Syrie: Rencontre avec le Père jésuite Paolo Dall’Oglio, fondateur du monastère de Deir Musa

Apic Interview

Rapprochement islamo-chrétien plus urgent que jamais

Jacques Berset, agence Apic

Genève, 8 mars 2006 (Apic) Au débouché d’un oued, dans un paysage désertique aux tons ocres, voici les murailles haut perchées de Deir Mar Musa al-Habachi, Saint Moïse l’Abyssin. A près de 1’300 m d’altitude, le monastère couleur terre domine les plaines du désert syrien, un peu en retrait, à 25 km à l’est de la ville de Nabek, sur la route reliant Damas à Homs et Hama. Son fondateur, le Père Paolo Dall’Oglio, est un digne successeur de Matteo Ricci.

Le jésuite italien tente aujourd’hui, comme son prédécesseur en Chine au XVIème siècle, de promouvoir la compréhension d’un autre monde qui nous semble menaçant. A une époque de grandes tensions entre les cultures, aggravées par l’invasion américaine du voisin irakien et l’affaire des caricatures de Mahomet, le rapprochement entre chrétiens et musulmans semble au Père Paolo plus urgent que jamais.

Pour ce grand connaisseur de la langue et de la culture arabe – qui était de passage vendredi dernier à Saint-Boniface, un Centre placé sous la responsabilité des jésuites à Genève – il s’agit de réinventer la relation positive qui existait entre les premiers musulmans et les moines chrétiens vivant alors sur les bords des déserts d’Arabie. En installant sa communauté dans le désert syrien il y a deux décennies, Paolo Dall’Oglio espérait – et il espère toujours – établir un modèle de dialogue entre chrétiens et musulmans.

Apic: Père Paolo, présentez-nous un peu votre parcours .

Père Paolo: Elève des jésuites – les Pères, à l’époque, m’avaient mis à la porte de l’école! – j’ai cependant rejoint la compagnie de Jésus à 21 ans, après mon service militaire et un pèlerinage en Terre Sainte. A 23 ans déjà, j’étais au Liban, car j’ai tout de suite eu la passion pour l’islam et me suis mis à l’arabe. profondément, et avec une rage d’inculturation.

Après une formation de philosophie et de théologie à Rome – ma ville – et à Naples, où j’ai obtenu une licence en civilisation islamique et langue arabe, j’ai fait un doctorat à l’Université grégorienne de Rome sur les relations islamo-chrétiennes, avec une thèse ayant pour titre «L’espérance en islam». Finalement, en 1981, je me suis rendu à Damas, étudier l’arabe et les sciences islamiques.

Apic: Dès le départ, vous avez une vraie amitié pour l’islam, une intuition sur son importance pour l’avenir de l’humanité!

Père Paolo: J’ai toujours pensé que l’Eglise ne pouvait pas ne pas s’intéresser au monde musulman. C’est une des problématiques contemporaines principales pour l’Eglise, de mon point de vue. Ce n’est un monde ni ennemi ni interdit à l’amour de Jésus et de ses disciples. Les musulmans ont certainement des richesses à partager que seuls le dialogue et la relation peuvent rendre disponibles. Pour moi, il s’agissait d’explorer toutes ces pistes, avec un profond amour pour cette réalité.

Il y avait un endroit qui m’attendait et je suis tombé sur le monastère de Deir Mar Musa al-Habachi. C’était une ruine abandonnée depuis 150 ans. Au début, avec une équipe de bénévoles, des Syriens surtout, des Libanais et quelques Européens, on s’est mis à restaurer ces ruines dont les premières traces remontent au VIème siècle. A l’origine, c’était une tour romaine, placée là pour défendre les routes de l’empire.

Les premiers ermites se sont installés au VIème siècle, avant que les moines ne bâtissent le monastère actuel au XIème siècle. Ce monastère était syrien orthodoxe jusqu’en 1831, avant qu’il ne devienne syrien catholique et ne tombe en ruines. Les chrétiens des petits villages alentours n’avaient ni les moyens ni la vision pour s’en occuper: les magnifiques fresques syriaques étaient complètement délabrées, en partie couvertes par d’autres enduits. On fait plusieurs campagnes de restaurations de ces 250 m2 de fresques – c’est une collection unique de fresques chrétiennes datant de différentes époques allant du 7° au 12° siècles – notamment avec la Coopération italienne et celle de l’Union européenne.

Apic: Finalement, vous avez fondé une communauté monastique dans ce désert.

