«L'Eglise catholique a un regard dominant sur l'animal»

Suisse: Les bénédictions d’animaux sont devenues très populaires, malgré la méfiance de l’Eglise catholique

Fribourg, 14 septembre 2013 (Apic) L’Eglise catholique sous-estime souvent le rôle des animaux dans la vie des paroissiens. Pour changer ce regard, et pour rendre hommage aux fidèles compagnons de l’homme, quelques prêtres en Suisse romande ont décidé de célébrer des bénédictions pour les animaux. Ces messes, devenues très populaires, ont à l’origine été remises au goût du jour par les protestants.

C’est en 2006 que l’abbé Claude Pauli, curé des paroisses de Ste-Croix, Ste-Claire, du Sacré-Coeur et de Ste-Clotilde à Genève, heureux propriétaire d’un chien et d’un âne, organise ses premières bénédictions des animaux et de leurs maîtres. La décision a été prise à la suite d’une initiative du curé de Versoix, «parce qu’il y avait une réelle demande. Mais je n’ai rien inventé, ces messes existent depuis le XIIIe siècle», précise l’abbé Pauli.

Le but de ces célébrations est purement didactique. «Il y a beaucoup de personnes âgées qui ont pour seule compagnie leur animal. Les bénédictions leur rendent grâce», explique l’abbé Pauli. «Lors des cérémonies, je bénis autant les personnes que les animaux, car c’est le lien entre eux qui est important», rappelle-t-il encore.

L’héritage des Lumières

L’abbé Olivier Jelen, curé des paroisses de Corsier, Hermance et Meinier à Genève, a fondé en 2001 la Fraternité sacerdotale internationale pour le respect de l’animal, dont les membres doivent signer une charte. «Je souhaitais que l’Eglise catholique porte un regard différent sur l’animal, plus miséricordieux. L’animal vit du souffle de Dieu et ses souffrances doivent être reconnues», explique-t-il.

Selon lui, l’Eglise catholique a un regard «dominant» sur l’animal, qui serait l’héritage du philosophe français René Descartes. «A travers le siècle des Lumières, l’Eglise catholique a écarté l’animal». Le prêtre, qui a écrit son mémoire de licence sur la théologie animale, rappelle qu’au XIXe siècle, on a enlevé des statuaires l’animal qui se trouvait aux côtés des saints.°

L’abbé Jelen a commencé à célébrer des messes pour les animaux en 2002-2003 et travaillé avec la Société protectrice des animaux (SPA) de Lausanne et de Genève. «En Suisse, ce sont les protestants qui ont remis au goût du jour ce genre de célébrations, notamment à l’église Ste-Elisabeth de Bâle, où chaque année a lieu un ‘Schöpfungsgottesdienst’ (un culte pour la Création)», relève-t-il.

«L’Eglise catholique se rend compte de la popularité de ces célébrations mais en a un peu peur», poursuit l’abbé. Peur de quoi? «Elle craint la déification de l’animal. Pour l’Eglise, l’homme doit maîtriser la nature».

Un refuge béni

Le refuge de Sainte Catherine, au Chalet-à-Gobet, dans les hauts de Lausanne, accueille une fois par année l’abbé Jelen pour une bénédiction, en principe autour du 4 octobre, jour de la fête du patron des animaux, saint François d Assise. Dans son homélie, l’abbé parle de la place de l’animal dans la création et dans la vie d’un chrétien.

Le public est généralement composé de croyants qui viennent avec leurs animaux, parfois avec la photo de leur compagnon mort qu’ils veulent faire bénir. «L’ambiance est calme et solennelle. Ce qui est surprenant, c’est que les animaux comprennent qu’il se passe quelque chose!», relève Stéphane Crausaz, responsable de la communication à la Société vaudoise de la protection des animaux (SVPA).

Quels effets ont ces messes sur les bêtes ? «Les animaux réagissent d’une façon très positive. Ils comprennent qu’il se passe quelque chose», affirme l’abbé Jelen. «Je pense que ces bénédictions apportent plus aux propriétaires qu’aux animaux», estime quant à lui Stéphane Crausaz.

Encadré 1

La charte du prêtre, ami des animaux, par l’abbé Olivier Jelen

-Le prêtre, ami des animaux, ne tolèrera en aucun cas la phrase suivante : «L’animal n’est là qu’au service de l’homme, qui peut en user et abuser à volonté».

– Il est en émerveillement devant la Création et toutes les Créatures de Dieu.

-Il souhaite vivre en harmonie avec tout le Créé, et particulièrement les animaux, suivant l’exemple de saint François d’Assise, saint Philippe Néri et saint Martin de Porres.

-Il est animé de la compassion et de l’Amour du Christ pour toute la Création.

-Il dénonce sans relâche toute exploitation abusive de l’animal. Pour lui, l’animal n’étant pas une simple denrée alimentaire, il n’entre pas dans l’esprit de consommation de la société actuelle.

