Avec "Les 12 inouïs de l'Evangile", l'abbé François-Xavier Amherdt livre une oeuvre plus personnelle | © Raphaël Zbinden
Suisse

F.X. Amherdt: «L’Evangile est une bombe que nous avons désamorcée!»

«Trinité», «Alliance», «Salut»… autant de mots que tout chrétien a entendus bien plus d’une fois. Mais en a-t-il vraiment mesuré toute la portée et la valeur? C’est cette question qu’aborde le dernier ouvrage de François-Xavier Amherdt Les 12 Inouïs de l’Evangile.

Avec les 12 inouïs de l’Evangile, le prêtre du diocèse de Sion François-Xavier Amherdt présente un ouvrage tout public visant à redécouvrir le cœur de l’Evangile. Un retour aux sources qui appelle l’Eglise à une nouvelle conversion.

A 65 ans, le professeur de théologie pastorale à l’Université de Fribourg est l’un des auteurs religieux les plus prolifiques de Suisse romande, possédant une bibliographie d’une soixantaine d’ouvrages. Son dernier petit opus de 120 pages se démarque toutefois quelque peu des autres par son style et son contenu.

On a l’impression que ce livre est plus «intimiste» que les précédents, qui sont plus académiques.
F.X. Amherdt: Absolument. Il y a une dimension autobiographique, dans le sens d’une relecture de mon enseignement, de ma prédication, de mon travail pastoral. Maintenant que j’arrive au terme de mon enseignement à l’université, je suis un peu dans une période de synthèse, de retour sur le passé.

Dans ce livre, je dis ce à quoi je crois très profondément, et qui continue de me bouleverser. C’est un travail plus personnel qu’académique. Il présente le prêtre qui cherche depuis 38 ans et l’homme qui essaye de partager depuis 65 ans à ses frères et sœurs ce qu’il perçoit du christianisme, comme voie que Dieu trace dans le monde.

Le lecteur comprend dès les premières pages que le terme «inouï» est à prendre au sens premier…
Ce que j’appelle «inouï», c’est effectivement ce que l’on a pas entendu, ce dont on n’a pas vraiment pris conscience dans la Parole de Dieu. Il s’agit de retourner à l’origine pour voir ce que cette prise de conscience implique. J’essaie de dégager le tranchant de ces paroles, que l’on n’entend plus à force de trop les entendre. C’est un coup de rabot sur de vieux meubles à côté desquels on passe sans en remarquer la beauté, parce qu’on a laissé la poussière lentement s’y déposer.

Avez-vous quelques exemples de «vieux meubles»?
Le mot «salut» est très dévalué. Pour bien «l’entendre», il faut prendre conscience que j’ai besoin d’être sauvé de quelque chose, tiré d’un marasme, d’un chaos, par un Sauveur et par les autres. Le terme renvoie donc à la nécessité de se considérer en chemin au sein d’une relation.

Le terme «Alliance» s’est également «empoussiéré». Alors qu’il renvoie à quelque chose d’incommensurable. Un Dieu qui s’abaisse au point de faire alliance avec nous. En reprendre conscience, c’est retrouver ce que les deux Testaments veulent signifier, ce lien intime de Dieu avec l’humanité, du Christ avec l’Eglise.

D’autres «grands mots» ont été «dévoyés»…
Je suis toujours agacé lorsque l’on utilise certains mots comme de grandes nouveautés, alors qu’ils font partie depuis très longtemps de la tradition chrétienne. Par exemple «énergie», qui est presque complètement récupéré par les courants New Age ou ésotériques. Pour le chrétien, «énergie», qui vient du grec en– (à l’intérieur) et ergon (travail), décrit l’action de l’Esprit-Saint en nous. C’est un rappel d’un des nombreux paradoxes du christianisme, qui veut que l’infinie grandeur de Dieu se déploie aussi dans notre intériorité la plus profonde.

«La situation où toute la société était chrétienne nous a joué de mauvais tours»

La même chose avec le mot «méditation», utilisé aujourd’hui surtout en rapport à la «pleine conscience». Même si j’ai un profond respect pour la méditation orientale, il faut se rappeler que la méditation, qui veut dire «chemin vers le centre» est au cœur de la prière chrétienne, notamment monastique.

Le livre n’est donc pas destiné qu’aux chrétiens, ou même qu’aux croyants…
Bien sûr que non. Ses messages touchent à l’universel. Parce que même si l’on ne reconnaît pas Dieu Trinité, le fait que nous soyons à son image fait de nous des êtres de relation. Or, la dimension relationnelle est constitutive de toute personne.
C’est la même chose pour la fragilité dans laquelle Dieu se révèle, notamment à Noël. Même si on ne reconnaît pas le Christ comme Fils de Dieu, cela concerne tout être.

