Série Apic: prêtres et religieuses au passé intéressant (III) Charmey: Abbé Jacques Le Moual, curé modérateur de l’UP Notre-Dame des Marches
Quand l’ancien contrôleur de gestion était ’l’oreille de Moscou’
Charmey, 23 janvier 2012 (Apic) Une tête à demi penchée, dont la rondeur est encore soulignée par un collier de barbe blanche, des yeux profonds qui scrutent l’horizon… Jacques Le Moual a l’air de contempler les rochers léchés par les vagues de sa Bretagne natale. Mais c’est à Charmey, au pied des Dents-Vertes, dont il est aujourd’hui bourgeois, que le curé modérateur de l’Unité pastorale Notre-Dame des Marches entend finir ses jours.
Si l’air du large le titille parfois et s’il a «le cœur partagé» entre sa Bretagne et la Gruyère, c’est dans les Préalpes fribourgeoises que l’ancien contrôleur de gestion trouve finalement son bonheur. Certes, il écrit chaque jour une carte à sa mère de 89 ans, qui demeure dans la maison familiale de Lamballe, dans les Côtes d’Armor; il lui téléphone une fois par semaine et se rend trois fois par an en Bretagne. «C’est la famille… sous mon aspect bourru, je suis un sentimental», avoue-t-il.
L’abbé Le Moual nous accueille dans sa cure de Charmey, aux parois de bois patinées, constellées de souvenirs de Bretagne, de diplômes d’honneur décernés par des sociétés locales, de tableaux offerts par les paroisses où l’abbé Le Moual a exercé auparavant son ministère: Praroman et Bonnefontaine… Sans oublier, évidemment, une affiche du Musée Mathurin Méheu, à Lamballe, un bas relief en céramique des Sept-Saints fondateurs de la Bretagne, encadré de maquettes de bateaux, et surmonté d’un tableau figurant un navire de ligne de la marine française, toutes voiles dehors, Le Napoléon.
«Je n’exerce plus le ministère d’exorciste, il y a eu une restructuration, mais il y a toujours des gens qui m’appellent», commente-t-il en décrochant le combiné. L’abbé Le Moual, né le 1er août 1947 à Lamballe, à 17 km de Saint-Brieuc, fut l’un des trois exorcistes du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), où il est incardiné depuis 1994. Si, depuis septembre dernier, il n’a plus la charge de ce ministère où il avait été nommé par Mgr Amédée Grab en 1998, il reçoit encore une vingtaine d’appels par semaine.
Mais le prêtre breton a encore bien d’autres cordes à son arc: fan de la montagne, il s’adonne à la marche sur l’Alpe, fait partie du ski club de la commune et se plaît à la gym hommes. «J’aime la vie du village, où je suis curé depuis bientôt onze ans; ici, c’est comme en Bretagne, ce sont des purs et des durs!»
Même si l’on peut imaginer le personnage en marin de haute mer, il a pratiqué le ski dès le collège. «Ce n’est pas en Suisse que j’ai découvert le ski, mais en Savoie!», tient-il à souligner. Sortant ses albums rangés sur les rayons d’une bibliothèque fournie – il est également un mordu de la photo – il montre encore une autre facette du personnage: sa passion pour le théâtre, qu’il a pu exercer notamment comme acteur et metteur en scène avec les jeunes de Praroman ou les dames du Home de la Vallée de la Jogne, à Charmey.
Une autre vie avant de devenir prêtre
S’il a été ordonné il y a 21 ans à Versailles, Jacques Le Moual rappelle qu’il a eu une autre vie avant de devenir prêtre. «J’ai été salarié durant 17 ans…»
Né dans les odeurs de café – son père, négociant en vins, fut également torréfacteur -, le jeune Le Moual est issu d’une famille catholique de la bonne bourgeoisie française. Dans ce temps-là, où les rivalités entre laïcs et «cathos» étaient vives, cela comptait!
