Apic – Interview

Fribourg: Le Brésilien «Chico» Whitaker au Forum social suisse (FSS) du 3 au 5 juin 2005

Il existe une alternative à la «pensée unique»

Sergio Ferrari, E-CHANGER, pour l’Apic

Fribourg, 2 juin 2005 (Apic) Le Brésilien Francisco «Chico» Whitaker sera à nouveau en Suisse à l’occasion du 2e Forum social suisse (FSS) qui se tient du 3 au 5 juin 2005 à l’Université de Fribourg. Ancien secrétaire exécutif de la Commission «Justice et Paix» de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), Francisco Whitaker appartient à l’une des 8 organisations qui ont fondé le Forum social mondial (FSM) qui a tenu ses premières assisses fin janvier 2001 à Porto Alegre, au Brésil.

5 ans plus tard, les forums sociaux – à l’échelle mondiale, continentale, régionale et nationale – sont devenus des espaces incontournables de rencontre pour le mouvement altermondialiste.

Sergio Ferrari: A la veille de l’ouverture du Forum social suisse à Fribourg, pourriez-vous nous rappeler le cadre historique du Forum social mondial ?

Francisco Whitaker: Alors que le 21e siècle débutait, une nouveauté a émergé à l’échelle mondiale: le Forum social mondial, qui s’est réuni pour la première fois en janvier 2001 à Porto Alegre (Brésil), en même temps que le Forum économique de Davos. Affirmant de manière centrale qu’ «un autre monde est possible», cette rencontre s’est répétée en 2002 et en 2003, avec une augmentation du nombre de participants, avec des débats, des manifestations de rue et des décisions pour mener des actions transformatrices.

En 2004, la session du FSM s’est tenue à Mumbai, en Inde, et, fin janvier 2005, une nouvelle session a rassemblé plus de 150’000 personnes, à nouveau à Porto Alegre. Pour la suite, une série de forums liés entre eux se tiendront en 2006. En 2007, une nouvelle rencontre mondiale se tiendra en Afrique. En tout cas, il est absolument clair qu’il est devenu impossible d’ignorer le Forum Social Mondial, ainsi que les Forums sociaux régionaux, nationaux et locaux, qui s’organisent depuis 2002.

S.F.: Comment expliquer la montée en puissance de ces forums sociaux ?

F. W.: Les forums rassemblent ceux et celles pour qui les intérêts des êtres humains – y compris le respect à la nature – doivent être au centre de toute décision politique, et non l’argent et son accumulation. Le choix de la date pour réaliser ce Forum a voulu d’ailleurs montrer qu’il existe une alternative à la «pensée unique» – centrée sur l’expansion des affaires – des dirigeants mondiaux qui se réunissent tous les ans à Davos. Il est certain aussi qu’au Forum Social Mondial les méfaits du type de globalisation qui s’est imposée sont dénoncés, pour qu’on puisse tisser, entre les peuples, des liens de solidarité menant à une paix durable entre nations.

Les participants du Forum veulent également que partout des gouvernements élus démocratiquement s’engagent efficacement en faveur de la diminution des inégalités sociales à l’intérieur de leurs pays et entre les pays du monde. La démarche du Forum va plus loin: il ouvre de nouveaux chemins dans la recherche de solutions pour les problèmes du monde. Et c’est cela qui explique son succès.

S.F.: Vous parlez de nouvelles voies, de nouvelles méthodes ? Qu’offre-t-on de vraiment nouveau dans ces forums sociaux?

F. W.: C’est une nouvelle manière de faire de la politique. Toutefois, ses organisateurs ne l’ont pas inventé. Ils n’ont fait que recueillir des expériences de la lutte de l’humanité contre les différents types de dominations, durant ces trois dernières décennies: des expériences qui ont fait surgir des structures organisées en réseau, basées sur la non- directivité et des rapports horizontaux de pouvoir.

La proposition fondatrice du Forum social mondial consiste à passer du stade de la seule résistance – avec les manifestations de protestation qui se multipliaient d’ailleurs à l’échelle mondiale – à celui de la proposition d’alternative. Ensuite, elle a mis en avant une valeur essentielle pour le monde que nous souhaitons tous: le respect de la diversité.

Les Forums sociaux sont ouverts, sans discriminations, à tous ceux qui veulent changer le monde, en respectant les choix, la culture, le rythme de chacun/e – tout en refusant les moyens violents pour réaliser ces changements. Ils sont d’autre part organisés selon la logique des réseaux: aucun participant et aucune activité a plus d’importance que les autres, et tous sont co-responsables de l’événement (au Forum de 2005, toutes les activités réalisées, près de 2’000, ont été autogérées par ceux qui les ont proposées).

S.F.: Vous vous méfiez des leaders charismatiques.