L’Eglise a-t-elle une responsabilité dans cette perte de sens?
Peut-être que nous avons laissé se former des habitudes, que nous sommes tombés dans une routine. Que nous avons transformé un langage de relation entre l’homme et Dieu en un moralisme, un ensemble de prescriptions disciplinaires et de vérités à croire.
La situation où toute la société était chrétienne nous a joué de mauvais tours. Comme l’avertit l’Evangile, on a perdu le sel, et si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel? Dans une situation de chrétienté, la nouveauté de l’Evangile n’est plus perçue, elle va de soi. Alors que l’Evangile, c’est une folie, une extravagance. Aimer ses ennemis, ça ne va pas de soi, tendre la joue gauche, c’est impossible…Il y a une multitude de paroles évangéliques irréalisables à vue purement humaine.
L’Evangile, c’est une bombe, mais à force de la désamorcer, nous avons perdu ce côté «renversement» de ce qui est établi.

Que faire, alors?
Que nos communautés représentent davantage le vrai sens de ces paroles. Qu’elles mettent, comme le Christ, les «petits» à la première place. Il faudrait que des lieux le manifestent, que ça se voie. Cela implique au fond que notre spiritualité soit une spiritualité de l’Exode. Nous sommes en route, vers un Royaume qui se construit. J’ai parfois l’impression que nous sommes beaucoup trop installés dans notre confort.

«Retrouver le sens, ce n’est pas seulement retrouver une signification, mais une direction»

Notre conversion doit se voir davantage, vers une Eglise de proximité, où on va trouver les personnes, où on privilégie le contact personnel, où on ne se contente pas de décrets ou de discours généraux. Le pape François en donne un bon exemple avec son appel à une «Eglise en sortie» et sa démarche synodale.

Tout cela doit aussi être enraciné dans la prière. C’est à partir de ce cœur-à-cœur avec le Christ qu’une telle voie peut s’inaugurer. Mais croyons-nous seulement à la force de la prière? Au fond, mon livre pose cette question générale: «Croyons-nous vraiment à ce que nous disons, enseignons?» Il faut retrouver le sens des grands mots de la foi, pour en vivre.

Cette nécessité de retrouver du sens touche-t-elle seulement l’Eglise?

Je pense que c’est nécessaire à toute la société. Retrouver le sens, ce n’est pas seulement retrouver une signification, mais une direction. C’est un aspect fondamental, et ce n’est pas pour rien que le douzième «inouï» de Dieu concerne le sens.
En même temps, il faut trouver un nouveau langage. Il y a des choses qui ne parlent plus et qu’il faut redire avec des mots nouveaux. Il faut le faire en ne se contentant pas de mettre sur les mots un nouvel habillage, mais en renouvelant de l’intérieur la compréhension de la réalité.

Vous appelez à rendre compte de l’espérance avec «douceur et respect». Est-ce un mode de communication efficace aujourd’hui?
Cette formule vient de la Première Epître de Pierre (3, 15-16): «Soyez toujours prêts à répondre mais avec douceur et respect, à quiconque vous demande raison de l’espérance qui est en vous». Il faut le faire sans agressivité ni prosélytisme. Il est vrai que c’est à contre-courant de nos modes actuels de communication, notamment sur les réseaux sociaux, où la provocation et la violence sont la règle.

«Je crois en la transformation du monde vers un Salut holistique»

Mais c’est seulement en adoptant un profond respect de l’autre que je peux lui permettre d’entrer en relation avec ce Dieu d’espérance. C’est le contraire de ce que nous expérimentons autour de nous, et cela prouve que l’Evangile n’a pas fini son travail. 2000 ans plus tard, les Béatitudes, selon lesquelles heureux les pauvres, les doux, les miséricordieux…sont plus actuelles que jamais.

La conclusion renvoie à l’encyclique du pape François sur l’écologie Laudato si’.
Comme je le disais, cet ouvrage est très personnel. Et je voulais marquer une dimension eschatologique qui m’habite très profondément. Je crois en la transformation du monde vers un Salut holistique, intégral, qui est éminemment biblique, fondé sur une éco-spiritualité globale. Cette idée d’un accomplissement qui ne touche pas uniquement l’homme mais le cosmos entier se retrouve dans l’encyclique de François, qui nous rappelle que «tout est lié». (cath.ch/rz)

Avec «Les 12 inouïs de l'Evangile», l'abbé François-Xavier Amherdt livre une oeuvre plus personnelle | © Raphaël Zbinden
19 octobre 2022 | 17:00
par Raphaël Zbinden
Temps de lecture: env. 6 min.
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