Père Paolo: Effectivement, une communauté d’une dizaine de personnes, hommes et femmes, une petite levure, une petite semence. Actuellement, quatre sont à Rome pour faire leur théologie, à savoir trois Syriens (dont deux religieuses) et un Suisse, frère Jens Petzold, de Zurich. Sur place, à Deir Mar Musa, nous sommes cinq autres, aidés par des volontaires, dont deux Françaises venues pour deux ans: Diane, qui s’occupe d’agriculture, d’environnement et de développement durable, et Eglantine, en charge de la bibliothèque et du secrétariat international. Grâce à notre troupeau de chèvres, nous avons une production fromagère, sans compter des projets: raisin, oliviers, pistachiers, amandiers, figuiers, une boutique, notamment pour les touristes.

Apic: Le monastère est donc mixte. Comment Rome voit-il la chose ?

Père Paolo: Il y a un bâtiment pour les hommes et un autre pour les femmes, ensuite un bâtiment central pour la vie commune, avec l’église, la cuisine, le réfectoire. Nous prions et mangeons ensemble. De plus, nous sommes toujours là pour les hôtes, qui viennent nous visiter de partout dans le monde – certains ont vu notre adresse sur le Guide du Routard – , pour vivre et prier quelques jours avec nous. Il n’y a pas de séparation entre hommes et femmes.

Je suis le supérieur de la communauté, qui dépend du point de vue canonique de l’évêque syriaque catholique de Homs, Hama et Nebek, Mgr Georges Kassab. Mais nous avons demandé au Saint-Siège une reconnaissance de notre forme de vie, et on attend l’approbation romaine. Si notre vie, certes, est très particulière, nous avons reçu dernièrement de très bonnes nouvelles.

Nos constitutions, pour lesquelles nous devrons apporter quelques retouches, ont passé l’examen de la Congrégation pour les Eglises orientales, et des autres Congrégations romaines requises, dont celle de la Doctrine de la foi. On a affaire à une attitude positive, un pas a été franchi. On note l’attention évidente que Rome porte à nos relations de grande amitié avec l’islam.

Apic: En 2003, avant l’invasion de l’Irak, vous avez fait une semaine de jeûne contre la guerre à Deir Musa. Vous pressentiez le pire!

Père Paolo: Bien sûr, nous étions contre la guerre, car je ne pouvais pas imaginer que la communauté internationale pouvait faire tomber un dictateur comme Saddam Hussein par la force des armes. En semant une terrible pagaille dans toute la région. On pressentait bien avant l’invasion américaine ce qui allait malheureusement arriver.

Mais il faut rester optimiste, de l’optimisme de la foi, et croire que le Proche-Orient peut sortir du cercle de la violence. Nous travaillons en Syrie pour rester une exception, car le danger de guerre civile existe au Liban, et en Irak, c’est déjà commencé. Il y a le risque que toute la région s’enflamme.

Apic: Comment voyez-vous le futur de la Syrie à court et moyen termes ?

Père Paolo: Nous sommes engagés dans un processus d’évolution démocratique et structurelle «à la syrienne». Les signes sont là depuis plusieurs années, avec le président Bachar al-Assad. On voit en Syrie l’émergence d’une société civile efficace, qui a conscience de ne pas vouloir céder à la mondialisation financière et culturelle promue par la seule grande puissance qui compte vraiment, les Etats-Unis.

La Syrie ne peut certainement pas se passer d’alliés comme l’Iran, sans parler de ses relations étroites avec l’Arabie Saoudite, les pays du Golfe, le Liban. La Syrie était proche d’un pacte d’association avec la Communauté européenne, et elle ne va pas renoncer à développer ses relations tous azimuts.

Apic: La guerre civile se développe en Irak et menace la Syrie.

Père Paolo: Nous travaillons sur un modèle de multipolarisme, dans lequel la Syrie trouve sa voie en ayant de bonnes relations avec l’Europe, les Américains, l’Inde, la Chine, le Brésil, dans une logique arabe et musulmane. Il s’agit de faire en sorte que la Syrie échappe à la guerre civile – les Syriens ne veulent pas un bain de sang! – , et puisse garder ses acquis nationaux et les développer. Le risque immédiat de tomber dans la violence comme en Irak est désormais dépassé, mais il faut rester vigilants, et ce n’est pas seulement la responsabilité des Syriens.

Tout monde sait en Syrie que l’on a besoin de transparence, de liberté d’expression et d’association, de liberté de conscience. Les Syriens ont de la patience, et sont d’accord d’obtenir leurs droits dans la gradualité et la non-violence. On se réjouit d’avoir déjà une vraie liberté de religion, et de voir que les autres libertés sont en train de se développer. Il faut bâtir sur un mûrissement des relations entre les différentes composantes de la société syrienne: la majorité sunnite, les minorités chiites, dont les alaouites, chrétiennes, druzes. Nous travaillons encore sur l’idée de nation arabe, où les différences d’appartenance communautaire ne font pas le poids face à l’appartenance commune.

