La cause du futur «bienheureux» Fesch guillotiné ne fait pas l’unanimité. Mais elle avance

Apic Enquête

Le fils du « Bon larron » version moderne enfin reconnu en France

Pierre Rottet, Agence Apic

Paris, 13 février 2008 (Apic) Jacques Fesch, le « dandy malfrat » guillotiné le 1er octobre 1957 à la prison de la Santé à Paris pour avoir tué un agent de police, pourrait être béatifié plus tôt que prévu. Le travail de la Commission historique en charge du dossier est en voie d’achèvement, confirme le Père Henri Moreau, postulateur. Enquête à Paris sur cette cause, que le président de la Commission diocésaine d’enquête, le professeur Jean Duchesne, 63 ans, voudrait voir aboutir de son vivant.

L’Apic a retrouvé un certain nombre de protagonistes de l’affaire, y compris la fille de l’agent Albert Vergne, la victime du « futur bienheureux », ainsi Gérard Fech, le fils du « Bon larron » version XXe siècle, confié il y a 53 ans à la DASS, l’assistance publique. Ce dernier vient de retrouver son identité, après plus de 10 ans de combat, de recherches, confirme aujourd’hui Me Gilbert Collard, du barreau de Marseille, avocat de Gérard. Il est l’auteur de l’«Assasaint », qui vient d’être édité en livre de poche.

Retour en arrière, à l’origine de cette version moderne du « Bon larron », qui pourrait devenir dans l’histoire de l’Eglise le premier (prisonnier de droit commun) condamné pour assassinat à être béatifié. Né le 6 avril 1930 dans une bonne famille à Saint-Germain-en-Laye, Jacques Fesch menait grande vie, et affichait son rêve d’acheter un voilier. Le 25 février 1954, celui que l’opinion et la presse de l’époque vont surnommer le « dandy malfrat » entre dans un bureau de change pour dérober plus de deux millions de francs de l’époque. L’affaire tourne mal. Poursuivi par un agent de police qui le traque avec son arme, il tire le premier et le tue. Jugé le 6 avril 1957, écroué à la prison de la Santé, il y restera un peu plus de trois ans, avant de perdre la tête sur le billot. Le président René Coty, catholique pratiquant, lui ayant refusé la vie.

Sauvé de la trappe de l’histoire

L’affaire aurait pu passer aux oubliettes des condamnés à mort de l’histoire, si le mécréant Fesch n’avait, le 1er mars 1955, reçu la grâce qu’il rapportera en ces termes dans son journal spirituel : « J’ai entendu une voix qui n’est pas de la terre me dire : ’Jacques, tu reçois les grâces de ta mort’ ». Ce choc, affirment aujourd’hui les acteurs de cette procédure en béatification, va entraîner sa conversion. Plus tard, Fesch écrira : « Je suis comblé, on me sauve malgré moi, on me retire du monde parce que je m’y perdais ». Trois ouvrages, véritables best-sellers, tirés de ses écrits, seront publiés : « Lumière sur l’échafaud », « Cellule 18 » et « Dans cinq heures je verrai Jésus », son journal de prison qui s’achève sur ces mots : « Je crois que je vais arrêter là ce journal, j’entends des bruits inquiétants ».

Assez pour justifier une procédure en béatification? Le Père Henri Moreau, 63 ans, en est convaincu : « En 1987, feu le cardinal Jean-Marie Lustiger a décidé d’ouvrir la cause en béatification de Jacques Fesch et de me nommer postulateur ». L’archevêque de Paris ordonnera du reste l’enquête préliminaire en décembre 1993. « Nous sommes en train de terminer le travail de la Commission historique. Mais il nous reste encore à analyser minutieusement les écrits de Fesch, pour notamment les comparer à ce qui a été publié ». Selon le Père Moreau, toute béatification a pour but de proposer un exemple et de faire avancer la foi. « Il n’y a pas d’exclusion plus grande que de se faire couper la tête. Même celui-là, Dieu ne l’abandonne pas ». Le Père Moreau assure qu’à travers ses pages, Fesch manifeste son désir de communiquer sa conversion aux autres. « De nombreuses personnes attestent avoir été converties après avoir lu ses écrits », assure-t-il.

Le veto de l’UNSA police

Anne (*), fille du policier Vergne, avait 3-4 ans à l’époque des faits. L’Apic l’a retrouvée, afin de l’inviter à donner son avis sur la possible béatification de l’assassin de son père. Jointe par téléphone dans un pays voisin de la France, Anne, aujourd’hui mariée, maman, avocate, n’a pas jugé utile de s’exprimer. Aux deux questions posées, à savoir son avis sur la béatification de Fesch et si le cardinal Lustiger s’était entretenu avec elle au moment de lancer la procédure, Anne, qui a sans doute vu l’espace d’un instant ressurgir un passé douloureux, répondra poliment mais fermement par un invariable « Je ne m’exprimerai pas ». Même ton du côté de la petite fille de l’agent Vergne. Si ce n’est cette phrase lâchée à propos de cette béatification. «Cela ne nous concerne pas ».

