Terre Sainte: Le dialogue interreligieux est fait de lumières et d’ombres, selon Mgr Shomali

La haine et la méconnaissance de l’autre au cœur du problème israélo-palestinien

Jérusalem/Toulouse, 7 février 2013 (Apic) Le dialogue interreligieux en Terre Sainte est fait «de lumières et d’ombres», constate Mgr William Hanna Shomali, évêque auxiliaire du Patriarcat latin de Jérusalem. Il était samedi 2 février 2013 à l’Institut catholique de Toulouse, où il a donné une conférence sur les défis auxquels sont confrontés aujourd’hui les chrétiens de Terre Sainte.

Parmi les évènements troublants de l’année dernière, Mgr Shomali mentionne les 20 actes de vandalisme, de destruction et de graffitis blasphématoires, visant surtout des sites chrétiens, et parfois aussi des mosquées et des synagogues. Dans la plupart des cas, les agresseurs sont des extrémistes juifs signant leurs actes du slogan «Le prix à payer» (price tag), du nom d’un mouvement de colons ultranationalistes.

Une «éducation au fanatisme» reçue dans les écoles

L’évêque auxiliaire de Jérusalem relève dans ce contexte un fait positif: les chefs des trois religions, en même temps que les politiciens palestiniens et israéliens, ont réagi ensemble. «Ils ont condamné ces actes, mettant le doigt sur la racine du problème qui réside dans l’éducation au fanatisme, reçue par ces extrémistes dans leurs écoles».

Mgr Shomali relève d’autres points positifs. Ainsi, du côté palestinien, Noël est considéré comme une fête nationale. Le président Abbas assiste chaque année à la messe de Noël à Bethléem et il organise son programme annuel pour ne pas manquer ce rendez-vous. Du côté israélien, le président Shimon Peres invite chez lui les chefs des différentes Eglises afin de leur présenter ses vœux. Un évènement semblable est organisé par le maire de Jérusalem.

Des manuels scolaires qui défigurent parfois l’image de l’autre

Il existe également un «Conseil des Institutions Religieuses de Terre Sainte», qui réunit les hauts représentants des trois religions: le ministre palestinien du «wakf» musulman, les deux grands rabbins et les trois patriarches de Jérusalem. «Les chefs religieux ont réussi à faire une étude sur les manuels scolaires dans les écoles palestiniennes et israéliennes pour voir (….) comment ils représentent l’image de l’autre. L’étude n’a pas été complètement publiée, mais nous avons su que les résultats ne sont pas encourageants, car ces manuels contiennent des points négatifs et l’image de l’autre y est parfois défigurée».

L’évêque catholique relève qu’avec les musulmans, les chrétiens ont en commun la langue, la culture et le fait d’avoir vécu et souffert ensemble. «Malgré cela, le dialogue théologique reste difficile. On ne peut pas dialoguer avec eux autour de la Trinité, de la divinité du Christ et de son incarnation, par exemple. Mais on peut approfondir ensemble les valeurs éthiques et religieuses communes comme le jeûne, la prière, l’aumône, la justice, le pèlerinage et le respect de la vie…»

L’islamisation progressive du Moyen Orient rend la situation plus difficile

Au niveau des relations humaines au quotidien, relève-t-il, «nous essayons dans nos écoles et oeuvres sociales d’éduquer les jeunes musulmans et chrétiens à vivre ensemble dans le respect mutuel et la convivialité».

«Nous leur rappelons, par exemple, combien il est important d’échanger les voeux à l’occasion des fêtes, de se visiter et de s’entraider mutuellement». En effet, pour Mgr Shomali, le dialogue ne devrait pas se limiter aux sphères intellectuelles, mais descendre pour couvrir toutes les couches de la société.

Créer une nouvelle mentalité chez les musulmans

Un des objectifs auquel aspire l’Eglise en Terre sainte, dans son dialogue avec les musulmans, est de créer une nouvelle mentalité «de sorte que la majorité musulmane accepte, dans la pratique, la diversité religieuse et surtout la liberté de conscience, encore non reconnue par l’islam», insiste Mgr Shomali.

