Fribourg: Lancement de la série sur les fêtes chrétiennes avec le Professeur Klöckener

Les périodes liturgiques marquent l’ensemble de la société

Fribourg, 6 novembre 2012 (Apic) Depuis quand les communautés chrétiennes célèbrent-elles les événements qui ont marqué la vie du Christ? Qu’est-ce qui a permis aux fêtes religieuses de prendre racine dans la société? Halloween a-t-il des chances de s’implanter en Occident?

Le Professeur Martin Klöckener, directeur de l’Institut de Sciences liturgiques de l’Université de Fribourg, explique comment, au cours des siècles, la fête et les périodes liturgiques ont constitué un fondement dans la vie des fidèles et continuent de marquer l’ensemble de la société.

Apic: Il y a davantage de fêtes spécifiquement catholiques (Immaculée, Assomption, ..) que de fêtes protestantes. Pourquoi?

Pr. Martin Klöckener: Cela remonte à la Réforme. Les Réformateurs, Luther, Zwingli et d’autres, ont affirmé que la vénération des saints n’avait plus aucun droit. Il faut dire qu’au Moyen-Âge tardif, l’Eglise avait connu une très forte augmentation des fêtes de saints, parfois aussi avec des exagérations et des abus. Contre ce développement, la Réforme a souligné que Dieu seul pouvait être adoré. En conséquence, elle a supprimé la vénération des saints. Dans l’orientation de la Réforme vers la Bible, seuls les saints bibliques, en particulier les apôtres, ont été maintenus et une certaine vénération à leur égard a été conservée.

Chez les catholiques, le calendrier des fêtes a été souvent allégé au cours de l’histoire. Dans le Bréviaire de 1568 et le Missel de 1570, peu après la Réforme et suite au concile de Trente, une grande foule de saints ont été biffés. Mais par la suite, le calendrier de l’Eglise universelle s’est enrichi avec de nouveaux saints qui souvent n’étaient que d’importance régionale. Ainsi, jusqu’au 20e siècle, il s’est à nouveau rempli.

A cette époque, selon les règles liturgiques, les fêtes des saints étaient devenues même plus importantes que les dimanches. Le pape Pie X, au début du 20e siècle, a redonné au dimanche un poids plus important. En fait ce ne sont pas les textes du Missel ou du Bréviaire qui ont été modifiés à cette occasion, mais leur utilisation.

Le Concile Vatican II a à nouveau élagué le calendrier des fêtes des saints. Il a notamment mis en place une différenciation entre les calendriers particuliers (diocésains, ordres religieux) et celui de l’Eglise universelle. Beaucoup de fêtes de saints ont été transférées au niveau des diocèses, régions ou ordres. Ainsi, en Suisse, la fête de Saint Joseph est jour férié dans le diocèse de Sion. Les fêtes mariales, quant à elles, ne touchent pratiquement que les cantons catholiques.

Apic: Le calendrier chrétien semble avoir conquis le monde. Presque personne en Occident ne sait en quelle année nous sommes du point de vue musulman ou juif, est-ce la réalité?

M. Klöckener: Oui, cette réalité date de l’Antiquité tardive, lorsqu’on a commencé à calculer les dates à partir de la naissance du Christ. Puis le calendrier grégorien (1582) a remplacé le calendrier julien (dès 45 av. J.-Chr.), lequel occasionnait un petit décalage par rapport aux saisons. Mais certaines régions réformées, par exemple aux Grisons, n’ont introduit le calendrier grégorien, qu’au 19e siècle.

La date de la naissance du Christ a été calculée au 6e siècle, elle est l’œuvre du moine Denys le Petit. Cette calculation s’est progressivement imposée avec le déclin du calendrier romain, basé sur la fondation de la Ville de Rome. Elle a d’abord conquis l’Europe de l’Ouest, dans les régions christianisées, puis les autres régions touchées par les missions.

Apic: L’Eglise catholique tente de s’approprier certaines fêtes non-religieuses. Pourquoi, par exemple, aller à la messe le 1er janvier?

M. Klöckener: L’entrée dans la nouvelle année, qu’elle soit célébrée le 1er janvier ou le 1er mars comme autrefois, a été marquée par les chrétiens déjà dans l’Antiquité tardive ainsi qu’au Moyen-Âge. On le retrouve par exemple dans les prédications de Saint Augustin (+ 430). Il s’agissait de saluer le Nouvel-An d’une manière chrétienne. Lors de la réforme liturgique après Vatican II, on a institué une fête mariale le 1er janvier, mais elle n’est pas vraiment parvenue à conquérir le cœur des fidèles.

Le Nouvel-An est un moment important dans la vie des fidèles. C’est l’occasion de donner un sens à la vie et au temps qui passe. C’est un moment qui atteint le cœur des croyants.

Apic: Les évêques suisses marquent la fête nationale du 1er août en délivrant un message à la population.

M. Klöckener: Oui, mais le 1er août ne sera jamais un jour de fête chrétienne. L’Eglise participe à la vie de la société. En ce sens, c’est une bonne idée de délivrer un message ce jour-là. Mais cela ne signifie pas que les évêques vont s’approprier cette fête.