A l’UNSA police, le syndicat majoritaire de la police nationale (près de 45% d’adhérents à lui seul), on ne fait en revanche pas silence, pour souhaiter que le couperet s’abatte sur ce dossier. Du côté de Bagnolet, en banlieue parisienne, Joaquin Masanet, secrétaire de l’UNSA, ne mâche en effet pas ses mots : « Je doute que l’ensemble des catholiques français comprennent cette béatification. Nous sommes opposés à cette démarche visant en quelque sorte à réhabiliter l’assassin d’un policier, père de famille, dans l’exercice de ses fonctions. Peut-on dès lors pardonner, même 50 ans après ? La maison police n’attend pas que l’assassin de l’un des siens ne devienne saint ». Et d’asséner, péremptoire : « Il y a d’autres personnes qui le méritent, dans le monde. A commencer par l’abbé Pierre ». L’an dernier, confie-t-il enfin, comme pour justifier le rejet de cette béatification, 8 policiers ont été tués dans l’exercice de leur boulot.

Christian Souille, 78 ans, gardien de la paix à l’époque, ne partage pas l’avis de Joaquin Masanet. Et pour cause : chargé de la cellule 18, celle de Fesch, en raison d’une grève des matons, il était de service la nuit de l’exécution. L’ex-gardien de la paix vit aujourd’hui sa retraite en province. L’Apic l’a retrouvé et recueilli son témoignage : « Je l’ai vu à plusieurs reprises, lors de mes rondes. Je n’ai jamais vu son visage. Chaque fois que nous regardions par le judas, le prisonnier était prostré, la tête dans ses mains. On peut penser qu’il était en prière. Il l’était à mon sens ». Il confiera n’avoir jamais compris pourquoi cet homme avait été condamné à mort. « Ce matin là, je n’ai rien vu. Mais j’ai entendu le bruit du couperet : cela m’a remué ma vie durant». Christian Souille avait alors 28 ans.

Le long combat d’un fils

Qu’est-ce qu’on ressent en apprenant que son père est un assassin, mort sur l’échafaud, qui plus est. Gérard Droniou médite la question. Dans quelque jours, l’homme que nous avons en face recevra sa nouvelle pièce d’identité : Gérard Fesch. « Pas facile, en effet, ni pour moi, ni mes trois enfants, de découvrir que leur grand-père a été fauché par la grande bascule ». L’histoire de Gérard est bouleversante. Elle commence à la DASS où il est placé à 19 jours. Aujourd’hui musicien professionnel, il mettra une quarantaine d’années avant de découvrir ses origines au hasard d’un article de presse, en même temps que le prénom de sa mère : Thérèse, femme d’une furtive aventure avec Jacques Fesch.

Sa lutte le mènera à l’affrontement avec sa demi-soeur Véronique, et, dans une moindre mesure, avec la veuve de Fesch, Pierrette. Cela, confirme Me Collard, au terme d’une procédure très violente et douloureuse. Un test comparatif ADN avec la soeur de Jacques Fesch, Monique, confirmera son identité. Et amènera le tribunal à revoir sa copie. Pourquoi cette hargne à refuser l’existence de ce fils illégitime ? Les droits d’auteurs, estime Gérard. « Les trois livres publiés à partir des écrits de mon père rapportent gros. « Lumière sur l’échafaud », par exemple, a été vendu à plus de 800’000 exemplaires, sans parler des traductions étrangères ». Sans compter, qu’aux yeux des gens qui défendent sa cause en béatification, il est le vilain petit canard. En d’autres termes, le fils de Jacques Fesch dérange, à plus d’un titre, lui, l’agnostique, selon son propre aveux: « On veut béatifier mon père – ce qui ne me gêne pas -, mais on ne veut pas ajouter des casseroles. On me l’a du reste fait comprendre en me signifiant qu’il était préférable de ne pas remuer les choses ». Dans quelques semaines, Gérard remettra les pendules à l’heure, avec son livre qu’il vient d’achever: « L’enfance guillotinée ».