«Cet objectif devient de plus en plus difficile dans le contexte actuel de l’islamisation progressive du Moyen Orient. L’islam politique monte au pouvoir et laissera moins d’espace à la liberté religieuse. Tout cela se fait au nom d’un ’printemps arabe’ qui s’est avéré comme un réveil islamique. Le plus dramatique, c’est que l’Occident croit encore dans ce ’printemps’ auquel ne croient même pas une grande partie des Arabes eux-mêmes».

«Les Syriens auraient préféré la dictature d’Assad plutôt que la destruction actuelle»

Mgr Shomali se dit certain que «les Syriens auraient préféré la dictature d’Assad plutôt que la pagaille et la destruction actuelle». De même, vu le chaos actuel, les Egyptiens vont vite regretter la dictature de Moubarak. «J’ose dire la même chose de Saddam, dont la destitution a causé la mort de 350’000 Irakiens et de 8’000 soldats américains, en plus d’une guerre civile qui a appauvri et déchiré le pays. Mais c’est un tabou d’en parler en Occident!».

Le dialogue islamo-chrétien reste infructueux et de pure façade, souligne-t-il, «si nous n’arrivons pas à résoudre des problèmes réels comme celui de la liberté de conscience et la citoyenneté égale». Et de mentionner la question actuelle d’un lieu saint chrétien, le Cénacle, sur le Mont Sion, où Jésus célébra la Dernière Cène avec les Apôtres. Mgr Shomali rappelle qu’en 1333, les rois de Naples avaient acheté le Cénacle au sultan d’Egypte, puis l’avaient offert aux franciscains, qui ont construit leur premier couvent en Terre Sainte. En l’an 1523, les troupes ottomanes ont expulsé les franciscains de leur propriété.

Bataille autour de la propriété du Cénacle

Avec la création de l’Etat d’Israël en 1948, des milliers d’Arabes ont été forcés d’abandonner leurs maisons. «Comme d’autres propriétés qui appartenaient à des Palestiniens qui ont fui, le gouvernement israélien a saisi le Cénacle sur la base de la loi sur les terrains appartenant à des ’Absents’, loi qui donne à l’Etat (d’Israël) le droit de s’approprier ce qui n’a pas de propriétaire. Les musulmans disent que cet endroit a été construit sur le tombeau de David et leur appartient. Il ne peut donc jamais être donné aux chrétiens, car le wakf (fondation islamique) ne peut pas être vendu, mais échangé. (,,,) Je me demande: si le dialogue religieux n’arrive pas à résoudre une question pareille, à quoi sert-il?»

Avec les juifs, relève Mgr Shomali, le dialogue religieux devrait être plus facile «à cause des points communs que nous partageons: la Bible, les personnages bibliques, la prière des psaumes et les valeurs éthiques communes comme les vertus humaines, la dignité de la personne et la valeur de la vie. Il y a plus: Jésus lui-même était juif et nous ne pouvons pas comprendre notre liturgie et nos fêtes chrétiennes sans référer aux fêtes et aux célébrations du judaïsme contemporain du Christ».

Certes, le dialogue judéo-chrétien a fait des avancées théologiques importantes depuis le document conciliaire «Nostra Aetate» qui date de 50 ans. «Ce dialogue interreligieux continue à Rome, à Paris, et surtout aux Etats-Unis et en Israël, où habitent le plus grand nombre de Juifs. Ce dialogue a abouti à une reconnaissance réciproque entre le Saint-Siège et Israël, aux échanges d’ambassadeurs, aux accords fondamentaux entre les deux pays et aux accords fiscaux qui pourront être signés dans une brève échéance».

