Corinne Gossauer-Peroz, accompagnatrice spirituelle en EMS vaudois | © Grégory Roth
Suisse

Corinne Gossauer-Peroz: apprendre à habiter l’absence d’enfants

Vivre sans enfant n’est pas toujours un choix. Cela peut aussi être un chemin de deuil. Dans son dernier livre Au creux de l’être. Vivre sans enfant, Corinne Gossauer-Peroz souhaite rassurer les couples: l’enfantement n’est pas le seul moyen de fécondité.

Engagée depuis 2017 comme aumônière dans plusieurs établissements médico-sociaux (EMS) du canton de Vaud, Corinne Gossauer-Peroz a écrit un livre sur la vieillesse en 2020. Mariée pendant plus de vingt ans et n’ayant pas eu d’enfant, elle revient avec ce recueil, publié en 2022 aux éditions Prisme/Saint-Augustin, sur la situation des personnes qui n’ont pas pu avoir d’enfant. Infertilité temporaire ou définitive, deuil périnatal, nombreux sont les couples qui vivent une véritable traversée de désert.

Le sujet est sensible. Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire ce livre?
Corinne Gossauer-Peroz: Cette question m’habite parfois [sourire]. Le déclencheur est de passer la cinquantaine et de poser un regard apaisé sur sa propre biographie. Mais ce qui a forgé ce livre, c’est surtout ma présence comme aumônière d’EMS, et de voir la vieillesse et la fin de vie, avec ou sans la présence des enfants. Cette situation n’est jamais réglée. Être sans enfant, ça t’accompagne jusqu’au bout de la vie. Quand tu rentres en EMS, on te dira: «Est-ce que vous avez des enfants? Qui est la personne de contact?». En accompagnant la vieillesse, je vois aussi le poids de la transmission: avoir des enfants, c’est laisser une trace de son amour et de ses valeurs.

«Les fausses-couches et le deuil périnatal sont fréquents, mais le sujet reste tabou»

J’accompagne une génération pour laquelle le deuil périnatal n’avait pas sa place et, régulièrement, les souffrances ressortent. Dans le parcours d’une femme, si les fausses-couches ou le deuil autour de la naissance sont fréquents, le sujet reste tabou. C’est pourquoi j’ai souhaité que ce livre soit poétique, humain et solidaire. Mais il fallait aussi que je sois au clair sur ma propre souffrance. Cet écrit est à la fois un témoignage personnel et très universel. C’est l’histoire de mon couple, mais aussi l’histoire de beaucoup de couples.

Comment avez-vous personnellement vécu cette situation?
Alors que je ne me sentais pas maternelle, j’ai été douloureusement surprise par mon désir de maternité, une fois mariée. Notre couple était exposé au regard et aux attentes des autres. C’est d’ailleurs toujours à la femme qu’on pose les questions: «C’est pour quand le bébé? Allez-vous bientôt agrandir la famille? etc.» Bien qu’étant en couple, je me sentais lourde de cette solitude liée à l’absence d’enfants et de l’angoisse liée à l’horloge biologique. J’ai dû apprendre à habiter le manque, surtout pendant les périodes de Noël et de la Fête de mères, pour pouvoir donner sens à ce ‘sans enfant’ et finir par trouver l’apaisement. Dans ma situation, la souffrance m’a mise en solidarité, en empathie avec les autres. Et dans mon travail d’accompagnement spirituel, j’ai trouvé une autre manière de donner la vie.

«Ma place est de ne pas donner la vie de manière physique… Comment faire éclore la vie autrement?»