«Aujourd’hui, on ne voit plus la différence… Ce n’était pas le cas dans les années 50. Toute mon enfance à Lamballe a été baignée dans une ambiance catholique, et j’allais à l’école des Frères de Ploërmel. Mes parents m’ont envoyé ensuite au Collège jésuite Saint-François Xavier à Vannes. Ma mère souhaitait une bonne formation pour son premier fils, et les jésuites voulaient que je devienne un ’homme bien’, car les ’bons pères’ avaient à cœur de former des hommes plus que des diplômés. Dans la famille, au plan politique, on était de ’bons centristes’: mon grand-oncle était René Pleven, qui fut plusieurs fois ministre sous la IVe République et sous la Ve République, sous la présidence de Georges Pompidou…»
Après le collège, Jacques Le Moual a suivi l’Ecole des Cadres (EDC) à Paris, une institution privée qui était une école supérieure de commerce, dans le but de reprendre plus tard les affaires familiales à Lamballe. «J’ai essayé de voir, pendant les vacances, mais cela ne jouait pas… Alors j’ai continué mes études dans le droit des affaires à Assas et fait un troisième cycle de gestion auprès de l’IAE, l’Institut d’Administration des Entreprises, puis je suis allé à l’armée.» Sa vocation de prêtre est née chez les ’bons pères’: «Dans une classe de 30 élèves, 4 sont devenus prêtres, 5 ou 6 sont devenus diacres!»
«Mes parents voulaient que j’achève une formation. Il fallait que je devienne mature, car combien entraient directement au séminaire, puis en ressortaient sans formation… Après mon service militaire, j’avais un mémoire à terminer, ce que j’ai fait à l’abbaye de Sainte-Anne de Kergonan, que je connaissais déjà. Mes études terminées, je me suis posé la question d’entrer au couvent, mais le maître des novices, me considérant pas encore assez mûr, m’a conseillé d’entamer d’abord une vie professionnelle».
C’est alors que le jeune Le Moual trouve du travail dans un cabinet de conseil juridique à Paris. «Je devais rédiger des articles dans le domaine du droit social… J’ai fait ce travail pendant neuf mois. Un jour, j’ai rencontré un ancien de chez les jésuites, qui donnait une conférence sur le marketing. C’était le PDG d’une société, la SODEP, qui cherchait un secrétaire particulier pour travailler avec lui. Quand il a vendu l’entreprise, on m’a convoqué un vendredi matin: j’avais le week-end pour débarrasser le bureau! Ce fut un peu traumatisant…sans plus, car j’ai retrouvé très rapidement du travail, à la société SOMATRA, qui cherchait un contrôleur de gestion».
Un job de «flic» au service de la direction
Ce travail de surveillance des collaborateurs de l’entreprise, en quelque sorte un job de «flic» au service de la direction, pour débusquer les fraudes de toutes sortes commises au détriment de la boîte, Jacques Le Moual n’envisageait pas de l’exercer toute sa vie, même s’il y a trouvé du sens.
«On m’appelait ’l’oreille de Moscou’, et j’exerçais dans toutes les filiales à travers la France. Je contrôlais jusqu’aux fiches de remboursement des repas… J’ai trouvé des gens qui faisaient la sieste pendant une heure sur leur élévateur, après le repas. Il fallait contrôler qu’il n’y avait pas de ’coulage’. Certes, j’étais alors plus du côté du patronat que de l’ouvrier, même si j’étais syndiqué à la FCTC et que je suis plutôt ’bonne pâte’». Mais le catholique engagé qu’il était – il avait obtenu entre-temps le diplôme de l’école cathédrale à Notre-Dame de Paris – avait découvert sa voie depuis longtemps: après 17 ans de salariat, il décide de devenir prêtre et quitte la vie laïque à l’âge de 36 ans. Mais c’est là une toute autre histoire.
Note aux médias: Des photos de l’abbé Le Moual peuvent être commandées à apic@kipa-apic.ch. Prix pour diffusion: 80 frs la première photo, 60 frs les suivantes.
(apic/be)