Mgr Charles Morerod: «tolérance zéro» en cas d'abus sexuels

En convoquant du 21 au 24 février 2019 à Rome, pour un sommet sur la protection des mineurs, les présidents de toutes les conférences épiscopales du monde, le pape François veut les réunir pour que chacun  dans l’Eglise se sente concerné par les abus sexuels.

Le pontife s’adressera à quelque 180 participants, dont Mgr Felix Gmür, président de la Conférence des évêques suisses, des représentants des congrégations religieuses, des experts laïcs ainsi que des victimes d’abus commis par des membres du clergé. En matière de traitement des cas de pédophilie, la Suisse passe pour être un bon élève, les évêques suisses ayant mis en place assez tôt des commissions pour écouter les victimes.

Interrogé par le journaliste Pascal Fleury, Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), évoque, dans les colonnes du quotidien La Liberté du 20 février 2019, les mesures déjà prises ou encore à prendre pour pouvoir enfin appliquer le principe de la «tolérance zéro» prôné par les victimes et le pape François.

La loi du silence, c’est terminé !

Mgr Charles Morerod reconnaît que, pendant très longtemps, la seule règle de l’Eglise était de cacher le problème des abus sexuels. «On accusait les victimes de mentir. Les jeunes qui se plaignaient recevaient une gifle de leurs parents. Cette attitude était encouragée par le clergé lui-même. Dire aujourd’hui aux victimes: ‘Vous n’avez pas menti, c’était vrai’, est déjà un grand soulagement pour elles. Mais reconnaître le problème, cela ne le supprime pas. C’est pourquoi j’interpelle les gens: ‘Si quelque chose arrive, dites-le!’ C’est très important, pour éviter que les abus continuent. Je ne prétends pas que ce soit facile de parler, mais il faut absolument développer une culture de la parole».

A la question de ce qui se fait déjà pour la protection des mineurs en Suisse romande, Mgr Morerod rappelle que depuis plusieurs années, tous les employés du diocèse de LGF, y compris les bénévoles, doivent suivre des cours de prévention donnés par des psychologues de l’association ESPAS (Espace de soutien et de prévention – Abus sexuels), une association indépendante de l’Eglise.

Depuis le 1er janvier de cette année, le diocèse de LGF dispose d’une Charte contre les abus sexuels, que tout employé devra signer. Le personnel doit également fournir un extrait spécial de casier judiciaire.

Pas une chasse aux sorcières

Les cas d’abus avérés sont signalés à la justice, tandis que les soupçons sont analysés par les personnes de contact du diocèse dans chaque canton avec l’aide de l’association ESPAS, Espace de soutien et de prévention des abus sexuels Vaud-Valais-Fribourg.

«Les instances de l’Eglise n’enquêtent pas elles-mêmes, n’étant pas habilitées ni formées pour le faire», précise Mgr Morerod.

«Les personnes soupçonnées ne sont pas informées, pour éviter une éventuelle destruction de preuves, par exemple du matériel pédopornographique dans un ordinateur. Les avertir serait d’ailleurs une forme de complicité. J’ai discuté de ces procédures avec des policiers de la brigade des mœurs vaudoise ainsi qu’avec un procureur. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’une chasse aux sorcières. Les enquêtes policières permettent aussi de disculper clairement un accusé en vérifiant si des soupçons ne sont pas fondés».

Encore du progrès à faire

En ce qui concerne les mesures visant les auteurs d’actes pédophiles, Mgr Morerod estime qu’il y a encore du progrès à faire. «Les sanctions sont décidées à Rome. En attendant, ce que nous pouvons faire à l’échelle du diocèse, à titre provisoire, c’est de retirer son ministère à la personne incriminée. C’est clair que dans ce domaine délicat, la présomption d’innocence reste un principe capital. Cette suspension peut d’ailleurs être contestée, et nous valoir un procès. A l’époque, un prêtre sanctionné à Genève a porté plainte car le motif de licenciement était illégal, car prescrit. Rome peut confirmer les mesures de précaution».

Commentant la récente réduction à l’état laïc du cardinal Theodore McCarrick, ancien archevêque de Washington, l’évêque de LGF remarque que c’est la sanction la plus grave pour un clerc dans le Code de droit canonique. Elle ne résout cependant pas entièrement le problème, puisque la personne peut continuer ses agissements dans la vie civile. «C’est pourquoi je préfère très nettement que les affaires soient traitées par la justice civile. Le problème, c’est quand l’Etat ne peut pas le faire, parce qu’il y a prescription. Or l’énorme majorité des cas qui se présentent à nous sont prescrits».

Certaines cultures ecclésiales favorisent les abus

Selon le Père Hans Zollner, de la commission pontificale pour la protection des mineurs, un prêtre sur vingt aurait commis des abus sexuels sur les mineurs. Pour Mgr Morerod, ce chiffre global, préoccupant, ne correspond pas à la situation actuelle du diocèse de LGF. L’évêque admet, comme l’avait fait début février 2019, dans un documentaire diffusé par la télévision bavaroise Bayerischer Rundfunk (BR) le cardinal autrichien Christoph Schönborn, que des structures et des systèmes dans l’Eglise qui encouragent les abus. Pour l’archevêque de Vienne comme pour Mgr Morerod, certaines cultures ecclésiales favorisent les abus.

«C’est typiquement le cas dans une société où le prêtre est mis sur un piédestal, où l’on n’ose pas l’accuser. Dans certains pays, me disait récemment un abbé, devenir prêtre c’est devenir ‘juste un peu moins que Dieu’. Il est frappant d’observer que les abus commis autrefois dans notre diocèse l’étaient davantage dans le canton de Fribourg que dans les trois autres cantons. Le prêtre était alors quasiment intouchable. Dans certaines régions, les prêtres sont encore sur ce piédestal, une position qui attire des vocations parfois douteuses». En conclusion de l’interview, Mgr Morerod incite les victimes d’abus à parler et se dit convaincu que pour redonner sa crédibilité à l’Eglise, il faut appliquer ce que Jésus a dit: «La vérité vous rendra libre». (cath.ch/lib/be)

 

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Hans Zollner: «La conscience des abus sur mineurs grandit dans l’Eglise mondiale»

Jacques Berset

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