluer. «Heureusement, la structure s’est partiellement professionnalisée et bénéficie aujourd’hui d’un secrétariat et de personnes qui y travaillent à l’année, car c’était beaucoup de stress.» Claude Schenker, le fils de Louis Schenker, a repris depuis la direction du festival, mais après vingt ans, cette 30ème édition sera aussi la dernière. «Je ne sais pas qui reprendra le flambeau. Peut-être mon fils Ludovic, qui sait?»

À son tour de témoigner

Cette année, c’est lui qui sera sous les feux de la rampe, invité à témoigner: «J’aimerais parler de mon parcours de vie et mettre l’accent sur la mission, car l’Eglise, c’est nous tous, c’est moi aussi. Vous savez, personne ne m’a jamais cru jusqu’à ce que mon violeur avoue lui-même les faits. Prier Témoigner m’a aussi permis de sortir de cette terrible histoire». (cath.ch/cp)

Première journée pour les victimes, 51 ans après les faits.

Le samedi 23 novembre, le diocèse de Lausanne Fribourg et Genève organise la première journée de la mémoire des victimes d’abus sexuels dans l’Eglise. Pour Daniel Pittet, elle intervient 51 ans (!) après les faits: «Mieux vaut tard que jamais, lâche-t-il, un brin désabusé. Mais s’il n’y avait pas eu Mgr Morerod, l’évêque du diocèse, il n’y aurait rien eu du tout.»

Membre de la SAPEC, le groupe de soutien aux personnes abusées dans une relation d’autorité religieuse, il participera aux groupes de parole organisés dans ce cadre. «Depuis que j’ai fait connaître mon histoire, j’ai vu des centaines de victimes d’abus. La plupart d’entre elles ont aujourd’hui plus de soixante ans. Moi, c’est les non-dits qui ont failli me tuer. Alors c’est malgré tout une initiative positive de la part de l’Eglise».

Carole Pirker

Portail catholique suisse

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