Le cardinal Kurt Koch est président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens depuis 2010. | © Jacques Berset
Vatican

Cardinal Koch: «L’attitude du patriarche Cyrille est une hérésie»

«Le fait que le patriarche Cyrille de Moscou légitime la guerre brutale en Ukraine pour des raisons pseudo-religieuses est une hérésie», déclare le cardinal Kurt Koch. Le président du «Dicastère pour la promotion de l’unité des chrétiens» veut désormais faire de la question du rapport l’Eglise-Etat un thème du dialogue entre catholiques et orthodoxes.

Dans une interview à l’hebdomadaire catholique allemand Tagespost, le cardinal suisse revient longuement sur le dialogue avec l’orthodoxie russe. Le fait que le responsable de l’œcuménisme au Vatican utilise le terme d’hérésie pour qualifier l’attitude du patriarche Cyrille n’est pas sans un certain poids.

Un arrière-fond de querelle religieuse

Les tensions internes à l’orthodoxie sont certainement en arrière-fond de la situation actuelle en Ukraine et ont fortement tendu les relations entre Moscou et Constantinople, reconnaît le cardinal. «Mais il serait pathétique qu’elles aient conduit à la terrible guerre en Ukraine ou qu’elles soient invoquées pour la légitimer. Car les conflits ecclésiastiques ne doivent jamais être ‘résolus’ par la violence».

«D’un point de vue chrétien, on ne peut pas justifier une guerre d’agression, mais tout au plus la défense contre un agresseur injuste»

Le patriarche œcuménique Bartholomée voulait rétablir l’unité entre les différentes églises orthodoxes en Ukraine, mais il n’y est parvenu jusqu’à présent que dans une faible mesure. Il espérait que la plupart des évêques de l’Eglise orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou (UOK-MP) rejoindraient cette Église ukrainienne nouvellement institutionnalisée (en 2019 NDLR). Cela ne s’est toutefois pas produit, note Kurt Koch.

Une guerre d’agression injustifiable

«La justification pseudo-religieuse de la guerre par le patriarche Cyrille doit ébranler tout cœur œcuménique. D’un point de vue chrétien, on ne peut pas justifier une guerre d’agression, mais tout au plus, sous certaines conditions, la défense contre un agresseur injuste. Minimiser la guerre d’agression brutale de Poutine en la qualifiant ‘d’opération spéciale’ est un abus de langage. Je dois condamner cette position comme étant absolument impossible.»

Revenant sur l’entretien vidéo du 16 mars entre le pape François et le patriarche Cyrille, le cardinal explique d’abord que «dans la deuxième quinzaine de février, un Zoom était prévu entre le métropolite Hilarion (alors responsable des relations extérieures du patriarcat de Moscou NDLR) et moi-même pour continuer à préparer la deuxième rencontre entre le pape François et le patriarche Cyrille, prévue pour juin. Comme la guerre avait déjà éclaté en Ukraine, j’ai saisi l’occasion de la visio-conférence pour demander que le pape et le patriarche prennent position ensemble contre la guerre.

Comme le métropolite a toujours proposé une déclaration commune sur la persécution des chrétiens dans le monde d’aujourd’hui, j’ai souligné que je partageais cette préoccupation, mais qu’une telle déclaration perdrait toute crédibilité si aucun mot n’était dit maintenant contre le fait que – comme en Ukraine – des chrétiens se battent contre des chrétiens et que des orthodoxes s’entre-tuent. Peu après cette réunion, j’ai reçu la réponse que le patriarche n’était pas prêt à une déclaration commune avec le pape. Ce n’est que des semaines plus tard que Moscou a souhaité une conférence Zoom avec le pape.» 

