St-Gall: Mgr Ivo Fürer présente bientôt sa démission au pape pour raison d’âge

Apic interview

L’Eglise du futur sera un phare pour les personnes en recherche

Interview: Josef Bossart / traduction: Bernard Bovigny

St-Gall, 14 mars 2005 (Apic) Mgr Ivo Fürer, évêque de St-Gall, fêtera ses 75 ans le 20 avril prochain. Il présentera à cette occasion sa démission au pape, comme le prévoit le droit canonique. Mgr Fürer souhaite déjà à son successeur «assez de foi pour croire que c’est le Christ qui dirige l’Eglise et non l’évêque».

Du point de vue de l’évêque de St-Gall, ni l’Eglise ni la société n’ont trouvé leur place actuellement. Telle une plante qui a quitté la serre dans laquelle elle a pu grandir en toute sécurité durant des décennies, l’Eglise est aujourd’hui davantage exposée aux intempéries dans une société marquée par les transformations. Dans le futur, elle devra probablement renoncer à demeurer un mouvement de masse pour s’apparenter davantage à un phare guidant les personnes en recherche.

Apic: Monseigneur, cela fait dix ans que vous êtes évêque. A la lumière de votre expérience, qu’est-ce qu’un évêque doit être particulièrement capable de faire?

Ivo Fürer: Il doit être proche de Dieu et essayer de comprendre les gens. Et il doit être témoin de la foi en utilisant un langage compréhensible par tous. Il m’est apparu toujours plus clairement qu’il est bon que ce témoignage de foi soit le plus personnalisé possible.

Apic: L’héritage anté-séculaire de l’Eglise doit être constamment retraduit pour les gens, avez-vous affirmé à plusieurs reprises dans vos déclarations. Qu’aimeriez-vous donc retraduire pour le monde actuel?

Ivo Fürer: C’est justement dans la façon d’expliquer que nous devons chercher à retraduire la foi. Dans la nouvelle scolastique, on a voulu présenter la foi de façon rationnelle. La question était: comment rendre accessibles les éléments de la pensée philosophique antique et de la scolastique à des personnes marquées par une pensée rationaliste?

Lorsque je pense à la célébration de Taizé de l’Avent 2004, durant laquelle 2’800 personnes, surtout des jeunes, ont vécu la moitié de la nuit dans notre cathédrale de St-Gall avec des chants, de la prière et du silence, alors je me dis: la traduction de la foi n’est pas qu’une affaire d’adaptation rationnelle en vue d’une nouvelle pensée. La retraduction de la foi ne touche pas que la raison, mais l’être humain dans son ensemble. Il sera certainement très important d’aborder la personne comme un tout, y compris avec ses sentiments par exemple. Avec la réforme liturgique de Vatican II, on a peut-être trop privilégié la raison.

Apic: Dans une interview, vous vous êtes récemment exprimé de façon critique sur le durcissement de l’asile politique en Suisse. Cela fait-il aussi partie de ce travail de retraduction de la foi? L’Eglise doit-elle plus souvent intervenir dans les affaires politiques et sociales?

Ivo Fürer: Je ne voudrais pas m’exprimer sur un niveau quantitatif. Quelqu’un qui intervient trop souvent ne sera plus écouté! L’Eglise s’exprime cependant plus souvent dans le cadre des procédures de consultation au niveau fédéral. Nous voulons ainsi dire que des normes, qui sont exprimées avec les meilleures intentions, peuvent avoir comme effet que des personnes sont menacées de mise à l’écart.

Dans le cas concret, il me semble important que les conséquences de cette politique d’asile devenue toujours plus dure soient connues. On poursuit à travers elle un but judicieux, mais avec des mesures qui ne respectent plus la dignité humaine lors de ces procédures d’asile.

Apic: Les réactions suite à votre prise de position ont été diverses. D’une part certains politiciens ont considéré votre intervention comme une immixtion dans une affaire qui ne concerne pas l’Eglise. D’autres ont eu une réaction toute différente: enfin un représentant de l’Eglise qui dit ce qui doit être dit sur cette question.