Écrire ce livre a été une thérapie?
Non, la thérapie a été faite bien plus tôt. Après la séparation et le divorce, j’ai été accompagnée par des amis et des professionnels. Ce livre est une réflexion sur l’aspect universel du deuil, de l’absence ou de la perte. Que faire du manque? J’ai écrit un poème dont voici un extrait: «Comment trouver et sentir cet élan fluide et naturel qui me confirmerait que oui, je suis là à ma place. Cette place qui est de ne pas donner la vie de manière physique… Comment faire éclore la vie autrement? De mille manières! […] Découvrir ma couleur. La couleur de ma créativité. Découvrir ce qui me met en joie. […] Soigner et nourrir cette vie. En moi, autour de moi, pour d’autres.» (p. 142-143)

Corinne Gossauer-Peroz entremêle narrations et poème dans son livre | © Grégory Roth

Est-ce que l’Église devrait davantage soutenir les personnes en situation de deuil prénatal?
Pour établir un suivi, il faut d’abord que les personnes s’ouvrent. Le danger [pour l’Église, ndlr.] serait de vouloir leur trouver des solutions à tout prix et trop rapidement. Le défi pastoral est d’accompagner au rythme des saisons du couple, avec humilité. Car la perte est un deuil, et elle nécessite un cheminement. Comment l’Église peut accompagner ce «sans», alors qu’elle encourage le couple à la procréation, voire à l’adoption? Dans sa vision des différents états de vie, l’Église n’a pas évolué au rythme de la société. Il y a d’un côté les familles et de l’autre les consacrés. Mais j’ai l’impression qu’elle ne sait pas exactement où «caser» un couple sans enfant.

«Il faut trouver une personne de confiance, un ‘tiers fiable’, qui puisse écouter sans juger»

Quelle structure peut alors répondre à cette réalité?
Des structures existent, comme des Cercles de femmes ou le groupe romand Des étoiles dans le cœur, dont les fondatrices témoignent dans le livre. Mais cette réalité doit d’abord s’inscrire dans une démarche personnelle. Il faut trouver une personne de confiance, un «tiers fiable», comme le suggère Véronique Margron (p. 65-68). Pour répondre à cette réalité, un tiers fiable est essentiel, pour parler d’amour et de sexualité. Quelqu’un qui puisse écouter sans juger. Et qu’il ou elle puisse aussi mettre des mots sur ses propres souffrances. C’est un échange d’expérience qui est nécessaire à toute étape de vie et qui, pour moi, a été source d’apaisement et de consolation.

Quelles sont les paroles qui vous ont aidée à avancer et que vous souhaiteriez partager?
Ne pas pouvoir enfanter n’est pas un échec ou une anormalité. La phrase qu’une sexologue nous avait dite, alors que nous consultions en couple, est reste gravée en moi: «Vous êtes normaux! Continuez à dialoguer!» (p. 34). Ce sont des mots simples qui ont été un encouragement sans prix, alors que notre situation commençait à nous faire croire qu’une anormalité nous avait frappés. Et face à la pression de la société, il est important de rappeler que l’on peut être femme sans être mère. J’espère que les jeunes générations ne seront pas seulement mieux informées sur la sexualité – car il y a aujourd’hui davantage de littérature sur l’épreuve de l’infécondité –, mais trouveront un «tiers fiable» pour en parler. (cath.ch/gr)

Corinne Gossauer-Peroz
Née en 1964 en Algérie, Corinne Gossauer-Peroz a grandi en France. Elle a été, durant 26 ans, officière (pasteure) au sein de l’Armée du Salut en Suisse, en France et en Angleterre. Depuis 2017, elle travaille au sein de l’Église catholique du canton de Vaud comme aumônière dans plusieurs EMS de la Broye vaudoise. Elle a publié Prier 15 jours avec W. et C. Booth, fondateurs de l’Armée du Salut (éd. Nouvelle Cité, 2008), Garde-moi vivant! Vieillir et le dire (éd. Saint-Augustin, 2020) et Au creux de l’être. Vivre sans enfant (éd. Prisme, 2022). GR

Corinne Gossauer-Peroz, accompagnatrice spirituelle en EMS vaudois | © Grégory Roth
27 septembre 2023 | 17:00
par Grégory Roth
Temps de lecture: env. 5 min.
couple (17), Deuil (19), Enfants (106), Infertilité (10), parents (9)
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