Démenti de la communauté de Taizé

Taizé: Frère Roger s’était-il converti formellement au catholicisme en 1972 ?

Taizé, 6 septembre 2006 (Apic) Selon des informations publiées dans les médias, dont le quotidien «Le Monde» du 5 septembre, Frère Roger – le fondateur de la communauté oecuménique de Taizé assassiné en août de l’année dernière – se serait converti au catholicisme. «C’était une démarche de communion, pas de conversion, même s’il avait adhéré intérieurement à la foi catholique», a déclaré mercredi à l’Apic Frère Charles-Eugène, à Taizé.

Frère Roger, le fondateur de la communauté de Taizé (en Saône-et-Loire), a été assassiné le 16 août 2005. Il a été poignardé par Luminita Solcan, une Roumaine déséquilibrée, âgée de 36 ans, alors qu’il priait avec 2’500 jeunes de diverses nationalités dans l’église de la Réconciliation de Taizé, un petit village de Bourgogne. ll avait fêté ses 90 ans le 12 mai.

De confession protestante, le fondateur de la communauté oecuménique de Taizé «était catholique depuis 1972», selon Mgr Raymond Séguy, ancien évêque d’Autun, diocèse où se situe Taizé. «C’était connu, lui-même m’a confirmé qu’il était catholique», a déclaré à l’AFP Mgr Raymond Séguy. «Frère Roger ne le cachait pas, mais ne le manifestait pas ostensiblement pour ne pas obérer l’aspect oecuménique de Taizé», a-t-il ajouté, reconnaissant qu’»une certaine ambiguïté» avait régné autour de cette question.

Le cardinal Walter Kasper, président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens, avait présidé, selon le rite catholique, la célébration des funérailles du Frère Roger Schutz. Il faut rappeler également que lors des funérailles de Jean Paul II, Frère Roger avait reçu la communion des mains du cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi et futur pape Benoît XVI. Ce geste public avait suscité le trouble du côté de certaines Eglises protestantes car l’Eglise catholique refuse l’intercommunion aux protestants.

Dans une interview accordée au quotidien français «La Croix», l’actuel prieur de Taizé, Frère Aloïs, un catholique allemand âgé d’une cinquantaine d’années, affirme que Frère Roger ne s’est jamais «converti» formellement au catholicisme. «S’il l’avait fait, il l’aurait dit, car il n’a jamais rien caché de son cheminement. Tout au long de ses livres, écrits souvent sous forme de journal, il a expliqué au fur et à mesure ce qu’il découvrait et ce qu’il vivait».

Frère Roger n’avait jamais rien caché de son cheminement

Frère Aloïs précise qu’en 1972, l’évêque d’Autun de l’époque, Mgr Armand Le Bourgeois (décédé dans sa 94e année le 2 février 2005) lui a donné la communion pour la première fois tout simplement, sans lui demander d’autre profession de foi que le credo récité lors de l’Eucharistie, et qui est commun à tous les chrétiens. «Plusieurs témoins étaient présents, trois de mes frères, un couple ami, ils peuvent en attester».

Cette date avait été choisie parce que frère Roger s’apprêtait à recevoir l’engagement à vie du premier frère catholique de la communauté et il était impensable de ne pas communier à la même table eucharistique, précise Frère Aloïs. Quelques mois plus tard, Mgr Le Bourgeois est venu à Taizé et, de la même manière, il a donné la communion à tous les frères de la communauté.

Frère Roger a compris très tôt dans sa vie que, pour transmettre l’Evangile aux jeunes, une réconciliation des chrétiens était essentielle. Après Jean XXIII et le Concile Vatican II, il a considéré que le temps de la réconciliation était venu, poursuit l’actuel prieur de Taizé.