Ivo Fürer: C’est là le problème de ces prises de position. J’ai pourtant exprimé mon point de vue de façon très différenciée, mais les réactions sont tombées d’une façon peu nuancée, carrée. Certains m’ont même reproché de vouloir amener tous les étrangers en Suisse. Le problème est le suivant: les prises de position dans l’Eglise sont la plupart du temps très différenciées. Elles ne peuvent être exprimées de façon caricaturale.

Apic: Peut-être que les réactions de rejet face à votre prise de position sont dues au fait que la religion est toujours plus considérée comme une affaire privée dans notre société. Cette évolution vous préoccupe-t-elle?

Ivo Fürer: Je suis persuadé que la foi chrétienne n’est en aucun cas uniquement une offre de salut individuel en vue d’une meilleure qualité de vie. Cela fait aussi partie de la foi, certes, car une telle notion me donne la possibilité de réussir ma vie dans l’optique de la mort et de la résurrection. Mais en même temps, nous sommes appelés par Dieu à être son peuple. Et en tant que peuple, Dieu veut nous mener au salut.

Autre réflexion: la religion a toujours un rôle important à jouer en tant que fondement de la société. Lorsque nos ancêtres, les Alamans, sont devenus chrétiens, les choses étaient très claires: qui appartient à la même tribu est attaché à la même foi. Et au Moyen-Age également, il était clair que celui qui s’éloignait de la foi remettait aussi en question l’unité de la société. Après la Réforme, est arrivée la liberté d’établissement, et avec elle la tolérance et la liberté de religion sont apparues comme des nécessités. Avec cela, la religiosité a glissé toujours davantage dans le domaine privé.

Notre société aussi a besoin d’une base de valeurs communes. Avec notre foi et à travers la communauté ecclésiale, nous pouvons y contribuer. Cela nécessite cependant que la foi elle-même ne soit pas limitée à la sphère individuelle, car à ce moment-là, la religion ne peut plus contribuer à l’élaboration d’une base de valeurs communes dans la société.

J’ai été très impressionné d’entendre récemment, lors des salutations de Nouvel-an de la Chambre de l’industrie et du commerce de Suisse orientale, le directeur affirmer que nous avons besoin dans notre société de valeurs qui ne peuvent être produites ni par l’économie, ni par la politique, mais qui ont besoin d’être appuyées par les familles et les Eglises. Encore une fois: la religion doit être une base en vue du maintien d’une société qui ne doit pas glisser dans l’égoïsme. S’il manque la solidarité, notre Etat, notre démocratie et notre vie sociale sont entièrement remis en question.

Apic: Lorsque l’on considère la solidarité en Suisse, apparaît un tableau un peu contradictoire. Après le raz-de-marée en Asie, un énorme mouvement de solidarité s’est fait jour. Et d’un autre côté, on a l’impression que la cohésion sociale devient toujours plus fragile et que les Eglises ont très peu de prise sur cette évolution. Egalement le «ciment» familial se trouve pour diverses raisons sous une assez forte pression et semble s’effriter. Partagez-vous cette évaluation?

Ivo Fürer: Il convient d’abord de réfléchir à l’importance et à la signification de la foi et de la famille dans le fonctionnement de la société. Prenons la famille. A travers l’évolution démographique, l’avenir de notre société est assez facile à se représenter: dans 20, 30 ou 40 ans nous serons probablement heureux d’accueillir chaque étranger voulant résider chez nous!

Apic: Et comment faire passer une meilleure prise de conscience du fait que la foi est importante pour le fonctionnement de la société?

Ivo Fürer: Nos droits humains se sont développés sur une base chrétienne. Et ce qui a crû à partir de cette racine s’en est depuis longtemps détaché. «Je suis citoyen de cet Etat, et je dois aussi m’engager pour lui». Cette conscience s’est très fortement développée sur des bases chrétiennes. Même si à l’époque de la Révolution française, il y a plus de deux siècles, elle a triomphé malgré les résistances dans l’Eglise. Mais aujourd’hui, nous devons constater que ces convictions menacent de s’effriter si l’être humain n’a plus conscience de ses responsabilités à un niveau plus profond.