Apic: Pour le moment, les chrétiens qui le peuvent quittent le pays!

Père Paolo: On pense qu’il reste moins de 10% de chrétiens – plutôt 7% – actuellement en Syrie et nous travaillons à une hypothèse pessimiste: que d’ici 20 ans, il n’y ait plus que 1,5% de chrétiens en Syrie, mais qui soient heureux d’être chrétiens en milieu musulman. Nous souhaitons des chrétiens en faveur du monde musulman, qui soient, comme dit très bien le patriarche melkite de Damas, Grégoire III Laham, l’Eglise de l’islam.

Nous considérons comme un privilège que la Providence nous ait envoyés là et nous demande d’être des témoins de Jésus, ensemble avec le témoignage au Dieu unique et miséricordieux des musulmans. Notre amitié est réelle: nous avons créé ensemble avec des partenaires locaux un Parc national et une activité touristique, et nous travaillons ensemble à une recherche dans le domaine de la biodiversité végétale.

Nous avons d’autres projets communs, comme l’édification d’une voie touristique, culturelle et spirituelle au nom d’Abraham, de la Turquie jusqu’à la Palestine (*). Cela nous permet d’envisager autrement le futur, que les frontières deviennent des lieux de rencontre et pas des lieux de tensions. JB

Encadré

Charles de Foucauld, l’une des sources de l’identité spirituelle de Deir Mar Musa

La béatification, le 13 novembre dernier, à Rome, du Père Charles de Foucauld a été pour la communauté de Deir Mar Musa un signe important, car elle le considère comme une des sources de son identité spirituelle. Pour la béatification, des moines de Deir Mar Musa, Frères Jacques et Boutros, ont rejoint le groupe des étudiants en théologie présents à l’Université Grégorienne, Jens, Houda et Jihad. Sur place, à Deir Mar Musa, un bon nombre d’amis, et parmi eux deux Petits Frères de Jésus – congrégation directement inspirée par la spiritualité foucaldienne -, se sont rassemblés pour prier à cette occasion.

«Nous avons ainsi inauguré l’antenne satellitaire pour suivre en direct la cérémonie sur le grand écran de la nouvelle salle de Deir el-Hayek. La semaine suivante, c’était les Petites Soeurs de Jésus qui rassemblaient tout le monde à Seydnaya, pas loin de Damas, pour une veillée de célébration. Notre communauté était très bien représentée et nous avons tous senti que le Frère Charles s’occupe efficacement de nous», témoigne le Père Paolo. JB

Encadré

Le projet du «Chemin d’Abraham» prend peu à peu forme (*)

Le projet du «Chemin d’Abraham» (cf. www.abrahampath.org). prend peu à peu forme. Il devrait partir de Urfa et Harran, en Haute Mésopotamie turque, et cheminer tout le long de la Syrie (Euphrate, Alep, Hama, Deir Mar Musa, Damas) et à travers la Jordanie jusqu’à Jérusalem et Hébron-Khalil en Terre Sainte Dans ce cadre, Deir Mar Musa attend dans les prochaines années (graduellement à partir de 2008) nombreux visiteurs. Les moines réfléchissent à l’énorme effort d’organisation que cela va signifier, tout en voyant également la nécessité d’approfondir encore leur théologie de l’hospitalité. Les pèlerins attendus seront de tradition juive, chrétienne et musulmane mais aussi d’autres traditions et spiritualités. JB

Des illustrations sur les chrétiens de Syrie peuvent être commandées à l’agence CIRIC, Bd de Pérolles 36 – 1705 Fribourg. Tél. 026 426 48 38 Fax 026 426 48 36 Courriel: info@ciric.ch Dorénavant, les photos de CIRIC peuvent être commandées automatiquement par internet sur le site www.ciric.ch (apic/be)

8 mars 2006 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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Apic – Interview

Fribourg: Le Brésilien «Chico» Whitaker au Forum social suisse (FSS) du 3 au 5 juin 2005

Il existe une alternative à la «pensée unique»

Sergio Ferrari, E-CHANGER, pour l’Apic

Fribourg, 2 juin 2005 (Apic) Le Brésilien Francisco «Chico» Whitaker sera à nouveau en Suisse à l’occasion du 2e Forum social suisse (FSS) qui se tient du 3 au 5 juin 2005 à l’Université de Fribourg. Ancien secrétaire exécutif de la Commission «Justice et Paix» de la Conférence nationale des évêques du Brésil (CNBB), Francisco Whitaker appartient à l’une des 8 organisations qui ont fondé le Forum social mondial (FSM) qui a tenu ses premières assisses fin janvier 2001 à Porto Alegre, au Brésil.

