Genève: Une odyssée avec les chrétiens d'Orient

Le 12 mai 2023 dans la soirée, à l’initiative de l’Association Chemin de solidarité avec les chrétiens d’Orient, la Paroisse du Christ-Roi de Lancy a bruissé de souvenirs échangés lors de la conférence donnée par Pascal Maguesyan. Un moment vécu comme un voyage exploratoire au cœur des communautés chrétiennes du Moyen Orient et des défis que ces communautés doivent affronter depuis plus d’un siècle.

Myriam Bettens pour cath.ch

Pascal Maguesyan, spécialiste des chrétiens d’Orient | © M. Bettens

Les photos défilent comme autant de sursauts de vie dans une région où il ne fait pas bon être chrétien. Quelques retardataires arrivent et le premier rang, jusqu’alors laissé vide, trouve preneur. La salle paroissiale du Christ-Roi, située à Lancy (GE), est bondée.

Ce vendredi soir, l’Association Chemin de solidarité avec les chrétiens d’Orient et les populations victimes des violences au Moyen-Orient (CSCO) a invité Pascal Maguesyan à venir présenter la situation des chrétiens d’Orient et ce qu’il reste de leur patrimoine par une série de photographies de son cru. Et le chargé de mission pour l’association Mesopotamia Héritage connaît sa partition. Entre Ombres et lumières, titre qu’il a lui-même donné à l’un de ses ouvrages sur la question, décrit bien l’appréciation qu’il fait de la situation de cette région et des personnes qui y habitent encore.

Dense et chargée d’émotions

Le voyage dans le berceau géographique de la chrétienté se poursuit, un peu à la manière dont certains asiatiques visitent l’Europe… En moins d’une heure trente, le «guide» de la soirée a réussi l’exploit d’emmener l’assemblée de l’Égypte à l’Iran, en passant par la Syrie, le Liban, l’Irak, Israël, la Palestine, la Turquie, l’Arménie et l’Artsakh, où «les chrétiens d’Orient sont confrontés à des défis spirituels, civiques et politiques inouïs, au risque de disparaître».

La marche des Rameaux à Bakhdida, le 2 avril 2023 | © Pascal Maguesyan/Mesopotamia

Un voyage exploratoire avec la célérité dont les asiatiques ont le secret, mais résolument oriental dans la liberté avec laquelle les participants de la conférence ont «participé» à la soirée… Tout sourire, Pascal Maguesyan n’avait aucun mal à rebondir sur les interruptions inopinées du public. La conférence est dense et chargée d’émotions. Dans le public, nombreux sont ceux qui reconnaissent les lieux que l’orateur parcourt par le biais de ses photos. Eux-mêmes déracinés et poussés à la fuite par la violence aveugle de groupes dont l’acronyme répond, ironie du sort, au même nom que la déesse funéraire la plus connue du panthéon égyptien (ISIS, Islamic State in Irak and Syria/Sham).

Un témoignage vital

«Ce qui se passe dans ces pays-là et chez nous est lié et nous ne devons pas séparer les espaces territoriaux», explique l’intervenant en présentant une photo de la cathédrale Sayidat al-Najat de Bagdad, ciblée en 2010 par un attentat terroriste commandité par l’État islamique en Irak. «Ce jour-là, un commando composé de cinq à quinze personnes pénètre dans la cathédrale et fusille ou… tue à la grenade quarante-sept personnes. C’était cinq ans avant le Bataclan», poursuit-il, les yeux rivés sur une assemblée dont les souvenirs ne cessent de rejaillir à mesure que les photos apparaissent sur l’écran disposé au fond de la salle. «C’est vrai que la situation en Irak est très grave, mais le témoignage des chrétiens est absolument vital pour toutes les communautés, quelles qu’elles soient, du Moyen-Orient et du Sud Caucase».

Vandalisée par Daesh, l’église syriaque-catholique Mar Touma (Saint Thomas) de Mossoul a été restaurée. La communauté s’y rassemble notamment pour la fête de l’apôtre © Pascal Maguesyan / MESOPOTAMIA. 3 juillet 2019

Les Chrétiens d’Orient sont les dépositaires d’un héritage immémoriel. Descendants des plus anciennes civilisations de l’humanité, ils sont les témoins, souvent contraints, d’importantes mutations culturelles et d’enjeux géopolitiques colossaux. Pascal Maguesyan fait par exemple état de la révolution égyptienne de 2011 qui s’est déroulée en grande partie sur la bien nommée place Tahrir du Caire [littéralement «place de la Libération»] ayant abouti à la démission du président Hosni Moubarak et à une libéralisation du régime.