Apic: Encore aujourd’hui, le rythme des vacances scolaires et des jours fériés est basé sur les principales fêtes chrétiennes. Mais depuis peu les vacances ont tendance à s’en défaire: celles de la Toussaint ne tombent plus sur le 1er novembre et celles de Pâques varient en fonction des années …

M. Klöckener: Cela dépend des pays ou des régions. En France, les vacances scolaires n’ont pratiquement aucun lien avec les fêtes liturgiques. En Suisse, ce lien existe encore, mais avec des importantes différences d’un canton à l’autre. En Allemagne, les vacances d’automne étaient appelées «Kartoffelferien» (Vacances des pommes de terre) et devaient permettre aux élèves de participer à la récolte. Et même en Suisse, elles n’ont pas de liens avec la Toussaint. Je ne suis pas sûr qu’il s’agisse en l’occurrence d’une conséquence de la sécularisation de la société.

Les vacances et les jours fériés ont notamment pour but de permettre aux habitants de profiter des loisirs, d’avoir des temps de repos et de participer aussi d’une manière raisonnable au tourisme. Un lien avec les fêtes chrétiennes est souhaitable, mais pas indispensable.

Apic: Depuis quand les communautés chrétiennes ont-elles inscrit des fêtes à leur calendrier?

M. Klöckener: Cela a commencé déjà dans les premières communautés chrétiennes, qui ont commémoré la résurrection du Christ et fêté la création le dimanche. Puis Pâques a été la fête la plus ancienne. Elle date probablement du 2e siècle, ou même du 1er siècle selon notre interprétation d’un texte de la première épître aux Corinthiens.

Puis au 4e siècle, dès que l’Eglise a connu une ère de paix et de plus grande liberté, de nouvelles fêtes du Christ ont surgi, comme Noël, l’Epiphanie, l’Ascension … Cette époque est marquée par la fin des persécutions et un développement de la vénération des saints. Celle-ci ne concerne d’abord que les martyrs et a une dimension très locale. L’évêque Martin de Tours, mort en 397, sera le premier saint non martyr.

La vénération des saints prend une dimension supplémentaire par la propagation de la liturgie romaine dès le 6e siècle. Elle comprend alors beaucoup de saints «romains», en raison de l’apostolicité de la Ville de Rome, souvent considérée comme modèle dans les autres églises locales.

Apic: Pensez-vous que Halloween a des chances de s’implanter fortement en Occident?

M. Klöckener: Je ne le crois pas. Il s’agit là d’une «fête» provenant d’une autre culture. L’initiative a été lancée principalement par des entreprises commerciales afin de créer une «fête» de consommation. Mais cela n’a pas abouti à une fête reconnue par tous. Et j’ai l’impression que son impact baisse chaque année. Halloween a pris la forme de jeux d’enfants, mais elle ne dispose pas de bases suffisamment solides pour une véritable implantation dans notre société.

On l’a vu en Allemagne de l’Est, où le gouvernement avait décrété autrefois toute une série de fêtes et les avait imposées à la population pour des raisons idéologiques d’éducation au socialisme. Cela n’a pas marché. Pour permettre à une fête de s’implanter, il faut un événement de base rassembleur, un enracinement culturel et une véritable acceptation dans la population.

Apic: Si les fêtes chrétiennes ont pris racine en Occident, c’est parce qu’elles avaient un véritable sens pour la population …

M. Klöckener: Oui, la fête constitue d’abord un fondement dans la vie des croyants. Ensuite, même pour les non-croyants les temps liturgiques revêtent une véritable importance. Ils en profitent pour s’investir dans des projets, prendre des résolutions. C’est le cas durant le carême, lors de la Semaine sainte ou en période de Noël par exemple.

Apic: Alors que la datation de la naissance de Jésus au 25 décembre ne repose sur aucune certitude, il est étonnant de voir à quel point la fête de Noël imprègne fortement la vie de notre société …

M. Klöckener: La fête de Noël est effectivement un bel exemple d’événement à dimensions anthropologique, cosmologique, liturgique et sociologique. Mais la date n’a pas été fixée au hasard. La population se trouve au coeur de la nuit, au solstice d’hiver, avec l’assurance que les jours vont augmenter. Noël est ainsi devenue la fête de la lumière, au moment où la nuit est la plus noire.

La fête de la Saint-Jean d’été, célébrée le 24 juin, lui fait écho au solstice d’été: les jours vont décliner pour que le dernier prophète de l’Ancien Testament, Jean le Baptiste, laisse la place au Christ.

Encadré:

Martin Klöckener, âgé de 57 ans, a suivi des études de philosophie, théologie catholique, latin et pédagogie à la faculté de théologie de Paderborn et aux universités de Würzburg et Bielefeld en Allemagne. Il accomplit en 1985 un doctorat à la faculté de théologie de Paderborn avec une thèse dans le domaine de la liturgie. De 1989 à 1994, il est conseiller scientifique et directeur de la bibliothèque de l’Institut allemand de liturgie à Trier. Il est professeur ordinaire titulaire de la chaire bilingue de Sciences liturgiques à l’Université de Fribourg en Suisse depuis 1994.

Il a été doyen de la Faculté de Théologie de l’Université de Fribourg de 2008 à 2010, avant de devenir vice-doyen de la même Faculté. Il est actuellement directeur de l’Institut de Sciences liturgiques de l’Université et vice-président du Sénat de l’Université.

Encadré:

Dès la mi-novembre, l’Apic diffuse sur deux ans une série d’articles sur 13 parmi les principales fêtes du calendrier liturgique: Immaculée Conception, Noël, Mercredi des Cendres, Vendredi-Saint, Ascension, Assomption, Toussaint, Epiphanie, Jeudi-Saint, Pâques, Pentecôte, Fête-Dieu, Jeûne Fédéral.

(apic/bb)

6 novembre 2012 | 09:37
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
Partagez!