Apic: Dans une société fortement imprégnée par la peur et l’isolement, le rôle d’une communauté porteuse, comme l’Eglise, devient mieux reconnue, avez-vous affirmé récemment. Mais plus concrètement, l’Eglise a-t-elle trouvé sa place dans cette société en mutation?

Ivo Fürer: Je pense que ni la société ni l’Eglise n’ont encore trouvé leur place. Dans une lettre pastorale, il y a quelques temps, j’ai décrit ainsi la transformation du «catholicisme de milieu» d’autrefois par rapport à la situation actuelle: nous vivions dans une serre, qui n’existe plus aujourd’hui. Une plante qui quitte cette serre pour vivre dans les champs a besoin d’un temps d’adaptation et de transition. Pour l’Eglise, cela signifie ceci: elle est actuellement dans une phase de recherche de sa place dans une société en transformation. Mais cette place apparaîtra peut- être tout différemment qu’autrefois.

Apic: Les plantes de serre sont délicates, et peuvent périr au contact de l’air frais .

Ivo Fürer: C’est notre situation. Si l’on garde l’image de la serre, il faut alors affirmer: il y aura des sacrifices, car tout ne peut pas continuer à croître . Mais ce qui arrive encore à pousser devient plus fort! Nous sommes issus d’une situation où nous pouvions grandir en tant que chrétiens dans le milieu ecclésial. Mais nous allons vers un avenir où nous devrons trouver nous-mêmes le chemin vers la foi chrétienne et dans l’Eglise. Notre passé ne nous y a pas préparés. Je reste pourtant confiant: je crois que Dieu dirige son Eglise, et il nous a encore une fois accordé sa confiance pour passer par ces transformations.

Apic: Malgré tout, la main sur le coeur: n’avez-vous pas des moments où vous vous dites «Mon Dieu, je ne vois plus de grand avenir pour l’Eglise»?

Ivo Fürer: Si ce «grand avenir» signifie: un grand mouvement de masse, là je reste effectivement dans l’incertitude. Je vois plutôt une plus petite communauté ecclésiale qui agisse comme phare pour des personnes en recherche. L’Eglise aura davantage d’importance comme instance active dans la recherche de sens.

Apic: Des observateurs sont d’avis que l’Eglise en Suisse se trouve actuellement dans une situation de forte polarisation. Partagez-vous ce point de vue?

Ivo Fürer: Oui. Mais pour moi, c’est tout à fait compréhensible. Certaines plantes préfèrent revenir dans une serre protégée, alors que d’autres estiment nécessaire de s’exposer au vent et aux intempéries, et de résister dans un environnement qui s’est modifié. On peut également comparer la situation actuelle avec l’exode d’Israël. Certains râlent contre Moïse, et veulent retourner en Egypte où ils avaient à manger. Ils n’apprécient pas de se trouver dans une situation d’incertitude par rapport à l’avenir.

Apic: Votre pronostic: comment sera l’Eglise dans 10 ou 20 ans? Plus petite, mais avec des croyants plus engagés? Aura-t-elle des structures plus flexibles en tant qu’Eglise universelle?

Ivo Fürer: En tant qu’Eglise universelle, elle devrait être conduite de façon moins centralisée. Elle pourrait par exemple être dirigée en partie au niveau continental ou sous-continental, et beaucoup de détails devraient être réglés de manière moins centralisée qu’actuellement.

Il serait important, à mon avis, que la structure collégiale de l’Eglise se réalise et que le synode des évêques devienne un organe véritablement collégial, ce qui est en réalité le cas à un niveau purement formel. Un autre point important pour l’avenir: les Eglises locales doivent avoir un droit d’intervention plus important et mieux reconnu lors des nominations d’évêques.