Dans la revue « Communio », témoigne Gérard, Jean Duchesne, président de la Commission diocésaine d’enquête, écrira en effet : comment faire légitimer une filiation quand la foi du père est étrangère au fils. Ce que l’intéressé confirmera à l’Apic, au cours d’un entretien : « Dans la mesure où il n’a pas la foi, ce n’est pas son affaire », ni l’affaire de sa soeur Véronique d’ailleurs. Cela dit, relève Jean Duchesne, je constate que Jacques Fesch n’a pas converti davantage son épouse. Elle n’a en effet pas la foi ». Sa veuve, dit-il, considère encore son exécution comme injuste. Au même titre que son demi-frère, qui voit en cette béatification une sorte de réhabilitation morale de son père. « La béatification ne crée par le culte, elle le reconnaît », souligne encore Jean Duchesne. Sa Commission, composée de trois membres, a été créée début 2002, à la demande du cardinal Lustiger. Selon Jean Duchesne, – ce que confirme l’archevêché de Paris -, le cardinal André Vingt-Trois porte à la cause le même attachement que celui affiché par son prédécesseur. PR

Encadré

« Le jour où j’ai vu mon mari changer »

La veille de l’exécution de son mari, Pierrette Fesch s’unira religieusement à lui. Elle confiera un jour avoir vu changer l’homme d’un jour à l’autre lors de ses visites en prison. Instantanément, dira-t-elle, il est passé d’un homme « normal » outré de ce qui allait lui arriver, à un être tourné vers Dieu. « Nos dialogues devenaient des confrontations, parce que je ne comprenais plus où il en était ». Fesch relèvera en effet plus tard : « Je leur – réd.: à ceux qui le visitaient – parlais ciel. Ils me parlaient terre ».

Dans un commentaire exclusif à l’Apic, elle note, chez son mari, un an après son incarcération « l’amorce d’une prise de conscience de l’affectif et des réalités humaines, puis la 1ère manifestation de la recherche d’une spiritualité ».

Pourquoi ce mariage devant Dieu, à la veille de son exécution ? «Jacques souhaitait vivement que sa fille Véronique et moi-même nous le rejoignons dans sa foi par le sacrement de mariage. Soulevée par sa conversion, j’étais transportée par le désir de Jacques d’un mariage religieux entre nous ». A propos du processus de béatification en cours, Pierrette Fesch répond : « Le procès en béatification a été décidé par l’Eglise. Je ne me sens pas concernée, car son sens profond m’échappe, mais je l’accepte. Cette conversion qui l’aura métamorphosé m’a bouleversée au plus profond de mon être ».

Sur la tombe de Fesch, à Saint-Germain-en-Laye – où il a exceptionnellement été transféré du carré des condamnés à mort -, des anonymes déposent fleurs et demandes d’intercessions. Par dizaines, s’exclame aujourd’hui Michel Grondin, ami d’enfance de Fesch dans cette ville de la proche banlieue parisienne, où ils ont fréquenté les mêmes écoles. « Jusqu’à l’âge de 17 ans, moment où nos chemins se sont séparés ». En octobre dernier, Michel Grondin, 77 ans, co-organisa dans l’église du lieu une cérémonie à la mémoire de son ami d’enfance, pour saluer à la fois sa rédemption et sa conversion. Une foule immense se pressait, même si la région, indifférente, suivait de loin cet anniversaire. Au dernier rang de l’église, à l’écart, un homme était présent: Gérard Fesch. Oublié de la liste des invités. Il n’en garde pas rancune. Il cite simplement cette phrase de Charles Péguy : « J’aime mieux un saint qui a des défauts qu’un pécheur qui n’en a pas ». PR

Encadré

Ténor du barreau de Marseille, Me Gilbert Collard s’est penché sur le cas Fesch, à travers « Assasaint », un livre qui vient de sortir en version « poche ». Interrogé par l’Apic sur les raisons l’ayant poussé à s’intéresser à cette affaire, il confie avoir été un jour séduit par une chronique de Frédéric Pottecher, qui fut doyen des chroniqueurs judiciaires, auteur de « Les Grands Procès de l’histoire. A propos de Jacques Fesch, il écrira : « J’ai tout de suite été fasciné par une de ses phrases, qui disait qu’il y avait quelque chose de l’ordre de la sainteté chez cet homme ». Avec quel but ? « De donner une image moderne de la sainteté. Je pense qu’il est beaucoup plus facile de parler de l’Eglise à travers Jacques Fesch qu’à travers saint Jean de la Croix ou Thérèse d’Avila ». L’avocat marseillais affirme suivre la procédure en cours et estime que l’Eglise se montre particulièrement lente. Selon lui, l’Eglise ne cherche nullement à se donner bonne conscience par le biais de cette béatification. « Au contraire, je pense qu’elle a mauvaise conscience ».

Dans un commentaire paru à propos de son livre, le « Figaro » écrira : « Collard se sert de cette histoire comme d’une cause pour dénoncer les errements d’une justice, qui ne s’intéresse pas au mal mais à la culpabilité ». Une analyse que partage Me Collard. Un avocat pas tendre avec celui qui demandera et aura la tête de Fesch, Me René Floriot, dont il dit dans son entretien avec l’Apic, qu’il représente « une manière de haine judiciaire, une méchanceté du petit pouvoir, en un mot les vieilles saloperies des institutions quand elles sont représentées par des hommes qui s’entendent pour préserver la pérennité de leurs petit pouvoir ».

(*) Prénom fictif

(apic/pr)

13 février 2008 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 9 min.
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