Paris. Quelle réalité religieuse américaine ?

APIC – Interview

La religion a de moins en moins d’impact dans la politique

Propos recueillis par Jean-Claude Noyé

Paris, 16 octobre 2000 (APIC) A près d’un mois des élections américaines, deux professeurs, Denis Lacorne et Eabelle Richet analysent la réalité religieuse aux Etats-Unis. L’impact de la religion dans ce pays, l’influence politique sur les forces en présence lors des présidentielles. Ils notent une diminution des fidèles catholiques, principalement chez les latinos, des quartiers pauvres souvent. Chaque année, 100’000 d’entre eux rejoignent les rangs des mouvements pentecôtistes.

L’Association des journalistes de l’information religieuse (Ajir) a organisé un déjeuner-débat sur la réalité religieuse américaine avec deux spécialistes de «la civilisation américaine». Denis Lacorne est directeur de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) et professeur à Sciences-Po. Son dernier livre s’intitule «La crise d’identité américaine» (Fayard). Isabelle Richet est professeur à Paris X – Nanterre. Son prochain livre porte sur «Religion et société au XX° siècle aux Etat-Unis» (Belin).

Q.: Les Etats-Unis sont-ils un pays religieux ?

I. Richet: Oui si l’on considère la pratique religieuse, de l’ordre de 25% pour l’ensemble des croyants selon un récent sondage. Mais le nombre de fidèles des diverses Eglises est globalement stagnant depuis les années 50. Par ailleurs, les croyants américains redéfinissent aujourd’hui eux-mêmes le contenu de leur foi et les valeurs auxquelles ils sont attachées. Jusqu’à la parution de L’encyclique «Humanae vitae», très fortement rejetée, les catholiques étaient davantage pratiquants que les protestants.

D. Lacorne: Selon d’autres sources, les pratiquants représenteraient même 35% des Américains. Aux Etats-Unis, plus on est pratiquant, plus on est militant, au plan politique ou social. On compte environ 53% de protestants pour 25% de catholiques et seulement 1% d’anglicans.

I. Richet: L’irruption du discours religieux dans le débat électoral date du milieu des années 70. Outre que la crise du Watergate a révélé une perte de moralité des dirigeants politiques, la défaite des Etats-Unis au Vietnam et le choc pétrolier ont déclenché une crise profonde, analysé par nombre d’américains croyants en ces termes: «Dieu nous a abandonnés parce que nous l’avons abandonné». Beaucoup se sont dès lors engagés activement en politique non sans en mettre en avant leur foi. C’est le cas de Jimmy Carter, membre de l’Eglise Baptiste d’un Etat du sud. Lequel sud, longtemps pro-démocrate et qui a donné plus d’un président aux pays – Gore et Bush eux-mêmes sont du sud – , est devenu une pierre d’angle pour les élections présidentielles car le Parti républicain, pour construire une nouvelle majorité, a développé une stratégie de conquête de l’électorat sudiste. Stratégie payante qui a notamment conduit Ronald Reagan au pouvoir. Or, dans les Etats du sud, religion et politique ont toujours été très liées. Les questions morales ont pris de plus en plus de place dans le discours des candidats à la Maison Blanche. D’autant plus que, le déclin des partis politiques s’accentuant et les différences entre les programmes des conservateurs et des démocrates se réduisant considérablement, la personnalisation des candidats s’est fortement accrue. Enfin, la remise en cause de l’Etat providence initiée par Reagan et poursuivie par Clinton a conduit les Eglises à amplifier leur action caritative pour se substituer au démantèlement des programmes sociaux. Conjointement, le déclin relatif des associations civiques a poussé en avant les Eglises comme force de remplacement.

Q.: Quel est l’impact de l’appartenance religieuse sur les élections présidentielles ?

I. Richet. Il est difficile à mesurer finement mais les observateurs s’accordent à dire que l’impact réel est, en dernier lieu, limité. Ce qui reste déterminant, ce sont les choix économiques de l’un et l’autre candidat, quand bien même leurs options sont proches. Il ne faut pas perdre de vue que la toile de fond, aux Etats-Unis, c’est un très grand respect de la liberté de croire ou pas de chacun.

D. Lacorne: Si impact il y a, c’est au moment des élections primaires, car les candidats ont, à ce stade, intérêt à radicaliser leurs discours, à jouer sur les réflexes identitaires. Pour l’échéance finale, les deux candidats visent le centre; ils polissent au contraire leurs propos et en gomme les aspérités confessionnelles et les opinions trop conservatrices afin de ratisser large. Je tiens à préciser que les mouvements religieux aux Etats-Unis sont à l’origine de grandes réformes sociales comme la réforme abolitionniste. On ne peut pas parler de ce pays sans pointer l’influence croissante des Pentecôtistes, notamment dans les milieux latinos. Leurs «missionnaires» convertissent de nombreux catholiques. A New York, dans le Bronx surtout, leurs églises et lieux de culte ont été multipliées par deux en cinq ans.

Q.: Quelle est l’ampleur de ces conversions ?

D. Lacorne: Chaque année, 100’000 catholiques d’origine latino-américaine rejoignent une Eglise pentecôtiste. Les catholiques «basanés» ont initialement gêné les catholiques «blancs» car ceux-ci ont eux-mêmes eu du mal à se faire vraiment accepter. Les catholiques latinos sont d’autant plus «vulnérables» qu’ils sont arrivés sans clergé accompagnateur. L’Eglise catholique, très progressiste aux Etats-Unis sur les questions sociales, est aujourd’hui très attentive au prosélytisme des Eglises évangéliques en général, pentecôtistes en particulier. Forte de 60 millions de fidèles, l’Eglise catholique ne compte plus que 30’000 séminaristes: une hémorragie énorme, d’autant plus préoccupante que les hispaniques ont de fortes réticences à embrasser la prêtrise. Pourquoi? Parce que leur référent est un catholicisme très communautaire, un catholicisme de villages où les prêtres font défaut et où on est habitué à vivre sa foi chrétienne sans leur médiation. En outre, comme les hispaniques sont peu scolarisés, la perspective de faire de longues études au séminaire n’est pas pour eux attractive. Par contre, chez les pentecôtistes, tout est plus simple, leurs communautés sont souvent chaleureuses et mettent en avant une plus foi émotionnelle, moins cérébrale. Ceci explique cela.

Q.: Y a-t-il une différence entre l’électorat féminin et l’électorat masculin ?

I. Richet. Elles votent plutôt démocrates (58%). Ce mouvement s’est accentué dans les 20 dernières années. Plus nombreuses dans les Eglises, elles sont davantage attachées aux programmes sociaux, plus sensibles aux questions relatives, à la santé, à l’éducation. Le projet du candidat Bush de démanteler l’école publique les inquiètent beaucoup car elles y sont attachées. Autre question sensible: le droit à l’avortement. Beaucoup d’électrices favorables aux Républicains mais modérées défendent ce droit. (apic/jcn/vb/pr)

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