Apic: Et comment apparaîtra l’Eglise en Suisse, par exemple dans 20 ans?

Ivo Fürer: Je peux m’imaginer qu’elle sera constituée d’un petit cercle de chrétiennes et de chrétiens convaincus, qui maintiendront une Eglise active et porteront ensemble la responsabilité. A côté, il y aura un autre cercle de fidèles, qui feront l’expérience d’une communauté. Ensuite je pourrais me représenter qu’autour de ces deux cercles, beaucoup d’autres se diront heureux qu’il y ait une Eglise à laquelle on peut faire appel pour des services en cas de nécessité. Et certains membres du cercle le plus extérieur pourront une fois se trouver dans le cercle le plus au centre, et inversement. Cela peut s’avérer dynamique. Dans la situation pluraliste actuelle, marquée par des influences les plus diverses, les personnes passent par différents chemins durant leur vie.

Apic: . et avec plus ou moins de distance avec l’Eglise .

Ivo Fürer: La motivation de base de l’Eglise restera toujours: le Christ est mort pour tous. Nous devons essayer d’en être témoins auprès de chacun, mais en même temps de comprendre ce qui est actuellement en mutation. Dieu veut le salut par le Christ et s’offrir à tous à travers le témoignage de l’Eglise. Pour l’Eglise cela signifie ceci: elle ne doit pas baisser les bras.

Apic: Et que souhaitez-vous avant tout à celui qui vous succédera comme évêque?

Ivo Fürer: Le courage de lutter contre la résignation, et une grande joie de pouvoir se mettre au service du Christ. Et finalement assez de foi pour croire que c’est le Christ qui dirige l’Eglise et non l’évêque.

Encadré

«Un retrait du pape aurait tout son sens de mon point de vue»

Apic: Le pontificat de Jean Paul II va vers sa fin. En quoi ce pape vous a- t-il le plus impressionné?

Ivo Fürer: En tant que secrétaire du Conseil des Conférences épiscopales européennes (CCEE), durant les premières année de son pontificat au début des années 80, j’ai eu relativement beaucoup de contacts avec lui et je l’ai rencontré chaque année pour de plus longs entretiens. Jean Paul II a surtout été très préoccupé à l’idée que l’Eglise d’après Concile puisse tomber en morceaux. C’est pourquoi il est particulièrement marqué par la conviction que l’unité est une mission très importante pour le pape. Il a donc mis une importance particulière à une conduite centralisée de l’Eglise et à ses voyages comme signes de l’unité universelle de l’Eglise.

Apic: Le cardinal Paul Evaristo Arns, ancien archevêque de Sao Paulo, a récemment affirmé dans une interview: «Il est temps que le pape se retire, afin de permettre à l’Eglise d’accompagner le mouvement de l’histoire». L’Eglise aurait-elle en quelque sorte arrêté de fonctionner?

Ivo Fürer: C’est actuellement un danger.

Apic: Vous, personnellement, recommanderiez-vous au pape de se retirer?

Ivo Fürer: En dernier lieu, c’est sa décision. Le code de droit canonique édité par Jean Paul II lui-même prévoit la possibilité pour un pape de démissionner. Il peut donc se retirer quand il le veut. Mais il en a décidé autrement. De mon point de vue, un retrait aurait eu tout son sens. Mais je ne vais pas remettre en question la conviction personnelle du pape.

Apic: On ne peut que spéculer sur ses motivations. Qu’est-ce qui le pousse à vouloir persévérer jusqu’à la fin, jusqu’à la mort?

Ivo Fürer: Il a donné lui-même une raison: il n’y a pas de place pour un pape «retraité». N’y aurait-il pas la menace d’une «schisme interne» si un nouveau pape adoptait une ligne différente que l’actuel, qui serait alors «retraité»? Je peux comprendre de telles réflexions. Car même si la personne concernée ne le voulait pas, les gens projettent leurs pensées sur elle. Le pape a exprimé une deuxième raison: je ne voudrais pas renoncer à cette mission, mais l’accomplir tout comme le Christ a tout accompli jusqu’au bout. Tout comme le Christ n’est pas descendu de la croix, il ne veut pas renoncer à son devoir, a-t-il affirmé une fois. Sa persévérance est aussi un témoignage pour les personnes âgées et les malades. Il souligne ainsi que l’être humain n’a pas la même valeur que leur rendement économique!

