Le chemin synodal allemand souhaite un changement de la morale sexuelle de l'Eglise | photo: Mgr Georg Bätzing, président de la Conférence des évêques allemands rencontre des manifestants pro-LGBT à Francfort, le 3 février 2022 © KEYSTONE/DPA/Sebastian Gollnow
International

Le pape opposera-t-il son veto au chemin synodal allemand?

L’assemblée de clôture du processus synodal allemand a délivré, le 5 février 2022, une série de propositions pour l’Eglise, dont une réforme de sa morale sexuelle. Des observateurs s’interrogent sur la réaction du Vatican et du pape vis-à-vis de ces demandes, dont certaines touchent en profondeur la doctrine.

Les deux tiers de l’assemblée plénière, de près de 230 délégués, dont des évêques, réunis du 3 au 5 février 2022 à Francfort, ont approuvé plusieurs textes demandant des réformes d’envergure dans l’Eglise, rapporte le média Katholische Nachrichtenagentur (KNA).

Le premier document, dit «d’orientation», est purement théologique. Il traite des sources dans lesquelles l’Église puise ses vérités. En plus des sources connues, telles que la Bible, la Tradition et le Magistère, le texte en suggère trois autres: la science théologique, les «signes des temps» et le «sens de la foi du peuple de Dieu».

Le deuxième texte concerne le pouvoir dans l’Eglise. S’il ne remet pas complètement en question la hiérarchie traditionnelle, il demande une plus grande marge de codécision pour les laïcs. Le Synode allemand souhaite que les principes de l’État de droit démocratique soient désormais l’aune de l’Église. L’institution serait ainsi «ordonnée par le synode».

L’assemblée a également approuvé un texte demandant une plus grande participation des laïcs dans le choix des évêques.

«L’homosexualité n’est pas un péché»

Pour le journaliste de KNA, Ludwig Ring-Eifel, ces points ne devraient pas poser de réels problèmes à Rome. Il souligne que l’ouverture à d’autres «sources de vérité» aurait certainement été rejetée, il y a seulement quelques années, par la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF). Mais, aujourd’hui, il ne s’attend pas à ce que le Vatican y oppose son veto.

Les perspectives sont très différentes pour les autres textes approuvés à Francfort, qui traitent de morale sexuelle. Le Synode allemand demande concrètement une modification des déclarations sur la contraception ainsi que sur l’homosexualité dans le Catéchisme de l’Eglise catholique, le recueil de textes qui définit la doctrine.

«La rupture avec la doctrine traditionnelle serait trop flagrante»

Ludwig Ring-Eifel

L’un des deux documents dits «d’action» recommande au pape de procéder à une «précision et une réévaluation doctrinales de l’homosexualité». La sexualité vécue entre personnes de même sexe n’est pas un péché et «ne doit pas être jugée comme intrinsèquement désordonnée», est-il écrit. «Comme l’orientation homosexuelle fait partie de l’identité de l’homme tel qu’il a été créé par Dieu, elle ne doit pas être jugée éthiquement de manière différente de toute autre orientation sexuelle». Les participants à l’assemblée ont estimé de façon unanime qu’il ne devait pas y avoir de discrimination envers les homosexuels dans l’Église.

Le deuxième texte «d’action» suggère de développer la compréhension de «l’amour conjugal» dans le Catéchisme, notamment en ce qui concerne la contraception, qui n’est autorisée que de manière très limitée selon l’enseignement catholique officiel. «Que la conception d’un enfant ne doive et ne puisse jamais être jugée comme un malheur reste la valeur élevée que l’Eglise défend à partir de sa conception de l’homme, même si elle n’exige pas de fixer des méthodes particulières de contraception», soutient le document.

Peu de chances d’acceptation

Ludwig Ring-Eifel estime peu probable que ces dernières résolutions du chemin synodal allemand reçoivent l’approbation du Vatican. «La rupture avec la doctrine traditionnelle serait trop flagrante».

Il n’y a en outre peu de chances que Rome entre en matière concernant un assouplissement des règles de célibat pour les prêtres et l’accès des femmes au diaconat, bien que le pape François ait indiqué à plusieurs reprises son ouverture de principe à cette dernière idée. Mais les chances qu’il l’autorise pour l’Allemagne en délivrant une permission spéciale – telle que préconisée par le Chemin synodal – sont néanmoins minces, juge le journaliste de KNA.

Le cardinal Gerhard Ludwig Müller, ancien préfet de la Congrégation romaine pour la doctrine de la foi, est très critique envers le chemin synodal allemand | © Jacques Berset

Un rejet est aussi à prévoir pour la bénédiction des unions homosexuelles, souhaitée dans les textes allemands. Ici, la question ne serait pas de savoir si Rome l’accepterait, mais si des mesures seraient prises contre les évêques qui autoriseraient ou encourageraient une telle démarche.

Il ne faut en outre pas s’attendre à une tolérance concernant l’appel du chemin synodal en faveur de l’accession des femmes au sacerdoce. En effet, le droit canonique stipule que la simple tentative d’ordonner une femme prêtre entraîne automatiquement l’excommunication. Aucun mouvement en ce sens ne serait donc possible sans un changement de cette disposition.

Le cardinal Müller critique les «apostats»

Selon KNA, le débat, à Francfort, a été «animé mais objectif». Plusieurs voix se sont élevées pour affirmer que la morale sexuelle catholique en vigueur n’avait plus grand chose à voir avec la réalité de nombreux catholiques. Certains participants ont critiqué le fait qu’elle interférait trop dans la vie intime des couples et qu’elle serait trop focalisée sur le sexe.

Des voix plus conservatrices ont cependant brandi le spectre d’une «dévalorisation totale de la doctrine existante». Plusieurs évêques ont mis en garde contre une rupture avec l’enseignement de l’Eglise.

Une attaque particulièrement violente est venue du cardinal Gerhard Ludwig Müller, ancien préfet de la CDF. Dans une interview donnée au journal américain National Catholic Register, il estime que les partisans du chemin synodal «ne sont pas des réformateurs», mais qu’ils poussent à «une déformation de l’Église, une sécularisation de la maison du Dieu trinitaire». Pour le prélat allemand, le problème clé est le désir de faire des compromis avec le monde.

Les dignitaires de l’Église et les laïcs qui défendent ces vues «anticatholiques» ne croient pas au Jugement dernier, soutient le cardinal Müller. «Pour eux, c’est Dieu qui doit se justifier». Mais l’ancien préfet de la CDF estime que leur jugement sera plus sévère, étant donné qu’ils ont apostasié. «En tant qu’apostat, une telle personne est plus coupable que quelqu’un qui n’a jamais entendu parler de la foi catholique».

En attendant, le débat continue en Allemagne. Les représentants de l’Eglise doivent encore s’entendre pour la suite à donner aux résolutions approuvées et la manière de les mettre en œuvre. (cath.ch/kna/ncrg/arch/rz)

Le chemin synodal allemand souhaite un changement de la morale sexuelle de l'Eglise | photo: Mgr Georg Bätzing, président de la Conférence des évêques allemands rencontre des manifestants pro-LGBT à Francfort, le 3 février 2022 © KEYSTONE/DPA/Sebastian Gollnow
15 février 2022 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 4 min.
Partagez!