Frère Roger a souvent raconté que, lors de sa dernière rencontre avec Jean XXIII, en 1963, il avait tenu à entendre du pape un testament spirituel et l’avait interrogé sur la place de Taizé dans l’Eglise. Jean XXIII avait répondu, faisant de ses mains des gestes circulaires: «L’Eglise catholique est faite de cercles concentriques toujours plus grands, toujours plus grands». Le pape n’a pas précisé dans quel cercle il voyait Taizé mais Frère Roger a compris que le pape voulait lui dire qu’il était déjà à l’intérieur et qu’il devait continuer simplement sur ce chemin. «Et c’est ce qu’il a fait», relève Frère Aloïs.

D’origine protestante, Frère Roger a accompli une démarche qui n’a pas de précédent depuis la Réforme. En 1980, lors d’une rencontre européenne de jeunes à Rome, témoigne Frère Aloïs, il l’a exprimée publiquement en ces termes dans la basilique Saint-Pierre, en présence du pape Jean Paul II : «J’ai trouvé ma propre identité de chrétien en réconciliant en moi-même la foi de mes origines avec le mystère de la foi catholique, sans rupture de communion avec quiconque».

Frère Roger avait entrepris une démarche progressive et tout à fait nouvelle, qui était difficile à exprimer et à comprendre. «Il était facile de mal l’interpréter», concède Frère Aloïs. «C’est ainsi que parler à ce propos de ’conversion’, c’est ne pas comprendre l’originalité de ce que Frère Roger a recherché. ’Conversion’ implique une rupture avec ses origines. Frère Roger a accepté que, pour certains, une conversion individuelle pouvait être un chemin mais, pour lui-même et pour notre communauté, il préférait parler de ’communion’. Pour lui, entrer progressivement dans une pleine communion avec l’Eglise catholique s’est concrétisé sur deux points qu’il n’a jamais gardés secrets: recevoir l’eucharistie et reconnaître la nécessité d’un ministère d’unité exercé par l’évêque de Rome». JB

Encadré

Frère Roger s’était installé à Taizé en 1940

En 1940 le Suisse Roger Schütz, alors âgé de 25 ans – qui allait devenir «Frère Roger», choisit le village de Taizé en Bourgogne pour s’installer. Le fils de pasteur réformé a étudié la théologie à Lausanne. Son idéal le poussera à fonder une communauté vivant l’idéal chrétien de la réconciliation. Il accueillera alors dans sa maison des réfugiés, surtout juifs, qui y ont trouvé refuge, échappant ainsi aux griffes de la Gestapo, puisque Taizé était situé non loin de la ligne de démarcation entre France libre et occupée. Après la guerre, il s’est occupé de prisonniers de guerre allemands. Pour son engagement en faveur de la paix Frère Roger a reçu plusieurs prix, notamment en 1988 le prix de l’Unesco pour l’éducation à la paix.

Une communauté d’une centaine de Frères

Une centaine de Frères appartiennent à la communauté de Taizé. Ils se sont engagés pour toute leur vie au partage des biens matériels et spirituels, au célibat et à une grande simplicité de vie. Au coeur de la vie quotidienne à Taizé, il y a les trois moments de la prière commune. Les Frères vivent de leur seul travail et n’acceptent aucun don, aucun cadeau pour eux-mêmes, ni même leurs héritages personnels. La communauté en fait don aux plus pauvres.

Le nombre de Frères présents à Taizé varie selon les saisons de l’année, car il y en a toujours qui sont en voyage. Les Frères sont donc au nombre de 70 à 80. Une vingtaine d’autres habitent dans des fraternités parmi les plus pauvres, au Bangladesh, au Brésil, au Sénégal, en Corée du Sud.

Les Frères appartiennent à plus de 25 nationalités diverses de tous les continents, et ils viennent de différentes religions chrétiennes: de la famille évangélique et protestante, des Eglises anglicane et catholique. Des Frères de Taizé effectuent aussi des visites et animent de grandes rencontres annuelles en Afrique, en Amérique du Sud et du Nord, en Asie, en Europe. Ce sont les fameux «pèlerinages de confiance sur la terre» qui ont lieu après Noël. Des dizaines de milliers de jeunes y participent, de toute l’Europe et aussi d’autres continents. (apic/be)

6 septembre 2006 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 5 min.
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