5 ans plus tard, les forums sociaux – à l’échelle mondiale, continentale, régionale et nationale – sont devenus des espaces incontournables de rencontre pour le mouvement altermondialiste.

Sergio Ferrari: A la veille de l’ouverture du Forum social suisse à Fribourg, pourriez-vous nous rappeler le cadre historique du Forum social mondial ?

Francisco Whitaker: Alors que le 21e siècle débutait, une nouveauté a émergé à l’échelle mondiale: le Forum social mondial, qui s’est réuni pour la première fois en janvier 2001 à Porto Alegre (Brésil), en même temps que le Forum économique de Davos. Affirmant de manière centrale qu’ «un autre monde est possible», cette rencontre s’est répétée en 2002 et en 2003, avec une augmentation du nombre de participants, avec des débats, des manifestations de rue et des décisions pour mener des actions transformatrices.

En 2004, la session du FSM s’est tenue à Mumbai, en Inde, et, fin janvier 2005, une nouvelle session a rassemblé plus de 150’000 personnes, à nouveau à Porto Alegre. Pour la suite, une série de forums liés entre eux se tiendront en 2006. En 2007, une nouvelle rencontre mondiale se tiendra en Afrique. En tout cas, il est absolument clair qu’il est devenu impossible d’ignorer le Forum Social Mondial, ainsi que les Forums sociaux régionaux, nationaux et locaux, qui s’organisent depuis 2002.

S.F.: Comment expliquer la montée en puissance de ces forums sociaux ?

F. W.: Les forums rassemblent ceux et celles pour qui les intérêts des êtres humains – y compris le respect à la nature – doivent être au centre de toute décision politique, et non l’argent et son accumulation. Le choix de la date pour réaliser ce Forum a voulu d’ailleurs montrer qu’il existe une alternative à la «pensée unique» – centrée sur l’expansion des affaires – des dirigeants mondiaux qui se réunissent tous les ans à Davos. Il est certain aussi qu’au Forum Social Mondial les méfaits du type de globalisation qui s’est imposée sont dénoncés, pour qu’on puisse tisser, entre les peuples, des liens de solidarité menant à une paix durable entre nations.

Les participants du Forum veulent également que partout des gouvernements élus démocratiquement s’engagent efficacement en faveur de la diminution des inégalités sociales à l’intérieur de leurs pays et entre les pays du monde. La démarche du Forum va plus loin: il ouvre de nouveaux chemins dans la recherche de solutions pour les problèmes du monde. Et c’est cela qui explique son succès.

S.F.: Vous parlez de nouvelles voies, de nouvelles méthodes ? Qu’offre-t-on de vraiment nouveau dans ces forums sociaux?

F. W.: C’est une nouvelle manière de faire de la politique. Toutefois, ses organisateurs ne l’ont pas inventé. Ils n’ont fait que recueillir des expériences de la lutte de l’humanité contre les différents types de dominations, durant ces trois dernières décennies: des expériences qui ont fait surgir des structures organisées en réseau, basées sur la non- directivité et des rapports horizontaux de pouvoir.

La proposition fondatrice du Forum social mondial consiste à passer du stade de la seule résistance – avec les manifestations de protestation qui se multipliaient d’ailleurs à l’échelle mondiale – à celui de la proposition d’alternative. Ensuite, elle a mis en avant une valeur essentielle pour le monde que nous souhaitons tous: le respect de la diversité.

Les Forums sociaux sont ouverts, sans discriminations, à tous ceux qui veulent changer le monde, en respectant les choix, la culture, le rythme de chacun/e – tout en refusant les moyens violents pour réaliser ces changements. Ils sont d’autre part organisés selon la logique des réseaux: aucun participant et aucune activité a plus d’importance que les autres, et tous sont co-responsables de l’événement (au Forum de 2005, toutes les activités réalisées, près de 2’000, ont été autogérées par ceux qui les ont proposées).

S.F.: Vous vous méfiez des leaders charismatiques.

F.W.: Le FSM rejette en effet les théories et les pratiques d’action politique basées sur l’action de leaders charismatiques ou d’avant-gardes éclairées. En ce sens, ceux qui organisent les forums ne les dirigent pas. Ils ne sont que des facilitateurs. Personne ne peut parler au nom du FSM ou prétendre le représenter, puisqu’il n’est ni un mouvement ni une entité.

