Le cardinal Juan Luis Cipriani dans la tourmente
Pérou: L’Université «rebelle» continue de diviser l’Eglise locale
Rome, 28 août 2012 (Apic) Plus d’un mois après la décision du Saint-Siège – le 21 juillet 2012 – de retirer à l’Université pontificale catholique du Pérou (PUCP) les 2 qualificatifs de «pontificale» et de «catholique», le cas de cet établissement continue de diviser l’Eglise péruvienne. Plusieurs voix, notamment issues de la communauté jésuite, se sont élevées contre la gestion du litige par l’archevêque de Lima, le cardinal Juan Luis Cipriani.
La PUCP, au cœur de polémiques depuis plus de 40 ans du fait de ses positions parfois considérées comme «éloignées de la doctrine de l’Eglise» et de controverses sur ses biens, n’a désormais plus le droit de se qualifier de «pontificale» ni de «catholique». C’est ce qu’a décidé le Saint-Siège par décret le 21 juillet dernier, après plusieurs mois de tensions entre le rectorat de l’Université et l’Eglise péruvienne.
Le choix «déplorable» du Saint-Siège
Depuis la publication de cette décision, la polémique enfle, et le conflit public s’est intensifié. Les dirigeants de la PUCP n’ont pas tardé à qualifier de «déplorable» le choix du Saint-Siège, formulé par le cardinal secrétaire d’Etat Tarcisio Bertone. Le recteur de l’établissement, Marcial Rubio, a même précisé qu’il entendait malgré tout maintenir les qualificatifs contestés. Au vu de la «gravité» des termes du décret, il estimait aussi que l’Université devrait «reconsidérer sa relation statutaire» avec l’Eglise catholique.
Dans ce contexte, face à l’avalanche de critiques de la part des dirigeants de la PUCP envers le cardinal Cipriani dans sa gestion de la controverse, la Conférence épiscopale du Pérou (CEP) a décidé de prendre sa défense. Dans un communiqué publié le 24 juillet, elle assure ainsi s’opposer aux attaques formulées à l’encontre du haut prélat. Par ailleurs, elle souligne sa «totale fidélité et adhésion» à l’invitation faite à la PUCP par Mgr Salvador Pineiro Garcia-Calderon, président de la CEP, de se soumettre à la décision du Saint-Siège.
Voix discordantes
Mais les divisions se trouvent aussi dans chacun des 2 camps. Au sein de l’Université, certains remettent en question la rébellion des dirigeants face aux directives du Saint-Siège. De leur côté, les évêques péruviens, qui apparaissent compacts en public, ont cependant des positions divergentes. Ceux qui ne partagent pas la volonté du cardinal Cipriani de prendre le contrôle de l’Université se taisent pour le moment, dans une sorte d’obligation d’appui institutionnel, selon divers médias.
Alors que la Conférence épiscopale péruvienne avait publié le 7 août dernier un communiqué solidaire de la décision vaticane, Mgr Luis Bambaren Gastelumendi, ancien évêque de Chimbote, a regretté une semaine plus tard que les évêques se rangent derrière le cardinal Cipriani, membre de l’Opus Dei. Il a déploré que le Conseil permanent de la Conférence épiscopale péruvienne assume le problème et les intérêts du cardinal Cipriani «comme étant les siens propres».
L’Eglise est «en train de perdre la meilleure Université du Pérou»
Ainsi, dans une lettre adressée à Mgr Pineiro datée du 15 août, Mgr Bambaren, prélat jésuite influent et ancien président de la CEP, critique vivement l’appui de la CEP au cardinal Cipriani dans ce qu’il considère comme une question entre l’archevêque de Lima et l’Université.
A ses yeux, «ce qui était un problème local (…) est devenu un problème de l’Eglise qui a d’abord été marginalisée, avant d’être instrumentalisée, au détriment du peuple de Dieu». «Nous sommes, écrit-il, en train de perdre la meilleure Université du Pérou».
Dans ce courrier au ton particulièrement passionné, le jésuite assure qu’il donnerait sa vie pour la «pleine fidélité et obéissance au vicaire du Christ» mais pas sa «fidélité au Grand chancelier», le cardinal Cipriani. Mgr Bambaren a également adressé une lettre, non publiée, au cardinal Bertone, pour lui signifier son opinion à ce sujet.
Peu après, le provincial de la Compagnie de Jésus au Pérou, le Père Miguel Gabriel Cruzado Silvestri, a signé le 20 août une lettre parue ensuite dans la presse locale, adressée elle aussi à Mgr Pineiro. Tout au long des 5 pages du document, il explique non seulement la nature de la présence des jésuites au sein de l’établissement, mais aussi le rôle de l’Université pour l’Eglise péruvienne. Selon lui, le conflit peut encore être résolu.
Litige civil et canonique
Ce litige, qui comprend aussi bien une dimension civile que canonique, a vu un envenimement croissant des relations entre l’archevêché de Lima et l’Université péruvienne. A partir de 1990, l’Université a été invitée à plusieurs reprises par le Saint-Siège à conformer ses statuts à la constitution apostolique «Ex Corde Ecclesiae» sur les établissements catholiques, mais elle ne l’a jamais fait. Plus récemment, suite à une visite canonique effectuée en décembre 2011 et à la rencontre du recteur Marcial Rubio avec le cardinal Bertone en février 2012, «une nouvelle tentative de dialogue a été lancée en vue de la mise en conformité des statuts avec les lois de l’Eglise», sans succès.
Dernièrement, le recteur a fait part, dans 2 lettres adressées au cardinal Bertone, de l’impossibilité de réaliser ce qui lui était demandé, faisant de la renonciation de l’archidiocèse de Lima au contrôle de la gestion des biens de l’Université la condition de la modification des statuts. Or, selon le Vatican, la participation de l’archidiocèse de Lima au contrôle de la gestion patrimoniale de cet organisme a été plusieurs fois confirmée par des jugements des tribunaux civils péruviens.
Pas de dialogue sans obéissance», déclare le cardinal Cipriani
Toutefois, le Saint-Siège avait indiqué qu’il continuerait à suivre l’évolution de la situation de l’Université, dans l’espoir que les autorités académiques compétentes réexaminent leur position, afin de pouvoir revoir cette décision. Récemment, le cardinal Cipriani, en appelant au «sens commun des étudiants», a dit refuser le dialogue s’il n’y avait pas l’obéissance, soulignant que les autorités actuelles de l’ancienne PUCP, à la tête de laquelle se trouve le recteur Marcial Rubio Correa, «rendent impossible» le dialogue avec l’Eglise. (apic/imedia/mm/be)