«Pierre Mamie a vécu sa mission comme un moment historique»

Saint-Imier: Publication des 1’692 pages du journal du premier curé du vallon dès 1858

Saint-Imier, 31 août 2013 (Apic) Près de 1’700 pages manuscrites réparties sur cinq volumes: le journal de Pierre Mamie, premier curé de Saint-Imier (1858), constitue un document exceptionnel sur l’histoire religieuse du vallon de Saint-Imier au XIXe siècle. Couvrant les périodes du 14 novembre 1859 au 26 juin 1866 et du 21 août 1874 au 18 juillet 1875, il regorge d’informations inédites sur les relations entre catholiques et protestants.

Chargé de retranscrire et de publier ce journal à l’horizon 2016, l’historien jurassien Lionel Jeannerat lève un coin du voile. Interview.

Apic: Pierre Mamie porte-t-il dans ses écrits un regard d’historien, de sociologue, d’observateur?

Lionel Jeannerat: Pierre Mamie se pose en acteur. Il vit la création d’une paroisse catholique en terre protestante comme un moment historique. C’est dans cet esprit qu’il entame en 1859 la rédaction de son journal. Il y décrit les aléas de la construction de l’église (1863-1866) ainsi que l’évolution de ses relations avec les autorités politiques et religieuses. Le curé s’identifie parfois à l’ermite missionnaire Imier, qui a évangélisé le vallon au VIe siècle: il voit sa mission comme une forme de reconquête catholique. Au milieu du XIXe siècle, comme aujourd’hui d’ailleurs, les catholiques étaient très minoritaires dans le vallon: selon les chiffres de Pierre Mamie, ils étaient 1’700 contre 20’000 réformés.

Apic: Dans quelles dispositions prend-il ses fonctions?

L. J.: Choisi par l’évêque pour créer une communauté catholique au cœur du vallon de Saint-Imier, Pierre Mamie met en place une stratégie pour atteindre ce but. Cette stratégie, il la décortique dans son journal. Quand il parvient à infléchir les opinions, à se créer de nouvelles amitiés dans l’optique de servir la cause du catholicisme, il en est fier, il s’en réjouit. En fait, Pierre Mamie avait une ambition démesurée pour sa paroisse. Il envisageait la construction d’une école et d’un hôpital catholiques, deux institutions qui n’ont finalement jamais vu le jour.

Apic: Comment le curé est-il accueilli dans le vallon de Saint-Imier?

L. J.: Il est plutôt bien accepté. Dès son arrivée à Saint-Imier, la commune lui fournit gratuitement une salle pour célébrer la messe. Le curé Pierre Mamie et les pasteurs du vallon entretiennent toutefois des relations ambiguës, puisqu’ils sont en concurrence sur le terrain des mariages mixtes et des baptêmes. De manière générale, je qualifierais les relations entre catholiques et protestants de polies.

Apic: Pierre Mamie se heurte-t-il à des résistances, à des manifestations d’intolérance?

L. J.: Elles sont marginales. On peut citer un problème à l’hôpital de Saint-Imier où une diaconesse empêche pendant un certain temps les malades catholiques de voir le curé pour l’extrême onction. En 1863, Pierre Mamie fait part de réactions de rejet au moment où l’église catholique de Saint-Imier commence à être construite. Il évoque également une levée de boucliers politique, soutenue par un pasteur, à l’occasion de l’établissement du culte catholique dans le village de Corgémont.

Apic: Et qu’apprend-on du Kulturkampf dans le vallon de Saint-Imier?

L. J.: C’est justement à l’occasion du Kulturkampf, en 1873, que Pierre Mamie, condamné à l’exil après avoir signé la pétition de soutien à l’évêque de Bâle Mgr Lachat, reprend l’écriture de son journal. Depuis Fontaines, dans le canton de Neuchâtel, il s’informe, lit les journaux, organise une forme de résistance en recevant certains fidèles qui viennent prendre leurs instructions pour affronter la prise de pouvoir des catholiques-chrétiens dans le vallon de Saint-Imier. Pierre Mamie va s’échiner afin que le culte catholique-romain survive dans cette région, notamment grâce à ses amis curés du Locle et de La Chaux-de-Fonds.

Apic: Comment Pierre Mamie vit-il cette tentative de mise sous tutelle de l’Eglise catholique?

