Sacrosanctum Concilium, «le fruit le plus visible du Concile»

Fribourg: Congrès à l’université pour les 50 ans de la constitution sur la liturgie

Fribourg, 6 octobre 2013 (Apic) Le 4 décembre 1963, le pape Paul VI signait le premier document officiel du Concile Vatican II, «Sacrosantum Concilium», un an après l’ouverture des travaux. Cette constitution allait transformer en profondeur l’Eglise catholique et donner lieu à de nombreux bouleversements dans les célébrations et dans la vie des communautés paroissiales.

50 ans après l’adoption de la première constitution de Vatican II et de la fondation de l’institut liturgique de la Suisse, l’Université de Fribourg lance la réflexion sur les suites du Concile en réunissant de nombreux spécialistes liturgiques. Un congrès de 3 jours, du 10 au 12 octobre réunira de nombreux professeurs, comme Martin Kloeckener, de Fribourg, Andrea Grillo, de l’Institut de Liturgie pastorale de l’Abbaye Sainte Justine à Padoue et de l’Athénée à Rome, Birgit Jeggle-Merz, de Coire, Jean-Louis Souletie, directeur de l’institut Supérieur de Liturgie de l’Institut Catholique de Paris, ainsi que le cardinal Walter Kasper, ancien président du Conseil pontifical pour l’unité des chrétiens.

L’abbé Marc Donzé, vicaire épiscopal pour le canton de Vaud, a été professeur de théologie pastorale à l’Université de Fribourg jusqu’en 1998. Il donnera une conférence le 10 octobre sur «La mise en œuvre de la Constitution sur la sainte liturgie Sacrosanctum Concilium en Suisse Romande». Il analyse pour l’Apic la mise en œuvre et les répercutions de «ce fruit le plus visible du Concile».

Apic: On est étonné par la rapidité de parution de la Constitution Sacrosanctum Concilium, un an après l’ouverture du Concile! Comment l’expliquer?

Marc Donzé: Je pense que les Pères du Concile ont voulu publier un document fondamental à la fin de la 2e session. La liturgie a provoqué moins de débats théologiques que certains autres sujets. Il y avait une certaine urgence à vivre cette réforme liturgique, préparée par de nombreuses expériences et des études.

Dans ce sens, on peut qualifier Vatican II de «nœud», de point d’aboutissement. Le Concile a noué des mouvements et des recherches qui se sont déroulés bien avant les travaux.

Apic: Peut-on dire que la liturgie était la porte d’entrée avec laquelle le Concile démarrait véritablement?

M. D.: Non, je ne le dirais pas comme ça. Les grands champs du Concile ont concerné encore bien d’autres sujets, comme l’identité de l’Eglise, la révélation et la tradition, le rapport entre l’Eglise et le monde.

Apic: La suppression de la liturgie en latin a été un des fruits les plus visibles du Concile en Suisse. Mais en réalité, Sacrosanctum Concilium maintient le latin comme langue de base de la messe …

M. D.: C’est vrai. En ce sens, cette Constitution est un point d’arrivée et un point de départ. L’arrivée des études et expériences entreprises avant le Concile. Prenons par exemple la disposition de l’église du Christ-Roi à Fribourg, où les bancs convergent en demi-cercle vers l’autel. Elle correspond à l’esprit conciliaire, et pourtant elle a été construite 10 ans avant Vatican II.

Le concile a aussi été le point de départ de nombreuses initiatives. Il a fallu réviser les livres liturgiques, ce qui a été un des grandes oeuvres de Paul VI.

Apic: Alors comment expliquer que le latin ait pratiquement disparu de la liturgie, alors même que le Concile le maintient comme langue de base?

M. D.: La réforme a été plus rapide que ce que prévoyait Sacrosanctum Concilium. J’y vois une expression des fortes attentes de la foi du Peuple de Dieu. Mais pour certains, l’évolution a été trop rapide. Des fidèles qui ne s’y retrouvaient plus ont ensuite pris le prétexte du Concile pour mettre une distance avec l’Eglise.

Certains changements ont été encore plus fondamentaux que l’abandon du latin. C’est le cas de la messe avec le prêtre face à l’assemblée, et avec l’assemblée. Jusqu’alors, la célébration était entièrement orientée vers Dieu, vers le ciel. Elle est maintenant devenue plus communautaire. Cette disposition est la mise en œuvre de la parole du Christ: «Lorsque deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux».

Apic: Latin ou pas latin? Quel est l’enjeu de cette question?

M. D.: L’enjeu était de comprendre ce que l’on dit. L’assemblée a eu un accès plus direct à la Parole de Dieu. Les croyants ont pu prier avec leurs propres mots. Des prières universelles en lien avec l’actualité dans la communauté et dans le monde se sont exprimées. En clair: la liturgie dans la langue du peuple a libéré la parole.

Apic: On sent également dans cette Constitution une certaine façon de renforcer le rôle du prêtre (action du ministre = action du Christ) et celle de l’assemblée (les fidèles sont des acteurs et non des spectateurs). Une façon de donner un rôle plus important aux fidèles tout en ménageant les prêtres?

