Daniel Bogner, professeur ordinaire de théologie morale et d'éthique à l'Université de Fribourg | © Jacques Berset
Suisse

Face au «cléricalisme», le professeur Daniel Bogner prône la réforme

L’Eglise catholique, «avec sa forme constitutionnelle monarchique», met tous les pouvoirs entre les mains de l’évêque. Mais lorsque les pouvoirs exécutif, judiciaire et législatif sont réunis en une seule personne, il n’y a, par définition, pas de contrôle du pouvoir, et c’est là le problème, estime le théologien Daniel Bogner, professeur à l’Université de Fribourg.

Depuis 2014 professeur ordinaire de théologie morale et d’éthique à l’Université de Fribourg, le jeune Bavarois, né en 1972, estime que l’on ne peut pas séparer les structures de l’Eglise de «l’objet» de la foi si l’on veut prôner une attitude évangélisatrice.

Daniel Bogner a ainsi insisté sur la nécessité d’une cohérence entre la forme et le contenu lors du 11ème Forum «Fribourg Eglise dans le monde», tenu à l’Université de Fribourg les 10 et 11 octobre 2019 sur le thème de la mission aujourd’hui. Pour lui, la dichotomie souvent rencontrée entre l’évangélisation et les structures de l’Eglise, entre l’esprit et la loi, ne tient pas. Les deux dimensions sont nécessairement étroitement liées.  

Pas de séparation des pouvoirs

Dans l’Eglise, tous les domaines d’action et les espaces de libertés sont uniquement octroyés ou tolérés. Ils  peuvent être retirés de façon arbitraire par l’évêque ou le curé – en cas de changement de fonction ou pour d’autres raisons. Le contrôle de l’action officielle se fait sur une base volontaire, de même que la renonciation au pouvoir.

Des évêques disposés à réformer l’Eglise parlent aujourd’hui de la nécessaire séparation des pouvoirs. Mais surtout, ajoute-t-il, les membres de l’Eglise, les fidèles, sont, face au pouvoir ecclésiastique, de simples destinataires, des objets, pas des sujets de droits devant lesquels l’action des autorités de l’Eglise devrait se légitimer.  

Le professeur Bogner considère que l’Eglise s’est dotée d’un ordre juridique qui n’est pas orienté vers la valeur qu’elle met au premier plan: la dignité humaine. Dans l’annonce de l’Evangile et la pastorale, le message biblique accordant, par exemple, la même dignité à l’homme et à la femme, joue un rôle central. Par contre, cela ne se retrouve pas dans l’ordre juridique de l’Eglise, assure-t-il.

«Une perspective éminemment théologique»

Il cite aussi Mgr Heiner Wilmer, le jeune évêque de Hildesheim. Pour ce dernier, la transmission de la foi n’est pas un geste à sens unique, comme le fait de simplement verser «un verre d’eau» à une autre personne. L’»objet» qu’est la foi n’existe pas isolément de la manière dont cette foi est vécue, individuellement et collectivement, et transmise.

C’est précisément parce que, dans la la foi, la forme et le contenu sont si étroitement liés, qu’une perspective juridique et surtout éthique mettant en question la légitimité et la pertinence des structures et des règles actuelles de l’Eglise, se révèle indispensable. «C’est une perspective éminemment théologique», considère Daniel Bogner.  

Si l’Eglise est vraiment sérieuse dans sa volonté d’examiner les «causes systémiques» des abus, elle doit se pencher sur la question de sa constitution, comme il l’écrit en juin 2019  dans la revue intellectuelle française «Esprit». Daniel Bogner y aborde notamment l’ampleur des abus sexuels dans l’Eglise. Il affirme que «ce désastre résulte d’une ‘sacralisation’ indue, au cours d’une longue histoire, de l’autorité, des institutions, des fonctions: elle a produit un corps sacral intouchable et un cléricalisme étouffant, pratiquant un entre-soi inaccessible à toute critique».  

Abus: des «causes systémiques»

Au sujet des abus sexuels et spirituels qui ont plongé l’Eglise dans un «gouffre très profond», même des évêques parlent maintenant de «causes systémiques». La sidération vient de ce que les révélations ne concernent pas les marges, «mais le cœur du catholicisme européen, celui qu’on tenait pour spirituellement éclairé et sensible aux évolutions de la société».

Comment en est-on arrivé dans l’Eglise à pareille «tolérance» devant les abus, se demande Daniel Bogner. Il met en cause le «cléricalisme» et la «sacralité» qui entoure les ministères et les structures qui les portent. Il affirme que cette «sacralité» s’est déposée, au fil des siècles, comme la patine sur un objet, ce qui fait que «la figure et la forme extérieure de l’Eglise sont tenues pour sacro-saintes et pour des objets de vénération».

Une crise ni périphérique ni marginale

La crise ouverte par les abus sexuels et spirituels n’est ni périphérique ni marginale. «Elle ne concerne pas seulement quelques centaines, voire quelques milliers, d’individus ‘malades’ et quelques évêques maladroits, qui ont mal traité les problèmes. Elle relève d’un ‘système’ qui l’a permise et la permettra encore si l’Eglise ne va jusqu’aux racines d’un mal qui détruit d’avance ce qu’elle prétend dire aux hommes», écrit-il encore dans la revue «Esprit».

«Des périodes de sacralisation ont servi à la mise en place d’une institution imperméable à la critique»

Pour lui, ce sont moins les pratiques concrètes de l’Eglise qui sont en cause que la figure même de l’Eglise, «qui devient la Parole divine dans l’histoire». A ses yeux, le rituel liturgique porte une part de responsabilité dans l’affaire, «car il renforce la symbolique autorisée par cette sacralisation des ministères».  

Des périodes de sacralisation ont servi à la mise en place d’une institution non seulement imperméable à la critique, poursuit-il, mais soucieuse d’exclure pratiquement toute velléité de contrôle. Pour certains, il est impensable vouloir fragmenter la souveraineté d’une institution dont le pouvoir n’est que «délégué, dont on ne dispose qu’en fidèle intendant et qui dépend d’une unique source, l’autorité du Christ».

Se mettre à l’école des penseurs de la liberté

«Mais si l’Eglise veut vraiment une conversion, elle doit se mettre à l’école non seulement des penseurs de la liberté (de conscience), mais aussi des philosophes de la liberté politique, et d’abord de ­Montesquieu, le penseur de la séparation des pouvoirs», assène Daniel Bogner. Qui conclut en citant le pape François qui a dit un jour, en parlant de la mondialisation: ‘Cette économie est mortifère’. Savait-il, en dénonçant le cléricalisme’ dans l’Eglise, qu’il est lui aussi ‘mortifère’». (cath.ch/be)

Le professeur Daniel Bogner vient de publier «Ihr macht uns die Kirche kaputt… doch wir lassen das nicht zu!«Herder Verlag, Freiburg, 2019 (Vous nous détruisez l’Eglise… mais nous ne vous laisserons pas faire!)

Daniel Bogner, professeur ordinaire de théologie morale et d'éthique à l'Université de Fribourg | © Jacques Berset
24 octobre 2019 | 15:20
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 4 min.
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