L. J.: Il en nourrit une certaine amertume. Il s’en prend ainsi au curé catholique-chrétien Mirelin, mis en place par les autorités bernoises, en parlant de profanation quand celui-ci célèbre la messe dans l’église catholique de Saint-Imier ou en évoquant un catéchisme schismatique. Pierre Mamie se gargarise également du fait que Mirelin soit finalement moins apprécié que lui par les protestants eux-mêmes. Mais le curé refuse de faire de la politique: aucune trace dans ses écrits de critiques de l’Etat bernois. Il privilégie le pragmatisme, avec à l’esprit l’idée de limiter la casse pour sa paroisse.

Apic: S’il fallait cerner la personnalité de Pierre Mamie, que diriez-vous?

L. J.: Le curé explique qu’un vicaire lui a une fois reproché d’être une personnalité sévère. A cette critique, il répond que si le vicaire avait les mêmes soucis que lui, il deviendrait lui aussi austère. Dans un autre registre, Pierre Mamie est rusé: il peut faire preuve d’autorité, mais sait s’effacer quand il le faut. Comme je vous l’ai déjà signalé, il se distingue par ses qualités de stratège. En clair, il est prêt à déléguer, à utiliser des chemins tortueux pour atteindre ses objectifs, tout en restant d’une droiture sans faille. Pierre Mamie est intransigeant, mais pour le bien de sa mission, il peut transiger. Enfin, il me paraît parfois de mauvaise foi: quand il écrit qu’un pasteur peut se montrer intolérant, il oublie que la tolérance est réciproque. (apic/eda/mp)

Encadré 1

Le premier curé de Saint-Imier

Pierre Mamie naît le 21 juillet 1818 à Alle, en Ajoie. Après des études à Porrentruy et Schwytz, il suit la théologie à la Propagande à Rome, où il est ordonné prêtre le 24 décembre 1843. Curé de Miécourt (1845), puis premier curé de Saint-Imier (1858), il y édifie l’église entre 1863 et 1866 selon les plans de l’architecte Poisat de Belfort.

Révoqué le 15 septembre 1873 pour avoir signé en plein Kulturkampf la protestation du clergé jurassien contre la destitution de Mgr Eugène Lachat (1819-1886), évêque de Bâle, Pierre Mamie est frappé du décret d’exil le 30 janvier 1874. Il se réfugie dans le canton de Neuchâtel où il est nommé chapelain à Fontaines. Après l’exil, il revient à Saint-Imier, avant d’être nommé curé de Courchapoix (1885). Il prend sa retraite en 1898 et se retire dans son village natal d’Alle, où il meurt le 19 avril 1900.

Pierre Mamie est l’auteur de diverses publications: «Examen du compte-rendu ou de la Conférence de M. le pasteur Fayot» (Saint-Imier, 1871), «De la légende de Saint-Imier dans nos livres liturgiques» (Revue de la Suisse catholique, vol. 2 et 3, Fribourg, 1870-1872), «Saint-Imier, ermite et premier apôtre de la Vallée de la Suze» (Saint-Imier, 1882 et Actes de la Société jurassienne d’émulation, 1881). Son journal en cinq volumes de 1692 pages devrait être publié en décembre 2016. (apic/eda)

Encadré 2

Lionel Jeannerat

Lionel Jeannerat, né en 1984, est historien. Il a passé son enfance et sa jeunesse à Delémont. Il possède une licence en histoire et géographie, mention bilingue français/allemand, et un diplôme pédagogique de l’Université de Fribourg. Lionel Jeannerat a enseigné durant deux ans au ceff Industrie de Saint-Imier. Il enseigne actuellement à l’Ecole des Arches, à Lausanne. Son mémoire de licence, «Un curé révolutionnaire dans l’ancien évêché de Bâle, la vie de Louis François Zéphirin Copin (1723-1804)», a été publié.

Lionel Jeannerat a été chargé de la mise en valeur du journal de Pierre Mamie. Le projet, soutenu par la Paroisse catholique-romaine du vallon de Saint-Imier, comprend une transcription des 1’692 pages manuscrites, la rédaction d’une contextualisation historique, une biographie du curé ajoulot et, enfin, une publication professionnelle de l’ensemble, qui devrait intervenir en décembre 2016. Le budget s’élève à quelque 180 000 francs. (apic/eda)

31 août 2013 | 11:56
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 5  min.
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