APIC – Reportage
«Mon église n’est pas un musée» (271293)
Maurice Page, Agence APIC
Fribourg, 27décembre(APIC) «Ite missa est» «Deo gratias», la vingtaine de
fidèles qui assistaient à la messe de 9 h quittent un à un la basilique de
Notre-Dame. Léon éteint les cierges et retire l’aube qu’il avait revêtu
pour servir la messe. A 34 ans, il a déjà une belle carrière… derrière
lui. Depuis 17 ans, il est sacristain de la plus ancienne église de Fribourg. Un métier, une vocation, au service des gens et d’un monument.
La flamme vacillante de quelques cierges aux pieds d’un Sacré-Coeur en
plâtre revêtu d’un manteau rouge projette sa faible lueur dans la haute nef
sombre. Les élégants stucs Louis XVI sont envahis par la poussière. L’édifice à moitié colonisé par les échafaudages, a besoin d’une sérieuse rénovation. Depuis presque 800 ans, les «bricolages», toujours faute d’argent,
ont été trop nombreux, constate Léon.
«A l’âge de neuf ans j’accompagnais quelquefois ma grand-mère qui venait
à la messe à Notre-Dame. Comme elle connaissait le sacristain, ce dernier
nous invita, mon frère et moi, à venir servir la messe. C’était juste avant
la réforme liturgique. Tout se passait encore en latin et les servants devaient faire au prêtre de longues réponses dans cette langue. Cela ne m’a
pas plu du tout et je n’ai pas voulu continuer».
Mécontentement de courte durée, quelques mois plus tard, après le passage du concile Vatican II et de l’introduction de la messe de ’Paul VI’,
Léon accepte de revenir. «Tout était devenu beaucoup plus simple.» Il rend
service à la sacristie, et devient en 1976 sacristain à mi-temps puis à
plein-temps dès 1984. Entretemps Léon fait tout de même un apprentissage de
laborant en photo. Benedickt Rast, photographe qui fit connaître très loin
le Fribourg pittoresque, fut son maître.
L’allure énergique, pull et jeans, cheveux courts et moustache, Léon affirme bien haut que le métier de sacristain n’est pas un métier pour les
vieux ni pour les bigots. Fervent supporter de Fribourg Gottéron, il ne dédaigne pas, à l’instar de l’évêque du lieu, participer aussi à la grandmesse du hockey-sur-glace.
Mais prendre part chaque jour à une messe «dite sans interruption depuis
1650″ a pour lui une autre valeur. Bien au-delà de la querrelle du latin à
travers laquelle certains ont cru pouvoir qualifier la basilique Notre-Dame
de succursale d’Ecône. «Rien de plus faux. Même si la messe est encore régulièrement célébrée en latin, les recteurs successifs ont tous obéi aux
enseignements du pape et du Concile Vatican II. Mgr Späni, le recteur actuel, a même refusé de dire la messe de Saint Pie V selon l’ancien rite,
afin d’éviter toute confusion.»
Dans cette église qu’il s’est peu à peu «approprié», Léon s’occupe non
seulement des messes, de la décoration florale et du nettoyage. Il y ajoute
l’animation liturgique, la distribution de la communion, la responsabilité
des servants de messe. «J’aime le contact avec les gens» dit-il. «De
nombreuses personnes viennent me parler. Elles aiment Notre-Dame, me
disent-elles, car on sent que dans cette église on prie encore, ce n’est
pas un musée, ni un lieu mort.»
Chaque jour, Léon anime en français «en essayant de varier et de changer
un peu les formules» la récitation du chapelet à laquelle une quinzaine de
personnes assistent. Une fois par mois a lieu une nuit de prière, on y
dénombre régulièrement cinquante participants «parfois de Zurich ou de Vallorbe». «Les lys blancs qui fleurissent la statue de saint Joseph m’ont été
apportés par un fidèle».
A la sacristie, la table en bakélite rouge et les chaises de cuisine
jettent une note incongrue dans un lieu rempli de trésors cachés dans des
buffets renaissance. Non sans avoir oublier de déclencher l’alarme, Léon
sort du coffre, un ostensoir fait de fines guirlandes de métal doré et argenté sur lesquelles se détachent de petites figurines dorées hautes d’un
pouce à peine. Une des pièces maîtresses du patrimoine de la basilique, datée de 1650. «Je fais un tournus afin d’utiliser régulièrement tous les objets. Ils doivent servir, ils n’ont été ni fabriqués, ni offerts pour être
des objets de musée.» Chacun porte avec lui une parcelle de cette tradition
et de cette foi dont Léon se veut un peu le gardien.
Une beauté que les responsables de la rénovation voudraient faire partager à travers une exposition permanente ouverte au public «en récupérant de
la place sur la chaufferie». Quand? «Quand nous aurons trouvé l’argent.»
Notre-Dame n’est pas une paroisse. La fondation qui la régit ne dispose que
de peu de fonds propres. Léon réalise des photographies d’inventaire, participe aux séances de chantier avec les architectes ou les responsables des
monuments historiques, fait les envois pour les récoltes de fonds.
Dire que «les gens croient qu’un sacristain n’est là que pour allumer et
éteindre les bougies.» (apic/mp)
Encadré
Une Eglise plusieurs fois sauvée de la pioche des démolisseurs
A la porte de la sacristie, le chapiteau d’une colonne romane à demi murée
rappelle que Notre-Dame est la plus ancienne église de la ville de Fribourg. Fondée avant même la création de la cité. Dans la deuxième moitié du
XII siècle, on construit une assez vaste église romane dont la structure
subsiste en grande partie sous la maçonnerie actuelle.
Aujourd’hui Notre-Dame a perdu la fière allure qu’elle avait en 1790
après avoir été complètement rénovée dans le style Louis XVI. Si l’église a
retrouvé son clocher d’origine à flèche pointue en 1970, la nef a besoin
d’une restauration complète.
Notre-Dame a échappé plusieurs fois à la pioche des démolisseurs. Devenue à partir de 1250 église de l’hôpital de la ville, elle le reste jusqu’en 1680. Après le déplacement de l’hopital des Bourgeois sur son emplacement actuel, l’utilité de Notre-Dame est remise en cause puisqu’elle
jouxte à la fois la collégiale St-Nicolas et l’église des cordeliers.
Durant tout le XVIIIe et le XIXe, ce n’est que suite de conflits entre
la ville, l’hôpital des Bourgeois et l’évêché pour l’entretien de l’église.
Dès 1755 on parle de démolition. En 1784, un legs providentiel permet
d’entreprendre les rénovations qui donnent à Notre-Dame son aspect actuel.
Hélas, les travaux sont si mal faits qu’on parle à nouveau de démolition à
peine 20 ans plus tard. L’édifice est sauvé alors sur la base d’un décret
de la République Helvétique, qui la protège en tant qu’église la plus
ancienne de Fribourg et la seule dédiée à la Vierge.
En 1852, nouvelle menace. Cette fois c’est une vague de protestation populaire qui empêche la démolition. En 1876 un accord prévoyant la destruction de l’Eglise dans les sept ans est signé. En 1879, l’évêque fait résilier la clause de démolition par crainte de la réaction du peuple. En 1884
enfin, la direction de l’hôpital abandonne tous ses droits sur Notre Dame à
l’évêché. Dès lors l’idée de démolition, même si elle fut encore évoquée à
l’une ou l’autre reprises, fut en fait abandonnée. (apic/mp)
Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’Agence APIC
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