La fuite en avant de la consommation

Les mois de novembre et décembre ont atteint des sommets en matière d’incitation à la consommation. Pas une chaîne de magasins qui n’ait créé un calendrier de l’Avent uniquement destiné à des promotions.

De multiples actions ont visé à vider avant l’heure les stocks de produits de Noël. Enfin, il y a eu le «Black Friday» dont le seul but est d’accroître les chiffres d’affaires pour les comptes de fin d’année. Toutes ces initiatives pour faire gonfler les achats des consommateurs se heurtent à deux limites. D’une part, il y a bien sûr le pouvoir d’achat qui n’est pas extensible. D’autre part, il y a ce mouvement de fond qui traverse notre société. Nous comprenons de plus en plus qu’il faut ménager les ressources de la planète et réduire notre empreinte carbone.

Trois signes à ce niveau ne trompent pas. Il y eut d’abord, ce printemps et au début de l’automne, les manifestations d’une partie de la jeunesse pour le climat. Il y eut ensuite les élections fédérales qui ont substantiellement modifié la composition du Parlement. Il y a enfin la mise en place de circuits de distribution courts entre producteurs et consommateurs, l’augmentation de l’achat de produits bio plus respectueux de la nature et les difficultés des grandes chaînes qui voient leur chiffre d’affaires stagner ou légèrement baisser.

«Nous sommes arrivés à un plafond en termes de surconsommation»

Est-ce la fin de l’âge d’or du marketing qui s’appuie sur les ressorts de la psychologie humaine pour vendre davantage de biens et de services marchands? L’observation conduit à dire que nous sommes arrivés à un plafond en termes de surconsommation. La terre n’en peut plus de ce fonctionnement qui l’épuise et il y a une grande hypocrisie à prôner d’une main la protection du climat et de la biodiversité, et de l’autre à faire des campagnes effrénées pour inciter à consommer.

Pour mieux comprendre les stratégies des grands groupes marchands, il est utile de bien distinguer deux types de besoins: les besoins essentiels qui sont absolus et les besoins relatifs. Les premiers – respirer, manger, boire, se vêtir, se loger, se soigner, s’éduquer- sont basiques et vrais pour toutes les personnes. C’est la raison pour laquelle on les appelle «absolus». Les seconds- s’estimer et être estimé, aimer et être aimé, communiquer – sont relatifs car liés à notre relation aux autres et au besoin que nous avons de nous comparer. Le marché, qui s’est le plus souvent emparé des premiers, ne cesse de pénétrer le domaine des seconds, car ceux-ci sont toujours croissants dans un monde individualiste. Pour s’en convaincre, il suffit de constater le succès des téléphones portables, de Google et de Facebook.

«Cette volonté de substituer l’avoir à l’être conduit à une impasse»

On ne peut établir une préférence entre ces deux types de besoins. Ils sont également respectables. Mais le propre des marchés est de toujours vouloir les satisfaire par la consommation ou la détention d’objets, par le développement de l’avoir et non de l’être. Ce qui se passe à Noël est significatif, comme l’a très bien décrit Claude Ducarroz dans sa dernière chronique. Il s’agit de substituer des objets à un évènement bouleversant et à un message d’amour. La nativité qui nous relie au Christ est escamotée au profit des lumières, des sapins et des marchés de Noël.

Cette volonté de substituer l’avoir à l’être conduit à une impasse. Elle vide de sens la vie. Elle mène à une consommation exacerbée, à l’épuisement des ressources et à des montagnes de déchets. La vérité est dans la sobriété heureuse comme l’écrit le pape François dans Laudato si’. Beaucoup de personnes l’ont compris, comme le montrent les mouvements décrits plus hauts. Cette prise de conscience va s’accentuer sous le poids de la nécessité. Le temps de la surconsommation vit sa dernière décennie. Nous devrons passer à une consommation raisonnée et raisonnable.

La génération des Trente glorieuses, dont je fais partie, a découvert les premiers hypermarchés dans les années 1970, où tout ce qui était nécessaire à la vie d’une famille était ordonné de façon à inciter aux achats. Ces hypermarchés sont aujourd’hui en difficulté et cherchent à se renouveler en proposant de nouveaux services comme des cinémas et des lieux de rencontre (cafés, restaurants) ou de sport. Cette recherche sera vaine si elle ne s’inscrit pas dans l’air du temps et ne propose pas une consommation respectueuse de notre terre.

Jean-Jacques Friboulet

11 décembre 2019

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