Le FSM est simplement un espace de rencontre, dans lequel les différentes organisations de la société civile peuvent se reconnaître (en dépassant les barrières qui les divisent), s’entraider, apprendre les unes des autres, bâtir de nouvelles alliances et lancer de nouvelles initiatives.

S.F.: Existe-t-il un consensus à l’échelle internationale sur concept de Forum social? Il semble que cette conception ne soit pas entièrement partagée par l’ensemble de ceux qui participent à ces rencontres et les organisent.

F. W.: Le FSM est-il un espace ou un mouvement ? En considérant son pouvoir de mobilisation, les plus pressés ou les plus angoissés par l’évolution du monde préféreraient bien sûr qu’il puisse devenir lui-même un nouvel acteur politique à part entière et ne se réduise pas au rôle intermédiaire de forum-espace. Dans cette autre perspective, le FSM devrait identifier des objectifs prioritaires et urgents de lutte (qui seraient alors présentés par exemple dans un document final), et créer des structures de coordination, une fois ces objectifs identifiés, pour mener l’action nécessaire qui permette de les mettre en oeuvre.

Ce débat n’est pas fini. En tout cas, ceux qui voient le FSM comme un espace nécessaire au développement des luttes de ses participants, n’ont pas beaucoup de doutes sur l’effet négatif qu’engendrerait un tel changement de nature. Jusqu’à présent, ils ont réussi à garantir le respect de la Charte de Principes dans la plupart des évènements organisés à l’intérieur de la mouvance du Forum Social Mondial.

S. F.: Les forums seraient donc un espace d’espérance à l’intérieur d’un modèle hégémonique qui préconise, dans les faits, une option diamétralement opposée?

F. W.: Chaque rencontre – mondiale, régionale, locale – du processus Forum Social Mondial est ainsi un temps d’apprentissage d’une nouvelle culture politique, dans laquelle la compétition est remplacée par la coopération, ce qui explique le climat d’allégresse des ces rencontres.

En fait, des centaines de milliers de personnes qui adhèrent de plus en plus à cette démarche (dont un nombre croissant de jeunes, ouverts à la générosité et à l’espérance) se situent mieux dans une perspective plus optimiste sur la nature humaine. Cette perspective – bien différente de celle adoptée par les dirigeants actuels de l’économie mondiale – a été bien résumée par Hazel Henderson, dans un article sur l’imposture du prix Nobel d’économie (Le Monde Diplomatique – février 2005), que l’on peut résumer ainsi: l’être humain n’est pas un agent économique rationnel, ayant un cerveau reptilien obsédé par le souci de maximiser son propre intérêt, à partir de la peur et de la rareté.

Ses motivations, plus complexes, incluent le soin des autres et le partage. Tout cela a aussi, comme conséquence politique très précise, la naissance effective d’un nouveau acteur politique – indépendant du Forum – qui marquera certainement ce nouveau siècle: ce réseau horizontal et démocratique non dirigé que l’on peut appeler «société civile «. Elle est en effet le seul acteur pouvant avoir, par l’essor de la co-responsabilité de tous les citoyens de la planète, un pouvoir suffisant pour que la construction d’un «autre monde» soit effectivement possible. JB

Francisco «Chico» Whitaker Ferreira, une figure emblématique du mouvement social brésilien

Figure emblématique du mouvement social brésilien, Francisco Whitaker Ferreira – «Chico» pour le grand public – sera les des hôtes de marque ce week-end du 2e Forum Social Suisse, qui réunira à l’Université de Fribourg plusieurs centaines de participants et de nombreuses ONG de la société civile. Cet intellectuel pauliste aux cheveux blancs de 73 ans a passé 11 années d’exil en France, et 4 autres au Chili.

8 ans durant conseiller municipal du Parti des Travailleurs (PT) à Sao Paulo, parti où il milite depuis deux décennies, Chico Whitaker n’a jamais caché son appartenance politique. Cela ne l’a pas empêché de recevoir un «appui total» de la CNBB pour lancer avec d’autres le 1er Forum Social Mondial (FSM) et une imposante campagne de lutte contre la corruption électorale. Il a commencé son action politique dans les années 50, alors qu’il était étudiant en architecture et membre de la Jeunesse étudiante catholique universitaire JUC. Dans sa jeunesse, il militera avec le Père Joseph Lebret et Mgr Helder Camara, «l’évêque rouge» durant la dictature militaire brésilienne. (apic/be)

2 juin 2005 | 00:00
par webmaster@kath.ch
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