Apic: Mais en même temps, le pape reste le chef d’une grosse organisation .

Ivo Fürer: C’est effectivement un problème. Mais il faut être conscients que l’Eglise ne se réduit pas à une grosse organisation. Elle est essentiellement le Corps mystique du Christ. JOB/BB

Des photos de Mgr Fürer peuvent être commandées à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. Tél 026 426 48 38 Fax 026 426 48 36 Courriel: ciric@cath.ch (apic/job/bb)

14 mars 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 11 min.
Partagez!

Paris. Quelle réalité religieuse américaine ?

APIC – Interview

La religion a de moins en moins d’impact dans la politique

Propos recueillis par Jean-Claude Noyé

Paris, 16 octobre 2000 (APIC) A près d’un mois des élections américaines, deux professeurs, Denis Lacorne et Eabelle Richet analysent la réalité religieuse aux Etats-Unis. L’impact de la religion dans ce pays, l’influence politique sur les forces en présence lors des présidentielles. Ils notent une diminution des fidèles catholiques, principalement chez les latinos, des quartiers pauvres souvent. Chaque année, 100’000 d’entre eux rejoignent les rangs des mouvements pentecôtistes.

L’Association des journalistes de l’information religieuse (Ajir) a organisé un déjeuner-débat sur la réalité religieuse américaine avec deux spécialistes de «la civilisation américaine». Denis Lacorne est directeur de recherche au Centre d’études et de recherches internationales (CERI) et professeur à Sciences-Po. Son dernier livre s’intitule «La crise d’identité américaine» (Fayard). Isabelle Richet est professeur à Paris X – Nanterre. Son prochain livre porte sur «Religion et société au XX° siècle aux Etat-Unis» (Belin).

Q.: Les Etats-Unis sont-ils un pays religieux ?

I. Richet: Oui si l’on considère la pratique religieuse, de l’ordre de 25% pour l’ensemble des croyants selon un récent sondage. Mais le nombre de fidèles des diverses Eglises est globalement stagnant depuis les années 50. Par ailleurs, les croyants américains redéfinissent aujourd’hui eux-mêmes le contenu de leur foi et les valeurs auxquelles ils sont attachées. Jusqu’à la parution de L’encyclique «Humanae vitae», très fortement rejetée, les catholiques étaient davantage pratiquants que les protestants.

D. Lacorne: Selon d’autres sources, les pratiquants représenteraient même 35% des Américains. Aux Etats-Unis, plus on est pratiquant, plus on est militant, au plan politique ou social. On compte environ 53% de protestants pour 25% de catholiques et seulement 1% d’anglicans.

I. Richet: L’irruption du discours religieux dans le débat électoral date du milieu des années 70. Outre que la crise du Watergate a révélé une perte de moralité des dirigeants politiques, la défaite des Etats-Unis au Vietnam et le choc pétrolier ont déclenché une crise profonde, analysé par nombre d’américains croyants en ces termes: «Dieu nous a abandonnés parce que nous l’avons abandonné». Beaucoup se sont dès lors engagés activement en politique non sans en mettre en avant leur foi. C’est le cas de Jimmy Carter, membre de l’Eglise Baptiste d’un Etat du sud. Lequel sud, longtemps pro-démocrate et qui a donné plus d’un président aux pays – Gore et Bush eux-mêmes sont du sud – , est devenu une pierre d’angle pour les élections présidentielles car le Parti républicain, pour construire une nouvelle majorité, a développé une stratégie de conquête de l’électorat sudiste. Stratégie payante qui a notamment conduit Ronald Reagan au pouvoir. Or, dans les Etats du sud, religion et politique ont toujours été très liées. Les questions morales ont pris de plus en plus de place dans le discours des candidats à la Maison Blanche. D’autant plus que, le déclin des partis politiques s’accentuant et les différences entre les programmes des conservateurs et des démocrates se réduisant considérablement, la personnalisation des candidats s’est fortement accrue. Enfin, la remise en cause de l’Etat providence initiée par Reagan et poursuivie par Clinton a conduit les Eglises à amplifier leur action caritative pour se substituer au démantèlement des programmes sociaux. Conjointement, le déclin relatif des associations civiques a poussé en avant les Eglises comme force de remplacement.

