Témoins et acteurs de l’histoire fribourgeoise de 1960 à 1980
Fribourg: «1960 c’était hier, mais c’est la préhistoire»
Fribourg, 5 octobre 2012 (Apic) Le canton de Fribourg a connu entre 1960 et 1980 un véritable changement d’ère. D’un espace rural traditionaliste il est passé en vingt ans à un canton dont la dynamique économique et démographique n’a pas fléchi depuis. Une table ronde, réunie le 5 octobre à l’occasion d’une journée d’étude en l’honneur du professeur Francis Python, a tenté d’explorer quelques unes des conditions et des causes de cette mutation sociale, politique et religieuse.
Faire un bout d’histoire du temps présent, en présence des acteurs et des témoins de cette histoire, tel était l’objectif de ce débat qui clôturait le colloque en hommage au professeur Francis Python au moment de son départ à la retraite.
Pour Louis Ruffieux, rédacteur en chef de «La Liberté» «1960 c’était hier, mais c’est la préhistoire». Il se rappelle de son école primaire en Gruyère et du duo curé-instituteur. Des classes où les coups pleuvaient sous l’œil complaisant de Georges Python, fondateur de la ’République chrétienne’, dont le portrait était suspendu à côté du crucifix.
La prise de conscience politique de la stagnation fribourgeoise remonte au recensement fédéral de 1960, estime John Clerc, ancien secrétaire du parlement fédéral et récent auteur d’un catalogue des Conseillers d’Etat fribourgeois. On s’aperçoit alors que la population fribourgeoise n’a augmenté que de 491 personnes entre 1950 et 1960. La Glâne, la Broye, la Veveyse se dépeuplent. Le Conseil d’Etat, emmené par le directeur de l’économie Paul Torche, a mis en route une politique volontariste pour attirer les entreprises sur le thème : ’à Fribourg il y a de la place et il y a des ouvriers’.
A la télé on parlait divorce ou avortement
François Gross, ancien rédacteur en chef de «La Liberté» évoque la grande entreprise de Vatican II qui a mobilisé les catholiques. Même si les Fribourgeois furent lents à démarrer et opposèrent pas mal de résistance notamment face aux changements liturgiques. Le rédacteur en chef de «La Liberté» de l’époque, Roger Pochon, empreint de conservatisme grand teint, se fait tirer les oreilles par la nouvelle Sœur supérieure de St-Paul qui l’enjoint de s’intéresser davantage à ce qui se passe à Rome. Dans ce contexte, l’arrivée de la télévision a évidemment été un élément essentiel du changement. Sur le petit écran on parlait divorce, avortement, homosexualité, armée… des sujets jusque là quasi tabous dans le discours dominant.
Pour l’ancien Conseiller d’Etat Pascal Corminboeuf, Fribourg entre dans la modernité à reculons. Le suffrage féminin y est refusé en 1959 et ne sera accepté que dix ans plus tard. Jusqu’à la fin des années 50 Fribourg a vécu replié sur lui-même.
A 100% pour Vatican II
Thérèse Meyer, ancienne conseillère nationale, se souvient de sa jeunesse à Bulle où les sœurs de l’Institut Ste Croix défendaient aux filles de montrer leurs orteils car ’cela pourrait donner des idées aux garçons’. Elle trouve néanmoins que la société de l’époque était plus conviviale et plus sympathique. Ses trois oncles prêtres étaient à 100% pour Vatican II, mais ils se heurtaient à la résistance du clergé local et d’une partie de la population. Ces années 60 sont aussi celles de l’arrivée de l’autoroute jusqu’à… Corpataux.
Au plan politique, pour briser l’hégémonie du parti conservateur catholique (futur PDC) les minoritaires s’allient entre eux. Socialistes, agrariens, indépendants chrétiens-sociaux se font une place au parlement avant que la perte de la majorité PDC au Conseil d’Etat ne soit scellée en 1981, rappelle John Clerc.
Le rôle de l’Université évolue aussi. Pendant longtemps elle sert en quelque sorte de repoussoir face à une population essentiellement rurale. Le peuple refuse plusieurs crédits pour son agrandissement. Mais elle s’ouvre et se démocratise. Aujourd’hui le soutien populaire lui est acquis, analyse Pascal Corminboeuf.
Pendant une heure, la ’petite’ histoire a entrouvert la porte de la ’grande’ histoire. L’hommage à Francis Python sonnait juste. Durant toute sa carrière universitaire, le professeur d’histoire moderne et contemporaine s’est penché avec acuité sur cette vie locale jouant le rôle d’un passeur entre les spécialistes et les amateurs. Pour lui, saisir le passé c’est aussi comprendre le présent. (apic/mp)