Mgr Felix Gmür: «L'Eglise est le parti de ceux que personne ne défend»

En 2020, les bannières fixées aux clochers des églises en faveur du oui à l’initiative pour des multinationales responsables avaient suscité le mécontentement des politiciens bourgeois. Comment les Eglises doivent-elles s’impliquer dans la politique ? La question a été au centre des débats du Forum politique Berne, réuni le 2 décembre 2021. Les dirigeants des Églises nationales en ont discuté avec leurs détracteurs.

Ueli Abt, kath.ch/ traduction et adaptation Maurice Page

Dans quelle mesure les Églises peuvent-elle être ›politiques’? Durant les semaines qui ont précédé et suivi la votation sur la responsabilité des multinationales, une vive polémique a éclaté à ce sujet – recours juridiques inclus.

Lors d’une table ronde organisée dans le cadre du Forum politique de Berne, les interventions ont été parfois très vives.

«Je n’ai de compte à rendre à aucun conseiller fédéral ni à aucun parlementaire. Je peux dire ce que je veux».

Mgr Felix Gmür

Le président de la Conférence des évêques suisses, Mgr Felix Gmür, a d’abord dû dissiper une erreur courante: les règles du jeu de la reconnaissance de droit public s’appliquent aussi à lui en tant qu’évêque. «L’évêque de Bâle n’est pas reconnu par le droit public. Aucune paroisse de notre diocèse n’est reconnue de droit public. Je n’ai de comptes à rendre à aucun conseiller fédéral ni à aucun parlementaire. Je peux dire ce que je veux».

«Je suis un peu choquée»

Elisabeth Schneider-Schneiter, membre du comité directeur d'»Economiesuisse» et conseillère nationale (BL, Le Centre) a jugé »inouï» que l’évêque Felix Gmür qualifie d’affirmation gratuite le fait que l’Eglise ait mené une campagne en faveur de l’initiative. «Je suis un peu choquée. Vous avez fait campagne», a déclaré Schneiter. Ce à quoi Mgr Gmür n’a pas manqué de répondre: »C’est un peu culotté de me reprocher d’avoir fait campagne».

Ancien enfant de chœur, aujourd’hui jeune libéral-radical

Mme Schneider-Schneiter est même revenue sur le «missionnarisme». L’Eglise impose au monde entier ses valeurs comme étant les seules à faire le bonheur. On a l’impression d’être un mauvais chrétien si l’on est d’un autre avis.

Aux côtés de la conseillère nationale du Centre, Matthias Müller, président des jeunes libéraux-radicaux suisses, a également critiqué les Églises. C’est lui qui avait porté en justice le recours contre certaines paroisses.

«Si l’Eglise veut continuer à s’immiscer de la sorte, qu’elle collecte elle-même ses fonds à l’avenir».

Matthias Müller, président des jeunes libéraux-radicaux suisses

Il a une bonne opinion de l’Eglise, ayant lui-même servi pendant des années comme enfant de chœur. Mais l’Eglise a, selon lui, «exagéré» en s’engageant dans la campagne pour l’Initiative pour les multinationales responsables. Lui aussi a eu l’impression que seul celui qui approuvait l’initiative était un bon chrétien. Ce à quoi l’évêque Felix Gmür a répondu n’avoir jamais prétendu cela. «C’est le comité d’éthique, qui a combattu l’Initiative, qui l’a affirmé.»

Au nom des jeunes libéraux-radicaux, M. Müller a exigé la séparation complète de l’État et de l’Eglise. «Si l’Eglise veut continuer à s’immiscer de la sorte, elle doit à l’avenir collecter elle-même ses fonds». Si les Églises veulent être aussi actives comme partis politiques, elle doivent se financer elles-mêmes en conséquence.

Les participants ecclésiastiques à la table ronde ont rejeté la critique selon laquelle les Églises auraient investi beaucoup d’argent pour l’initiative. Ni l’EERS, ni la Conférence centrale (RKZ) ni les diocèses n’ont payé quoi que ce soit pour la campagne «L’Eglise pour des multinationales responsables». La décision d’accrocher une bannière au clocher ou sur une façade a été prise localement par les paroisses.

Repentance de l’Eglise réformée

La présidente de l’Eglise évangélique réformée de Suisse, (EERS) Rita Famos, a d’abord reconnu que l’engagement parfois virulent d’acteurs ecclésiastiques avait été mal compris par certains. «On s’est senti moralement condamné. Les bannières sur les clochers des Églises étaient sans doute un pas de trop, le pavoisement de locaux ecclésiastiques n’était pas une bonne décision sur le plan méthodologique».

Des communautés d’Eglise en Suisse ont clairement soutenu l’initiative «pour des multinationales responsables» | © DR

Et ce notamment parce que les drapeaux ont rappelé à certains le nazisme. Elle ignore comment l’opinion s’est formée dans les paroisses. «Si quelqu’un trouve qu’un côté a été négligé, les choses dépendaient des couleurs locales». Pour Rita Famos néanmoins »l’Eglise n’est pas apolitique».

«L’initiative n’était pas une affaire de politique quotidienne»

Du côté catholique, la présidente de la Conférence centrale (RKZ) Renata Asal-Steger a abordé la question de savoir si les Églises devaient s’immiscer dans les affaires politiques quotidiennes. «L’initiative n’était pas une affaire politique quotidienne. L’Eglise s’en mêle lorsqu’il s’agit de questions sociales et écologiques. Il est justifié que l’Eglise intervienne sur la responsabilité des entreprises». C’est même sa mission qu’elle s’exprime à ce sujet. On peut certes discuter de la question de savoir si elle l’a fait trop violemment dans ce cas.

Parfois, il est judicieux que l’Eglise dise quelque chose, parfois non, a noté Mgr Gmür. Mais dans ce cas, il s’agissait de justice et d’une possible contribution de la Suisse. Il rejoint sur ce point le grand théologien suisse Karl Barth: «L’Eglise n’est pas un parti. Mais elle est un parti pour ceux que personne ne défend. Sinon, elle ne remplit pas sa mission».

En chaire, le pasteur a un autre impact

Malgré des échanges animés, les deux parties se sont rapprochées au cours de la discussion. La présidente de l’EERS, Mme Famos, a par exemple reconnu que «lorsqu’un pasteur parle en chaire, l’effet est différent de celui qu’il produit dans un forum de discussion. Nous devons en être conscients. Nous devons réfléchir à la manière de le gérer.»

La table ronde a également abordé les résultats d’une analyse Vox. Celle-ci avait révélé que, du côté réformé, la part des partisans de l’initiative était particulièrement élevée chez les personnes se rendant régulièrement à l’église. Les catholiques de leur côté ont majoritairement rejeté le projet, qu’ils assistent souvent ou rarement aux offices religieux.

«Le peuple de l’Eglise catholique est assez résistant. Apparemment, il n’a pas été réprimé».

Mgr Felix Gmür

Obligation de se conformer uniquement à la conscience

Renata Asal-Steger a donc également contesté l’opinion selon laquelle les paroissiens peuvent être manipulés: «Je suis tenue par ma conscience, la manière dont je vote relève de ma liberté personnelle». «Le peuple de l’Eglise catholique est assez résistant. Apparemment, il n’a pas été réprimé», a renchéri Mgr Gmür.

Sur ce point, Mme Schneider-Schneiter, qui s’est déclarée protestante et fervente chrétienne, a adopté un ton conciliant. Elle a parfois peur «que nous perdions notre identité chrétienne.Nous devons prendre soin de ces valeurs». (cath.ch/kath.ch/ua/mp)

Rédaction

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