Le 19 novembre, le repas que partagera le pape avec les démunis sera offert cette année par les hôtels Hilton italiens | © Vatican Media
Dossier

Pascal Bregnard: «Les pauvres devraient être au cœur de l’Eglise»  

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A la veille de l’Université de la Solidarité et de la diaconie qui se tiendra à Lausanne, Pascal Bregnard, directeur de Caritas Fribourg, donne un éclairage sur la Journée mondiale des pauvres, le 19 novembre 2023. Paradoxalement, cette Journée mondiale ne devrait pas exister, estime-t-il, les pauvres devant être naturellement au cœur des préoccupations de l’Eglise.

Quelle est l’origine de cette journée mondiale?
Pascal Bregnard: Le jubilé de la Miséricorde, en 2015 et 2016. Une de ces journées se situait autour de la thématique de la pauvreté. A cette occasion, nous sommes partis à Rome avec l’association Fratello pour fêter ce jubilé. A la fin de la messe de clôture, les personnes présentes ont demandé à l’Eglise l’instauration d’une Journée mondiale des pauvres. Elles voulaient lui rappeler qu’elle devait être inclusive. La première Journée mondiale des pauvres a été instaurée par le pape François l’année suivante. On célèbre cette journée chaque dernier dimanche du temps ordinaire avec un thème différent. Cette journée se déroule en tournus en paroisses puis dans les diocèses et l’année suivante au niveau continental.

Pascal Bregnard est responsable de Caritas Fribourg et le responsable du tout le Service Solidarités de l’Eglise fribourgeoise | © Raphaël Zbinden

Concrètement, qu’est-ce qui a été mis en place à la suite de la proclamation de cette journée mondiale?
La Journée mondiale des Pauvres n’est pas un point de départ, mais une étape. En fait, le mouvement de l’Eglise vers les pauvres est antérieur à la création de la Journée mondiale des pauvres. En Suisse Romande, un jalon important de ce retour aux sources dédié à la personne en situation de précarité, c’est «Diacona 2013», ce grand rassemblement qui s’est déroulé à Lourdes. A partir de cet événement, Etienne Grieux, théologien jésuite du Centre Sèvre, a porté cette idée que les pauvres ont quelque chose à dire à l’Eglise. C’est une redécouverte de l’expérience de saint François d’Assise.

Un des fruits, notamment, de cette dynamique est l’Université de la diaconie dont la première édition s’est déroulée en 2019, à Fribourg. Cette démarche a abouti à la deuxième édition de cette Université de la diaconie qui se déroulera ce week-end. L’idée de créer un événement avec une moitié de personnes en situation de pauvreté et l’autre moitié de personnes dites en «non-précarité» se concrétise. En fait, nous avons tous nos fragilités, qui se rencontrent et se partagent dans un enrichissement mutuel.

Et au-delà de cette université, quelque chose s’est-il mis en place dans des pastorales locales?
Un autre fruit est le développement, encore insuffisant, de la diaconie dans les diocèses romands. On voit ce mouvement dans l’Eglise locale romande, où les services de solidarité et de diaconie se développent à leur propre rythme et selon leurs moyens. C’est un mouvement qui est né dans les années 2000 qui s’est prolongé et s’est intensifié. Le pape n’y est pas pour rien, notamment avec ses slogans: «Une Eglise pour les pauvres» et «aller aux périphérie». Cette prise de conscience que les pauvres ont quelque chose à dire de Dieu à l’Eglise et à la société s’est renforcée. Ils ne sont pas simplement des consommateurs de notre aide, même si elle est importante.

«Le problème, c’est justement qu’il y ait une Journée mondiale des pauvres.»

Dans le canton de Fribourg, cette volonté de réunir Caritas Fribourg et le service de la diaconie, procède de cette dimension importante: l’entraide matérielle et l’accompagnement spirituel des personnes en précarité. Cela contribue ainsi à la création et à l’évangélisation de liens entre l’Eglise et les pauvres. On vit quelque chose de l’ordre de l’Evangile. Dans tous les cantons, l’idée que la diaconie doit prendre sa vraie place a fait son chemin. Par exemple, en 2017 Mgr Jean-Marie Lovey a réactivé le service de la diaconie du diocèse de Sion. Cette pastorale, même si elle se développe, est encore le parent pauvre. Il suffit de voir les forces qui y sont consacrées. Ce n’est pas pour rien que le pape insiste toujours autant sur une Eglise qui doit aller aux périphéries. Cela prend du temps, comme beaucoup de choses en Eglise.

Le pape a rencontré 500 pauvres à Assise, la ville d’où est originaire saint François | © Keystone/AP Photo/Riccardo De Luca

C’est un outil important pour rappeler l’existence de la précarité
Le problème, c’est justement qu’il y ait une Journée mondiale des pauvres. Le fait qu’on doive instaurer une telle journée, cela veut dire a contrario que l’Eglise a tendance à l’oublier. Or cela devrait être naturel. C’est l’Evangile! Jésus n’a pas passé son temps dans les synagogues, il était soit en vadrouille, un peu SDF quand même, soit dans la vie des gens qui avaient le plus besoin de lui. L’Eglise doit se rendre compte que ça ne peut pas s’arrêter à une journée dans l’année. L’Esprit-Saint doit souffler durant 365 jours. Mais nous sommes ainsi faits qu’on a besoin de points de repère dans l’année pour pouvoir se rappeler.

Certe, ce n’est peut-être pas suffisant, mais c’est marquant.
Oui les pauvres ont reçu cette reconnaissance à Rome. Pour eux, cela représentait beaucoup. Pour une fois, ils ont été accueillis à leur juste place en Eglise: au premier rang. Ils ont été extrêmement touchés. Des gens nous parlent encore aujourd’hui du pèlerinage de la Miséricorde de 2016. Ce fut une expérience lumineuse pour eux. L’Eglise leur a donné la place qui leur est due dans le Royaume. (cath.ch/bh)

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Le 19 novembre, le repas que partagera le pape avec les démunis sera offert cette année par les hôtels Hilton italiens | © Vatican Media
17 novembre 2023 | 15:13
par Bernard Hallet

Les personnes en précarité ont travaillé sur le thème de l’Université de la solidarité et de la diaconie qui se déroulera les 18 et 19 novembre prochains à Lausanne. Au terme d’une expérience unique, Marie-Antoinette Lorwich, responsable de la diaconie de l’Eglise fribourgeoise, et Laurent, un des participants, donnent leur point de vue.

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