«A Tramelan, il y a plus de communautés religieuses que de bistrots»

Jura bernois, terre d’accueil des mouvements évangéliques (I) *

Tramelan, 25 janvier 2012 (Apic) Le Jura bernois est une forteresse évangélique au milieu d’une région à majorité réformée. Cette évidence ne doit pas occulter l’essentiel: les chrétiens évangéliques, loin d’être tous sectaires comme le voudrait le sens commun, sont pluriels. On y trouve aussi bien des modérés que des fondamentalistes. Enquête chez les mennonites, les darbystes et les pentecôtistes.

«A Tramelan, il y a plus de communautés religieuses que de bistrots.» Cette boutade donne la mesure de la réputation qui marque au fer rouge la partie francophone du canton de Berne. Cette région, 52’000 habitants, est le principal bastion de l’évangélisme en Suisse. Près de 10% de la population (4’600 personnes) se réclament de cette mouvance protestante.

A Tramelan (4’300 âmes), un quart des habitants professent des convictions évangéliques. Mennonites (anabaptistes), baptistes, Armée du Salut, Eglise pour Christ (Cœurs purs), darbystes, le village abrite un impressionnant kaléidoscope religieux. Ailleurs dans le Jura bernois, à Tavannes (3’500 habitants) ou à Saint-Imier (4’800), les évangéliques se comptent là aussi par centaines. Or, le Jura bernois, victime de clichés, passe pour une terre de prédilection des groupes sectaires. Certes, le fourmillement de communautés évangéliques, un trait incontestable de la région, surprend. Mais ce phénomène a de claires racines historiques, rappellent certains spécialistes en sciences sociales.

Communauté mennonite au milieu des pâturages

Aux Reussilles, au-dessus de Tramelan, dans une commune parsemée de fermes et nichée à 1’000 mètres d’altitude au milieu d’un paysage rude de pâturages boisés, Michel Ummel n’a rien du gourou assoiffé de pouvoir. Aimable, accueillant, farceur, d’une remarquable érudition, cet ancien (pasteur dans le langage des mennonites) œuvre au sein de la communauté mennonite du Sonnenberg (Mont-Soleil), qui compte 500 fidèles.

«Plus de 1’000 des 2’300 anabaptistes de Suisse vivent dans le Jura bernois et dans le canton du Jura. C’est le groupe évangélique le plus important de la région», explique ce Loclois détenteur d’un master américain en théologie, qui enseigne le français à Berne. Il ajoute: «La communauté du Sonnenberg, bilingue français-allemand, repose sur une forte composante paysanne, que l’on peut estimer à 40 personnes. Mais nous avons aussi des enseignants, des indépendants, des horlogers. Toutes les tranches d’âge et tous les milieux sont représentés, les jeunes familles notamment.»

Michel Ummel rappelle que le poids de sa communauté s’explique par les persécutions qui ont frappé les anabaptistes en Suisse aux 16e et 17e siècles. «Le pacifisme et l’antimilitarisme, la non-violence, la revendication d’une séparation claire entre l’Eglise et l’Etat, le baptême à l’âge adulte comme fruit d’un choix personnel nous ont valu les foudres des autorités zurichoises en 1525 et du pouvoir bernois en 1650. On craignait l’anabaptisme comme la peste, à tel point que ses membres ont été éliminés physiquement.»

Et l’ancien de poursuivre: «A la fin du 17e siècle, l’exode forcé de l’Emmental a conduit les mennonites dans le Jura bernois, un lieu d’établissement et de passage. Les autochtones les ont acceptés là où il y avait de la place, sur les hauteurs jurassiennes, qui ont vu fleurir des métairies et des écoles tenues par les anabaptistes.»

Aux yeux de Michel Ummel, l’image du mennonite un peu bizarre, emmuré dans ses traditions et prisonnier de son mode de vie, méfiant à l’égard de l’extérieur n’a plus lieu d’être. Les hommes à longues barbes et les femmes en jupe avec des cheveux relevés en chignon appartiennent, il est vrai, au passé. «Les anabaptistes se sont totalement intégrés jusqu’à se fondre dans les sociétés locales. Ils collaborent avec les autres Eglises et entretiennent des liens avec la population. Bref, le stéréotype de l’évangélique sectaire et imperméable à la modernité est un mythe qui n’en finit hélas pas de nous poursuivre», déplore-t-il.

L’ouverture au monde des anabaptistes

«Mon époux est membre de l’Eglise réformée. Quant à mes meilleurs amis, ils ne sont pas mennonites». Isabelle Geiser-Gerber, une mère de famille de 23 ans engagée dans l’enseignement du catéchisme, symbolise à merveille l’ouverture au monde des anabaptistes et l’avènement d’une génération en phase avec son temps.