L’évêque auxiliaire de Jérusalem relève qu’au niveau de la vie quotidienne en Israël, les relations entre chrétiens et juifs sont très bonnes. «Cependant, la situation politique jette ses ombres sur les relations entre Palestiniens chrétiens et Israéliens et empêche un dialogue profond et fructueux». JB

Encadré

En Terre Sainte, les chrétiens ont connu un âge d’or entre le 4ème et le 7ème siècle

En Terre Sainte, plus précisément en Israël et dans les Territoires palestiniens, survit une petite communauté chrétienne qui a vécu son âge d’or entre le 4ème et le 7ème siècle, note Mgr Shomali. Depuis lors, le pourcentage des chrétiens dans cet espace n’a cessé de diminuer, pour être réduit aujourd’hui à 2% de la population totale. 50’000 chrétiens vivent en Palestine, 130’000 en Israël, sans compter des milliers de travailleurs étrangers chrétiens travaillant en Israël.

Ce petit espace géographique est riche en histoire, car il est le berceau religieux du monde judéo-chrétien et un haut lieu de l’islam. Il comprend 12 millions d’habitants, dont 4,2 millions de Palestiniens et 7,8 millions d’Israéliens (dont 6,2 millions de juifs). L’évêque auxiliaire de Jérusalem note que les chrétiens autochtones sont essentiellement de langue arabe. Il existe une toute petite communauté chrétienne hébraïque, dont l’hébreu est la langue maternelle.

De plus, parmi les Russes immigrés en Israël, nombreux sont en fait des chrétiens. «Bénéficiant de la loi du retour pour tous ceux qui avaient un parent juif, ces Russes chrétiens sont arrivés en masse dans les années 1990 après la perestroïka et la chute de l’URSS». Ils seraient 200’000, «mais ils sont en danger de déchristianisation à cause de l’éducation et du service militaire obligatoire qui les judaïse peu à peu». JB

Encadré

Haine et la méconnaissance de l’autre

Pour Mgr Shomali, les causes de l’existence d’une haine et d’une méconnaissance entre Palestiniens et Israéliens sont notamment «les nombreuses guerres qui ont causé des milliers de morts et de blessés, la violence et les représailles entre les deux peuples, la construction du mur et l’enfermement des Palestiniens dans un grand ghetto, le grand nombre de Palestiniens dans les prisons israéliennes, la difficulté de circulation entre les villes palestiniennes, le manque d’emploi et de permis de construction à Jérusalem, les check points, l’expropriation de terrains et la destruction de maisons appartenant à des Palestiniens». L’évêque ajoute les attentats-suicides commis par des Palestiniens dans les villes israéliennes qui ont fait beaucoup de mal aux Israéliens mais aussi à l’image des Palestiniens eux-mêmes, et l’antisémitisme existant dans le monde arabe.

A cause de tous ces points mentionnés par l’évêque auxiliaire de Jérusalem, la haine et la méconnaissance de l’autre prédominent en Terre Sainte. «Si vous demandez à un enfant palestinien ce qu’il sait de l’Holocauste, il pourra le nier et montrer un grand désintérêt. Si vous demandez à un enfant israélien ce que veut dire la parole ’Nakba’ (la «catastrophe» qui a vu lors de la création de l’Etat d’Israël la destruction de centaines de villages palestiniens et la naissance du problème des réfugiés, ndr), il peut dire qu’il n’en sait rien. Chacun a sa propre mémoire du passé et ne retient que ses propres souffrances, étant peu disposé à s’ouvrir sur les souffrances des autres».

Pour sortir du cercle vicieux de la haine et de l’incompréhension réciproques, Mgr Shomali propose de faire appliquer les résolutions du Conseil de sécurité 242 et 338 et la mise en place d’un Etat palestinien dans les frontières d’avant 1967, comme l’a reconnu la décision de l’ONU en novembre 2012. «Seule la légitimité internationale pourra être la plateforme sûre et solide pour de futures négociations». (apic/com/be)

7 février 2013 | 12:47
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
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