F.W.: Le FSM rejette en effet les théories et les pratiques d’action politique basées sur l’action de leaders charismatiques ou d’avant-gardes éclairées. En ce sens, ceux qui organisent les forums ne les dirigent pas. Ils ne sont que des facilitateurs. Personne ne peut parler au nom du FSM ou prétendre le représenter, puisqu’il n’est ni un mouvement ni une entité.

Le FSM est simplement un espace de rencontre, dans lequel les différentes organisations de la société civile peuvent se reconnaître (en dépassant les barrières qui les divisent), s’entraider, apprendre les unes des autres, bâtir de nouvelles alliances et lancer de nouvelles initiatives.

S.F.: Existe-t-il un consensus à l’échelle internationale sur concept de Forum social? Il semble que cette conception ne soit pas entièrement partagée par l’ensemble de ceux qui participent à ces rencontres et les organisent.

F. W.: Le FSM est-il un espace ou un mouvement ? En considérant son pouvoir de mobilisation, les plus pressés ou les plus angoissés par l’évolution du monde préféreraient bien sûr qu’il puisse devenir lui-même un nouvel acteur politique à part entière et ne se réduise pas au rôle intermédiaire de forum-espace. Dans cette autre perspective, le FSM devrait identifier des objectifs prioritaires et urgents de lutte (qui seraient alors présentés par exemple dans un document final), et créer des structures de coordination, une fois ces objectifs identifiés, pour mener l’action nécessaire qui permette de les mettre en oeuvre.

Ce débat n’est pas fini. En tout cas, ceux qui voient le FSM comme un espace nécessaire au développement des luttes de ses participants, n’ont pas beaucoup de doutes sur l’effet négatif qu’engendrerait un tel changement de nature. Jusqu’à présent, ils ont réussi à garantir le respect de la Charte de Principes dans la plupart des évènements organisés à l’intérieur de la mouvance du Forum Social Mondial.

S. F.: Les forums seraient donc un espace d’espérance à l’intérieur d’un modèle hégémonique qui préconise, dans les faits, une option diamétralement opposée?

F. W.: Chaque rencontre – mondiale, régionale, locale – du processus Forum Social Mondial est ainsi un temps d’apprentissage d’une nouvelle culture politique, dans laquelle la compétition est remplacée par la coopération, ce qui explique le climat d’allégresse des ces rencontres.

En fait, des centaines de milliers de personnes qui adhèrent de plus en plus à cette démarche (dont un nombre croissant de jeunes, ouverts à la générosité et à l’espérance) se situent mieux dans une perspective plus optimiste sur la nature humaine. Cette perspective – bien différente de celle adoptée par les dirigeants actuels de l’économie mondiale – a été bien résumée par Hazel Henderson, dans un article sur l’imposture du prix Nobel d’économie (Le Monde Diplomatique – février 2005), que l’on peut résumer ainsi: l’être humain n’est pas un agent économique rationnel, ayant un cerveau reptilien obsédé par le souci de maximiser son propre intérêt, à partir de la peur et de la rareté.

Ses motivations, plus complexes, incluent le soin des autres et le partage. Tout cela a aussi, comme conséquence politique très précise, la naissance effective d’un nouveau acteur politique – indépendant du Forum – qui marquera certainement ce nouveau siècle: ce réseau horizontal et démocratique non dirigé que l’on peut appeler «société civile «. Elle est en effet le seul acteur pouvant avoir, par l’essor de la co-responsabilité de tous les citoyens de la planète, un pouvoir suffisant pour que la construction d’un «autre monde» soit effectivement possible. JB

Francisco «Chico» Whitaker Ferreira, une figure emblématique du mouvement social brésilien

Figure emblématique du mouvement social brésilien, Francisco Whitaker Ferreira – «Chico» pour le grand public – sera les des hôtes de marque ce week-end du 2e Forum Social Suisse, qui réunira à l’Université de Fribourg plusieurs centaines de participants et de nombreuses ONG de la société civile. Cet intellectuel pauliste aux cheveux blancs de 73 ans a passé 11 années d’exil en France, et 4 autres au Chili.

8 ans durant conseiller municipal du Parti des Travailleurs (PT) à Sao Paulo, parti où il milite depuis deux décennies, Chico Whitaker n’a jamais caché son appartenance politique. Cela ne l’a pas empêché de recevoir un «appui total» de la CNBB pour lancer avec d’autres le 1er Forum Social Mondial (FSM) et une imposante campagne de lutte contre la corruption électorale. Il a commencé son action politique dans les années 50, alors qu’il était étudiant en architecture et membre de la Jeunesse étudiante catholique universitaire JUC. Dans sa jeunesse, il militera avec le Père Joseph Lebret et Mgr Helder Camara, «l’évêque rouge» durant la dictature militaire brésilienne. (apic/be)

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