De l’espoir à la vengeance

«L’ensemble de l’Égypte était représenté dans ces manifestants, ils pouvaient être aussi bien chrétiens que musulmans, mais voulaient tous la même chose: le bien commun. Plus précisément la liberté, l’égalité et la justice sociale». C’est «l’espoir d’une justice sociale qui a permis aux chrétiens et aux musulmans de travailler ensemble pour l’émergence d’une nouvelle société et d’un nouveau régime». En juin de l’année suivante, la population élit Mohammed Morsi, issu des Frères musulmans. Cette organisation radicale «ne travaille pas pour le bien commun, mais pour ses intérêts propres et en un an le nouveau président a poussé le pays à la banqueroute. L’économie, la société, et l’espoir des Égyptiens se sont effondrés». Il est renversé par un coup d’État en 2013, à la suite d’un vaste mouvement de protestations populaires.

La conséquence de cette destitution est un déferlement de violences des Frères musulmans envers les chrétiens de tout le pays. «Une centaine d’églises ont été brûlées au Caire et en Haute-Égypte avant que le général Abdel Fattah al-Sissi ne ramène le calme manu militari dans ce pays.» Par ses nombreuses photos, Pascal Maguesyan démontre la violence avec laquelle le radicalisme, surtout islamiste, s’est déchaîné envers les chrétiens de cette région cherchant systématiquement la destruction autant de l’humain que du patrimoine. «Et le monde regarde», s’indigne une voix suffisamment fort pour être perçue par ses voisins. 

Un patrimoine vivant

Il présente néanmoins une série d’images illustrant «le passage de la mort à la vie et la résurrection qui est en train de se produire en Irak». Nombre d’édifices pulvérisés par la frénésie destructrice des commandos armés sont en voie de reconstruction ou de rénovation et bénéficient pour certains d’un financement provenant… des Émirats arabes unis. Le conférencier ne relève pas le murmure railleur qui monte alors du public.

Le pèlerinage à Saint Thaddée en juillet 2000, un monastère arménien situé dans la province iranienne d’Azerbaïdjan occidental | © Pascal Maguesyan

Outre ce patrimoine matériel rattaché aux chrétiens d’Orient, terme assez impersonnel pour désigner une aussi grande diversité de sensibilités religieuses, Pascal Maguesyan élargit le point de vue au travers de visages de personnes rencontrées lors de ses missions. Il y a, par exemple, Youssef dans les bras de ses parents au monastère de Dair Al-Muharraq, en Haute-Égypte, «qui parce qu’il est baptisé, porte les habits d’un prince». Sami un chiffonnier du Caire qui regarde fixement l’objectif: Sœur Emmanuelle lui a payé son permis de conduire et «maintenant il peut conduire les enfants du quartier au foot dans son petit bus». Il y a aussi Mgr Antoine Audo, archevêque chaldéen d’Alep, qui a demandé à Pascal Marguesyan lors d’une de ses visites: «Donnez-nous les moyens de rester». Et ainsi de préserver la mémoire et le patrimoine immatériel entrevus dans le regard de chacun de ces portraits. (cath.ch/mb/bh)

Un héritage immémoriel
L’association Mesopotamia Héritage s’est donné pour mission de faire l’inventaire du patrimoine religieux des chrétiens d’Orient et des yézidis au travers d’un site web qui recense plus d’une centaine d’édifices emblématiques irakiens, de publications richement illustrées et d’une exposition itinérante. «Au service premier des populations concernées, en Irak comme en diaspora, mais aussi de la recherche scientifique, cet inventaire patrimonial et testimonial, ouvert à tous, contribue à la sauvegarde de la mémoire du patrimoine et à sa transmission. Il participe, c’est [le vœu de l’association], à la revitalisation de ces communautés autochtones menacées de disparition et confrontées à des destructions massives, parfois irréversibles. [Le site web] veut ainsi contribuer au renouveau d’une citoyenneté irakienne respectueuse des identités et des confessions» en présentant «un inventaire partiel et documenté du patrimoine chrétien assyro-chaldéo-syriaque et yézidi en Irak». A consulter sur mesopotamiaheritage.org.

Pascal Maguesyan est chef de projet de Mesopotamia Héritage. Auteur de plusieurs livres sur les Chrétiens d’Orient, photographe et ancien journaliste, il a lancé ce projet d’inventaire patrimonial et testimonial avec le concours de la Fondation Saint-Irénée. Il effectue la collecte des informations auprès des experts et des sources disponibles. Il rédige toutes les notices en français, participe au processus d’identification des sites à explorer et accompagne la plupart des missions de terrain. Il est notamment l’auteur de Chrétiens d’Orient: ombres et lumières, paru en 2013 aux éditions Thaddee. MB

Rédaction

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