Originaire de Mont-Tramelan, un hameau de 120 habitants, cette amène maman née dans une famille alémanique de vieille tradition mennonite a une formation d’assistante en soins, profession qu’elle a exercée entre 2008 et fin 2011 au Centre hospitalier de Bienne. «Les anabaptistes sont finalement descendus au village», plaisante Isabelle Geiser-Gerber. Et de poursuivre: «Le refus de la modernité n’est plus d’actualité, même si nous continuons d’appliquer des règles de base en préconisant, par exemple, l’abstinence sexuelle avant le mariage.»

Darbystes ou «adorateurs du Christ»?

On chercherait en vain ce climat d’ouverture chez les représentants des Assemblées de frères ou darbystes (une quinzaine de communautés en Suisse romande), du nom du fondateur du mouvement, le pasteur d’origine irlandaise John Nelson Darby (1800-1882). Aux Reussilles, Rénald Gindrat, qui refuse l’étiquette de darbyste, se décrit comme un «adorateur du Christ». Et de lancer au téléphone sur un ton cassant et l’air agacé: «Il est impossible sur Terre de faire partie d’une autre Eglise que celle de Jésus-Christ mort sur la croix. La spécificité de notre communauté, c’est qu’elle se rassemble au nom de Jésus-Christ.»

Chez les frères, qui ont un lieu de culte à Tramelan, l’œcuménisme n’est guère en odeur de sainteté: «Il s’agit là d’un courant de pensée qui cherche à réaliser ce que Dieu a déjà mis en place. Or, on ne peut pas recommencer l’œuvre du Seigneur.» Les nouvelles technologies, elles aussi, ne trouvent pas grâce aux yeux de Rénald Gindrat: «Le spirituel, le céleste et le divin ne peuvent pas faire l’objet d’un site internet. Jésus ne dispose pas de pages web», lâche-t-il.

Comme le souligne le Centre intercantonal d’information sur les croyances, à Genève, les darbystes, une des ailes les plus radicales de l’évangélisme, soumettent les fidèles à des règles de conduite très strictes: durant les cultes, les femmes, qui doivent porter un voile, et les hommes sont séparés. Les mariages mixtes sont déconseillés.

Assemblée chrétienne de La Tanne sur un «nid d’aigle»

Située dans la mouvance pentecôtiste, l’Assemblée chrétienne de La Tanne, au-dessus de Tavannes, est forte de 400 fidèles. Pour rejoindre cette communauté créée en 1965 par une famille alémanique de Münsingen (BE), il faut emprunter, sans se laisser distraire par la beauté du paysage, une petite route escarpée déconseillée à ceux qui souffrent de vertiges. Après avoir serpenté à hue et à dia, la grosse ferme qui abrite l’Assemblée chrétienne de La Tanne se détache sur une vaste clairière à 1’000 mètres parmi une vingtaine d’autres exploitations agricoles.

Marcel Niederhauser, un pasteur d’origine alémanique, règne sur ce nid d’aigle, véritable microsociété organisée avec une rigueur quasi martiale: un immense lieu de culte pouvant accueillir 300 personnes, une garderie, un bar, un espace de jeux pour les jeunes, des dortoirs, plusieurs bureaux, tout a été pensé pour cimenter la vie communautaire. «Notre église fait le plein tous les dimanches. Nous accueillons évidemment nos propres fidèles, mais aussi de nombreuses visiteurs de passage», se réjouit Marcel Niederhauser. Et de préciser: «Nous sommes ouverts aux autres. L’église doit être un lieu d’accueil, un endroit où les gens se sentent bien. D’ailleurs, nous recevons moult personnes frappées par des problèmes de santé, de couple ou d’argent. Nous leur offrons un soutien spirituel dans l’écoute et la prière.»

Selon le pasteur, le pentecôtisme ne doit pas déboucher sur la transe ou sur une forme de psychédélisme, antichambre de la manipulation. «Nos groupes de louange se contentent d’entraîner les fidèles dans un temps de chant et d’adoration», explique-t-il. Le succès de l’Assemblée chrétienne de La Tanne est tel que la communauté vient d’acquérir à Tavannes un terrain de 10’000 mètres carrés. «Un tout nouveau lieu de culte et de rencontre devrait y voir le jour en automne 2013. Ce projet est devisé à 4 millions de francs», indique Marcel Niederhauser.

Note aux médias: Des photos gratuites illustrant cette enquête peuvent être commandées à apic@kipa-apic.ch.

* La suite de l’enquête sur les mouvements évangéliques dans le Jura bernois sera diffusée dans le service Apic du 26 janvier. Avec des témoignages et des avis d’experts.

(apic/eda/bb)

25 janvier 2012 | 12:01
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 6  min.
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