M. D.: Le dominicain Pierre-André Liégé, enseignant à l’Institut catholique de Paris, avait affirmé que le Peuple de Dieu était tout entier concélébrant. Tous sont acteurs, tous sont participants. De par leur baptême, les croyants sont prêtres, prophètes et rois.

Et le célébrant dans tout cela? Son rôle n’a pas changé avec le Concile. Il manifeste «l’altérité» du Christ. A travers le prêtre, c’est le Christ qui nous convoque, qui nous donne l’eucharistie.

Apic: Le Concile insiste également sur la formation liturgique des prêtres, sans doute pour mieux les préparer à comprendre et appliquer les changements?

M. D.: Autrefois, les prêtres étaient formés de façon très «ritualiste». Ils apprenaient les gestes à faire et les formules à réciter. Avec le Concile, il a fallu adapter les rites. Beaucoup de choses ont changé: les prières, le style, la musique, … La formation liturgique des prêtres doit les préparer à vivre les adaptations nécessaires.

Apic: L’importance de la découverte de la Parole de Dieu lors de toutes les célébrations: est-ce une façon de rattraper le temps perdu dans ce domaine, du fait que la lecture de la Bible était déconseillée aux catholiques?

M. D.: Oui. Que le Peuple de Dieu se réapproprie la Parole de Dieu a été une volonté expresse du Concile. Il a notamment été prescrit que dans l’église, la table de la Parole soit honorée à l’instar de la table du corps et du sang du Christ.

Vatican II a également introduit une plus grande variété de textes bibliques, avec une alternance des évangiles par cycle de trois ans.

Apic: La dignité de la célébration passe par une ouverture de l’espace autour de l’autel, mais uniquement aux hommes (lecteurs, servants de messe, distributeurs de la communion…)! Pourquoi?

M. D.: C’est difficile à comprendre, c’est lié à une certaine compréhension du sacré … Mais du fait que les communautés se sont progressivement appropriées cet espace, les femmes y ont accédé assez rapidement.

Apic: Mais encore aujourd’hui, le principe de limitation de cet espace aux hommes n’a pas été abrogé.

M. D.: Disons qu’il est possible que celui qui tient absolument à refouler les femmes et les filles de l’ambon et de l’espace autour de l’autel parvienne à trouver quelque part un texte officiel qui le confortera dans sa position …

Apic: Surprise: il y a 50 ans, l’Eglise catholique ouvrait la porte aux assemblées dominicales en l’absence de prêtres (ADAP), animées par des laïcs. Cela a-t-il vraiment été compris et appliqué?

M. D.: Oui, dans les pays de mission. Beaucoup vivaient une terrible situation de pénurie de prêtres. Certains régions n’avaient la messe que deux fois par an. Elles vivaient donc des rassemblements animés par des laïcs.

Dans nos régions, la question est venue bien plus tard, avec la raréfaction des prêtres.

Apic: Quelles autres ouvertures ont eu lieu avec la mise en application du Concile au niveau de la liturgie?

M. D.: Je dirais que trois livres liturgiques ont revêtu une importance particulière dans la mouvance du Concile:

– Celui sur l’eucharistie, comme nous l’avons vu.

– Celui sur le baptême a permis de redonner une réelle importance au catéchuménat des adultes. C’était une nécessité dans les pays de mission, c’est maintenant aussi le cas chez nous, autant pour les adultes qui demandent le baptême que pour les enfants en âge de scolarité.

– Celui sur le sacrement de Réconciliation, qui a permis une ouverture sur les célébrations communautaires, puis sur les célébrations avec absolutions collectives, non prévues dans la Constitution Sacrosanctum Concilium, mais «permises en cas de très forte affluence, si on ne peut raisonnablement pas confesser chaque fidèle». Ce type de célébration a connu un grand succès dans nos régions, puis l’expérience s’est arrêtée il y a quelques années.

C’est à Paul VI que nous devons ces merveilleux fruits du Concile. Je rêve qu’il soit une fois canonisé.

Apic: Le diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg vient de vivre une session pastorale sur la messe du dimanche. Après la mise en place des unités pastorales, à quels changements faut-il s’attendre dans nos paroisses ces prochaines années?

M. D.: Les pratiquants deviennent minoritaires. Les fidèles se rendent à la messe s’ils ont un véritable intérêt ou une opportunité: messe des familles, confirmation d’un proche, fête spéciale, … Y venir par devoir ou par précepte est devenu très rare. De plus, nous vivons une concurrence de plus en plus accrue avec d’autres activités.

Dans ce sens, je pense qu’il faut cultiver encore davantage l’aspect communautaire dans les eucharisties. Nous nous rendrons plus volontiers à la messe si nous savons que nous y rencontrerons des personnes avec qui nous pourrons faire un bout de chemin ensemble. (apic/bb)

6 octobre 2013 | 09:13
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture: env. 6 min.
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