Ce que le pape François a vraiment dit

Interrogé sur la naïveté du Vatican face à cette demande, le cardinal suisse admet qu’on peut voir les choses ainsi après coup. «Le Saint-Père a accepté de faire un Zoom, certainement dans l’espoir d’apporter sa contribution à une fin rapide de la guerre. Il a souligné avec force que ‘nous’ – le pape et le patriarche – ne sommes pas des ‘clercs d’État’ mais des ‘pasteurs du peuple’ et qu’il doit être de leur responsabilité de mettre fin le plus rapidement possible aux tueries et aux destructions.»

«Je suis reconnaissant au pape François d’avoir annulé la rencontre avec le patriarche Cyrille prévue pour la mi-juin à Jérusalem»

Immédiatement après le Zoom, le patriarcat orthodoxe russe a publié une déclaration selon laquelle le patriarche était reconnaissant que le pape et lui-même aient une vision commune du conflit en Ukraine. Ce qui a contraint Rome a communiquer publiquement ce que le pape avait réellement dit. «Dans différentes déclarations, le Saint-Père a condamné la guerre en Ukraine en des termes très forts et a appelé à plusieurs reprises à y mettre fin», insiste Mgr Koch.

Garder la porte entrouverte

Interrogé sur la poursuite du dialogue avec Moscou, le cardinal Koch souhaite ne pas fermer la porte. «Il faut toujours la garder entrouverte, sinon on ne peut plus rien faire du tout. D’autre part, on ne peut malheureusement pas prévoir combien de temps durera la terrible guerre en Ukraine. Si une nouvelle rencontre entre le pape et le patriarche avait lieu à un moment où des actes de guerre ont encore lieu et où le patriarche Cyrille persiste dans sa justification intenable de la guerre, elle serait exposée à de graves malentendus. Car elle pourrait être faussement interprétée comme un soutien du pape à la position du patriarche, ce qui porterait gravement atteinte à l’autorité morale du pape. Je suis reconnaissant au pape François d’avoir annulé la rencontre avec le patriarche Cyrille prévue pour la mi-juin à Jérusalem.»

«Il y a une hérésie dans le fait que le patriarche ose légitimer la guerre brutale et absurde en Ukraine pour des raisons pseudo-religieuses»

Le rapport Église État au cœur de l’enjeu

Pour le cardinal Koch, un des nœuds du problème est la question des relations Église-État. «Il y a, à mon avis, une hérésie dans le fait que le patriarche ose légitimer la guerre brutale et absurde en Ukraine pour des raisons pseudo-religieuses. En arrière-plan, on voit apparaître un problème fondamental qui réside dans la relation entre l’Église et l’État, laquelle est vue et conçue dans l’orthodoxie dans le sens d’une symphonie entre les deux réalités.» En Occident, la division de l’Eglise et les guerres confessionnelles ont contribué à ce que l’idée de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, accompagnée d’un partenariat entre les deux, s’impose.

Pour le cardinal Koch, «cette grande différence a été largement occultée dans les discussions œcuméniques menées jusqu’à présent. (…) Les orthodoxes ne cessent de poser des questions à l’Église catholique en ce qui concerne sa dimension universelle et la papauté. Inversement, nous, catholiques, devons interroger l’orthodoxie sur ses concepts d’autocéphalie et de territoire canonique – d’autant plus que ce dernier concept est difficilement conciliable avec le respect de la liberté religieuse.»

Le cardinal suisse constate enfin que la position du patriarche Cyrille est contestée au sein de l’orthodoxie mondiale. «Même l’UOK-MP a décidé de ne plus rester lié à Moscou. On ne sait pas toutefois encore dans quelle direction elle veut s’orienter à l’avenir. Car elle ne peut pas se donner elle-même l’autocéphalie, elle ne peut la recevoir que de l’Eglise-mère. Avec l’UOK-MP, le patriarcat orthodoxe russe a perdu une grande partie de ses fidèles.» (cath.ch/tagespost/mp)

Le cardinal Kurt Koch est président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens depuis 2010. | © Jacques Berset
30 juin 2022 | 17:00
par Maurice Page
Temps de lecture: env. 5 min.
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