Le pape François n'est pas un progressiste! (ni un conservateur)

Le pape François est-il de tendance «progressiste» ou «conservatrice»? Ni l’une ni l’autre, ou un peu des deux, répond le journaliste jésuite américain James T. Keane, pour lequel les étiquettes politiques ne collent pas à la réalité du catholicisme.

«Comme la plupart de ses prédécesseurs (et beaucoup de ses frères évêques), le pape François ne se situe nulle part de manière cohérente sur les axes de la politique», notamment américaine, affirme James T. Keane.

Le journaliste de la revue jésuite America rappel qu’aux Etats-Unis, le débat sur les relations entre la politique et l’Eglise a rebondi suite à la publication par la Conférence épiscopale, fin juin 2021, d’un document questionnant la légitimité de recevoir la communion pour des politiciens défendant des causes «non-catholiques», telles que le droit à l’avortement, ou le suicide assisté.

A cette occasion, les médias n’ont pas hésité à accoler aux divers acteurs de cette polémique, dont le pape François, les étiquettes traditionnelles de la politique américaine, principalement celles de «progressiste» (liberal) et «conservateur» (conservative). Pour James T. Keane, c’est un procédé qui permet avant tout «d’économiser de l’espace et de l’énergie intellectuelle».

Un traditionaliste un brin autocrate?

Il donne l’exemple du New York Times du 20 juin, qui commençait par cette phrase: «Le pape François et le président Biden, tous deux progressistes, sont les deux catholiques romains les plus en vue dans le monde.»

«Ceux qui qualifieraient le pape François de ‘progressiste’ pourraient noter qu’il est farouchement opposé à l’avortement»

«Je soupçonne que le pape François et Joe Biden seraient amusés par cette association (et Lady Gaga pourrait ergoter sur l’expression ‘les plus en vue’)», relève le journaliste. Beaucoup estiment en effet que Joe Biden a remporté l’investiture démocrate en se positionnant comme le candidat centriste. Le pape François, de son côté, a été considéré pendant une grande partie de sa vie par de nombreux membres de son propre ordre religieux, la Compagnie de Jésus, comme un traditionaliste (qui plus est un brin autocrate).

Bien sûr, dire que le pape François n’est ni progressiste ni conservateur ne veut pas dire qu’il n’existe pas de progressistes ou de conservateurs dans l’Église, précise James T. Keane. Pour lui, il serait plus exact de dire que «tout catholique qui tente de vivre sa foi de manière authentique et en accord avec les enseignements de l’Église ne va pas se fondre facilement dans les catégories politiques».

Contre l’avortement et la théorie du genre

Ceux qui qualifieraient le pape François de «progressiste» pourraient ainsi noter qu’il est farouchement opposé à l’avortement, qu’il qualifie d’injustice tragique et de capitulation devant une «culture du déchet» dans laquelle les enfants à naître sont considérés comme «inutiles».

Il a également critiqué la théorie du genre et la chirurgie de réassignation sexuelle, critiquant toute idéologie qui efface les distinctions entre hommes et femmes ou qui promeut la croyance que «l’identité humaine devient le choix de l’individu, qui peut aussi changer avec le temps».

«Il a entamé une rupture avec ses prédécesseurs en révisant l’enseignement de l’Eglise sur la peine capitale»

Le pontife argentin a réaffirmé l’enseignement du pape Jean Paul II selon lequel l’Église n’a pas l’autorité d’ordonner des femmes, et il a maintenu dans ses encycliques que les hommes et les femmes ont des rôles et des caractéristiques distincts. Au fil des ans, il a suscité des froncements de sourcils en faisant d’une part l’éloge du «génie féminin», mais en qualifiant les femmes de la Commission théologique internationale de «fraises sur le gâteau».

Sous son pontificat, la Congrégation pour la doctrine de la foi a en outre décrété que les prêtres ne pouvaient pas bénir les couples de même sexe.

«Qui suis-je pour juger?»

Dans le même temps, le pape François a critiqué sans relâche le capitalisme contemporain, relève James T. Keane. Il est en outre l’un des défenseurs de l’environnement les plus en vue au monde. Sur la question des homosexuels, sa formule «Qui suis-je pour juger?» est devenue «culte».

Il a en outre vivement critiqué Donald Trump pour son projet de mur frontalier, qualifiant les politiques d’immigration de l’ancien président de «cruelles.»

«Benoît XVI est aussi un fervent défenseur de l’environnement»

Il a entamé une rupture avec ses prédécesseurs en révisant l’enseignement de l’Eglise sur la peine capitale, rappelant qu’elle est «une attaque inadmissible contre l’inviolabilité et la dignité de la personne.»

Le 226e pape a de plus clairement indiqué qu’il soutenait les soins de santé universels. Il a ouvert la porte à une accession des femmes au diaconat. Au début de son pontificat, il a déclaré que les catholiques ne pouvaient pas «insister uniquement sur les questions liées à l’avortement, au mariage gay et à l’utilisation de méthodes contraceptives.»

Benoît XVI «conservateur»?

Des positionnements qui pourraient donc difficilement entrer dans une catégorie politique précise. Le journaliste jésuite note que, dans le même ordre d’idées, on pourrait mettre en question l’étiquette de «conservateur» posée sur Benoît XVI. Il rappelle notamment que le pontife émérite est aussi un fervent défenseur de l’environnement.

«L’Église catholique n’est pas une démocratie et elle ne ressemble à aucun autre système gouvernemental»

Joseph Ratzinger a en outre une vision non absolutiste du pouvoir papal qui le rapproche des théologiens «progressistes». Il a ainsi écrit en 1968 «qu’au dessus du pape en tant qu’expression de la prétention contraignante de l’autorité ecclésiastique, il y a toujours la propre conscience de chacun».

L’Eglise catholique, un système gouvernemental à part

Mais, pour les deux pontifes en vie, comme pour de nombreux autres évêques, il n’y a là aucune contradiction, estime James T. Keane. Ce qui s’explique «en partie par le fait que l’Église catholique n’est pas une démocratie et qu’elle ne ressemble à aucun système gouvernemental autre qu’une monarchie. L’Église fonctionne dans un cadre juridique, éthique et théologique qui existe plus ou moins dans son état actuel depuis 17 siècles. Les questions d’importance politique ont tendance à être interprétées par les dirigeants de l’Église à travers un prisme différent».

Le pape François peut prendre grand soin d’écouter les opinions des catholiques de tous horizons, mais ceux-ci ne vont pas le réélire et ne vont pas bloquer ses propositions législatives. Il en va de même pour les non-catholiques avec lesquels il interagit au niveau de la diplomatie d’État. Son discernement – et celui de l’Église dans son ensemble – peut s’inscrire dans une «vision à long terme» au lieu de se concentrer sur les ramifications politiques immédiates. Il ne répond en somme «qu’à une autorité supérieure». (cath.ch/america/rz)

Raphaël Zbinden

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