L’accord Chine-Vatican, arnaque ou progrès?

L’accord conclu entre la Chine et le Vatican aura trois ans en octobre 2021. Le journaliste américain Ed Condon commente les derniers développements de ce processus diplomatique controversé. Qu’a donc gagné l’Eglise dans l’aventure?

«Le pape François a-t-il renoncé à obtenir quelque chose de l’accord avec la Chine?» se demande Ed Condon, dans un article d’analyse paru le 1er septembre 2021 dans le média catholique américain The Pillar.

Entré en vigueur le 22 octobre 2018 et reconduit le 22 octobre 2020, l’accord entre les deux Etats avait suscité en même temps enthousiasme et scepticisme. Le document mettait fin à près de 70 ans de différend autour de la nomination des évêques. Les catholiques de Chine sont tiraillés de longue date entre une Eglise «souterraine», illégale aux yeux de Pékin et traditionnellement fidèle au pape et une Eglise «patriotique», inféodée au régime communiste.

Peu d’évêques nommés

En octobre 2018, le pape François avait reconnu huit évêques initialement nommés par Pékin sans son approbation. Inversement, au moins deux anciens évêques de l’Eglise clandestine ont été reconnus par Pékin.

Mais ce qui semblait être un début prometteur a peu à peu marqué le pas. À ce jour, seuls cinq évêques ont été consacrés pour des diocèses chinois selon les termes de l’accord. Et l’un d’entre eux, Mgr Thomas Chen Tianhao, a été, du moins selon certains proches de la Secrétairerie d’État, consacré avant même que le Vatican ne soit au courant.

Entre-temps, peu avant le renouvellement de l’accord en octobre dernier, Mgr Guo Xijin, autrefois clandestin, a démissionné de son rôle d’évêque auxiliaire de Mingdong, déclarant qu’il ne pouvait pas, en conscience, adhérer à l’Église affiliée à l’État, mais qu’il ne voulait pas devenir un «obstacle au progrès», en gênant le processus diplomatique. 

La priorité au dialogue

Dans une interview diffusée le 1er septembre 2021 sur la radio espagnole Cope, le  pape François a commenté «avec une franchise inhabituelle» les relations du Vatican avec la Chine, note Ed Condon. Le pontife a défendu les efforts diplomatiques de l’Église avec le régime communiste, tout en reconnaissant que les résultats en étaient «discutables». 

Pour le journaliste de The Pillar, les remarques du pape laissent penser que l’Église est désormais engagée dans le «dialogue» pour son propre intérêt et qu’elle a renoncé à tout espoir de progrès réel.

«On peut être trompé dans le dialogue, on peut faire des erreurs, tout cela… mais c’est le chemin. La fermeture d’esprit n’est jamais le chemin», a déclaré le pape sur la radio espagnole.

«La Chine n’est pas facile, mais je suis convaincu que nous ne devons pas abandonner le dialogue», ajoutait-il. Le pape a également reconnu les critiques formulées à l’encontre de l’accord, estimant que cette critique pouvait être légitime «si elle était faite avec bonne volonté».

Les sceptiques écartés?

«Malgré cette apparente ouverture à d’autres opinions, beaucoup au sein du Vatican disent qu’il y a en fait peu, voire aucune, tolérance pour les désaccords sur la politique chinoise du Vatican», affirme toutefois Ed Condon.

Le cardinal Joseph Zen, évêque émérite de Hong Kong et critique virulent de l’accord, n’a pas pu obtenir une audience avec François lors de ses voyages à Rome ces dernières années, assure le journaliste. Des responsables clés connus pour être discrètement opposés à l’accord diplomatique auraient également été écartés des postes d’autorité.

En 2017, l’archevêque Savio Hon Tai-Fai, le seul haut fonctionnaire d’origine chinoise de la curie, a été rétrogradé de son poste de secrétaire de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples et réaffecté comme ambassadeur du Saint-Siège en Grèce. 

Le pape François a une grande sollicitude pour les catholiques de Chine | © La Civiltà Cattolica

Mgr Hon était largement connu à Rome pour être un «sceptique». Il a notamment parlé de la façon dont «les communautés clandestines se sont senties abandonnées par le Saint-Siège».

En 2019, l’ancien patron de Mgr Hon, le cardinal Fernando Filoni, a également été rétrogradé de son poste de préfet de la congrégation et réaffecté comme grand maître de l’ordre du Saint-Sépulcre. Le cardinal, un expert de l’Église en Chine, a vécu des années à Hong Kong, où il a servi d’émissaire de Jean Paul II auprès des évêques du continent, aussi bien les «clandestins» que ceux affiliés à l’Association patriotique des catholiques chinois. 

Sa réaffectation a été largement attribuée, au sein de la curie, à l’influence du cardinal Pietro Parolin, l’architecte de l’accord entre le Vatican et la Chine. Bien que le cardinal Filoni l’ait publiquement soutenu, il avait, selon plusieurs sources proches de la congrégation, exprimé au pape des réserves à propos du Secrétaire d’Etat du Saint-Siège. 

Quels progrès?

Le fait est que les relations entre la Chine et le Vatican sont fortement marquées du sceau du secret. Les termes exacts de l’accord ne sont pas connus et le contenu des pourparlers ne filtre pas. Dans ce contexte, il est difficile de voir quels progrès ont pu être accomplis.

Le pape a pourtant parlé, le 1er septembre, des résultats «concrets» du dialogue, notamment sur la nomination d’évêques. Il a cependant, dans la foulée, reconnu que «ce sont aussi des développements, ainsi que les résultats d’un côté et de l’autre, qui peuvent être sujets à caution».

Les critiques se sont concentrées ces derniers mois sur le «silence» du pape quant au génocide bien documenté contre la population ouïghoure dans la province du Xinjiang. Même si le pontife a évoqué la persécution de la minorité musulmane en novembre 2020, certains trouvent que le pape devrait se montrer plus ferme sur la question.

Face à cela, la Secrétairerie d’État a souligné que les préoccupations humanitaires et de liberté religieuse étaient fréquemment soulevées lors de conversations à huis clos avec les responsables chinois. L’organe diplomatique du Vatican a assuré que des progrès étaient effectivement réalisés, mais loin des projecteurs.

Le défi de Hong Kong

Des affirmations fragilisées par des déclarations de Mgr Paul Richard Gallagher au début de l’été. Le secrétaire pour les relations avec les États de la secrétairerie d’État a en effet déclaré aux journalistes que le Vatican «ne percevait pas» qu’il pouvait «apporter une contribution positive» à la situation à Hong Kong, où plusieurs catholiques éminents ont été arrêtés pour avoir défendu la démocratie et la liberté d’expression. «On peut dire beaucoup de mots bien sentis qui seraient appréciés par la presse internationale et par de nombreux pays du monde», a soutenu l’archevêque. «Mais je ne suis pas encore convaincu – comme beaucoup de mes collègues – que cela ferait une quelconque différence» pour la Chine.

Pour Ed Condon, il semble donc juste de se demander ce que Rome a gagné dans sa diplomatie chinoise et ce qu’elle espère obtenir à l’avenir. La version actuelle de l’accord entre le Vatican et la Chine est valable jusqu’en 2022. «Comme il est de plus en plus clair que le pape n’attend ni la bonne foi dans les pourparlers diplomatiques ni des résultats concrets sur le terrain, il est paradoxalement difficile d’imaginer qu’il [l’accord] ne soit pas prolongé, ou qu’il soit un jour considéré comme un succès». (cath.ch/thepillar/ec/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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