Q.: Quel est l’impact de l’appartenance religieuse sur les élections présidentielles ?

I. Richet. Il est difficile à mesurer finement mais les observateurs s’accordent à dire que l’impact réel est, en dernier lieu, limité. Ce qui reste déterminant, ce sont les choix économiques de l’un et l’autre candidat, quand bien même leurs options sont proches. Il ne faut pas perdre de vue que la toile de fond, aux Etats-Unis, c’est un très grand respect de la liberté de croire ou pas de chacun.

D. Lacorne: Si impact il y a, c’est au moment des élections primaires, car les candidats ont, à ce stade, intérêt à radicaliser leurs discours, à jouer sur les réflexes identitaires. Pour l’échéance finale, les deux candidats visent le centre; ils polissent au contraire leurs propos et en gomme les aspérités confessionnelles et les opinions trop conservatrices afin de ratisser large. Je tiens à préciser que les mouvements religieux aux Etats-Unis sont à l’origine de grandes réformes sociales comme la réforme abolitionniste. On ne peut pas parler de ce pays sans pointer l’influence croissante des Pentecôtistes, notamment dans les milieux latinos. Leurs «missionnaires» convertissent de nombreux catholiques. A New York, dans le Bronx surtout, leurs églises et lieux de culte ont été multipliées par deux en cinq ans.

Q.: Quelle est l’ampleur de ces conversions ?

D. Lacorne: Chaque année, 100’000 catholiques d’origine latino-américaine rejoignent une Eglise pentecôtiste. Les catholiques «basanés» ont initialement gêné les catholiques «blancs» car ceux-ci ont eux-mêmes eu du mal à se faire vraiment accepter. Les catholiques latinos sont d’autant plus «vulnérables» qu’ils sont arrivés sans clergé accompagnateur. L’Eglise catholique, très progressiste aux Etats-Unis sur les questions sociales, est aujourd’hui très attentive au prosélytisme des Eglises évangéliques en général, pentecôtistes en particulier. Forte de 60 millions de fidèles, l’Eglise catholique ne compte plus que 30’000 séminaristes: une hémorragie énorme, d’autant plus préoccupante que les hispaniques ont de fortes réticences à embrasser la prêtrise. Pourquoi? Parce que leur référent est un catholicisme très communautaire, un catholicisme de villages où les prêtres font défaut et où on est habitué à vivre sa foi chrétienne sans leur médiation. En outre, comme les hispaniques sont peu scolarisés, la perspective de faire de longues études au séminaire n’est pas pour eux attractive. Par contre, chez les pentecôtistes, tout est plus simple, leurs communautés sont souvent chaleureuses et mettent en avant une plus foi émotionnelle, moins cérébrale. Ceci explique cela.

Q.: Y a-t-il une différence entre l’électorat féminin et l’électorat masculin ?

I. Richet. Elles votent plutôt démocrates (58%). Ce mouvement s’est accentué dans les 20 dernières années. Plus nombreuses dans les Eglises, elles sont davantage attachées aux programmes sociaux, plus sensibles aux questions relatives, à la santé, à l’éducation. Le projet du candidat Bush de démanteler l’école publique les inquiètent beaucoup car elles y sont attachées. Autre question sensible: le droit à l’avortement. Beaucoup d’électrices favorables aux Républicains mais modérées défendent ce droit. (apic/jcn/vb/pr)

17 octobre 2000 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 4 min.
Partagez!