-Il n’hésite pas à inviter les chrétiens, petits et grands, à reproduire l’Amour de Dieu envers les animaux. Pour ce faire, il utilisera des exemples concrets tirés de l’observation de la nature et de l’enseignement de la Bible, entre autres dans ses homélies, au catéchisme et dans les groupes de prière.

-Il regrette une certaine hostilité et méfiance, de la part de l’Eglise hiérarchique, envers un discours positif sur les animaux.

-Il souhaite que l’on repense la morale chrétienne à la lumière d’une éthique plus juste, et qui prenne en compte le bien-être des animaux. En effet pour lui, la souffrance que l’Homme inflige à l’animal ne peut être passée sous silence.

Encadré2

Le statut de l’animal chez les juifs

Dans le judaïsme, l’animal est considéré comme «un être qui mérite protection et attention». Le bien-être des animaux est d’ailleurs si important que les dix commandements les mentionnent. «Dans l’Exode (Dix Commandements), il est écrit que, pendant le shabbat, il faut accorder un jour de repos non seulement aux hommes, mais aussi aux animaux», explique Sabine Simkhovitch-Dreyfus, vice-présidente de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI). Preuve à l’appui: Exode 20 2-17: «Tu travailleras six jours, et tu feras tout ton ouvrage. Mais le septième jour est le jour de repos de l’Eternel, ton Dieu: tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ton bétail, ni l’étranger qui est dans tes portes.» «Rachi, commentateur de la Torah, explique que cela signifie que les animaux doivent être laissés errant le jour de shabbat, paissant et se réjouissant des beautés de la nature», poursuit Sabine Simkhovitch-Dreyfus. «Dans le Deutéronome, la Torah nous apprend à ne pas prendre ensemble un oiseau femelle et ses petits. Moïse Maïmonide, un rabbin andalou du XIIe siècle, explique que cette injonction est destinée à prévenir toute souffrance causée à la mère par la vue du retrait de ses petits», note-t-elle.

Le Talmud soutient par ailleurs qu’»une personne ne devrait pas manger ou boire avant d’avoir nourri ses animaux.»

Les lois de l’abattage casher reflète également un profond respect pour le bien-être des animaux. «En accord avec la loi juive, le ‘cho’het’ (boucher) doit être un homme pieux et instruit, l’animal doit être en parfaite santé, le couteau doit être parfaitement tranchant sans aucune imperfection qui puisse causer une souffrance momentanée au moment de la mort, et l’animal doit être tué avec une coupure rapide sectionnant les artères majeures allant vers le cerveau», ajoute Sabine Simkhovitch-Dreyfus. Ainsi, le judaïsme exige que si un animal doit être tué, le moment de la mort soit aussi rapide et indolore que possible.

Encadré 3

Le statut de l’animal chez les musulmans

Aimer et protéger les animaux fait partie des enseignements de l’islam, pour Hani Ramadan, directeur du Centre Islamique de Genève. «Même lorsqu’il s’agissait de se nourrir, le prophète Mahomet commandait aux croyants d’aiguiser leur lame avant de procéder à l’abattage et d’épargner à l’animal toute souffrance», explique-t-il sur son blog de la Tribune de Genève.

Le Coran affirme que «nulle bête marchant sur terre, nul oiseau volant de ses ailes, qui ne soit comme vous en communautés…Cela signifie que les espèces animales bénéficient du statut de créature, tout comme les êtres humains». Et de citer le prophète Mahomet qui s’est exprimé très clairement sur ce thème en de nombreuses occasions. Exemples: «Une femme a été tourmentée en enfer à cause d’une chatte qu’elle avait enfermée jusqu’à ce qu’elle pérît. A cause de l’animal, elle entra en enfer. Elle ne l’avait ni nourrie, ni abreuvée alors qu’elle l’avait enfermée, ne lui laissant pas la possibilité de consommer ses proies».

«Un jour, des enfants avaient attaché un oiseau vivant en le prenant pour cible. Ibn Umar, disciple du Prophète, s’exclama: ‘Le Prophète a maudit celui qui se sert comme cible de tout être vivant (attaché)’.»

«Cela se passait au VIIe siècle, bien avant que l’on envisage en Europe des associations pour la protection des animaux», poursuit Hani Ramadan. Le Prophète nous dit aussi combien le Créateur apprécie de nous voir protéger sincèrement et avec bonté les espèces qui nous sont inférieures et qui dépendent de nous, ajoute l’intellectuel musulman. Le Prophète raconta un jour ce récit: «Alors qu’un homme cheminait, il fut pris d’une grande soif. Il trouva un puits dans lequel il descendit et but. Quand il en sortit, il vit un chien haletant qui mangeait de la boue sous l’effet de la soif. L’homme se dit: ‘Ce chien est en proie à une soif semblable à celle que je viens d’éprouver il y a peu’. Il descendit alors dans le puits et remplit d’eau sa chaussure qu’il tint entre ses dents jusqu’à ce qu’il se hissât en dehors du puits. Ainsi, il donna à boire au chien. Dieu lui en fut reconnaissant, de sorte qu’il lui pardonna, et le fit entrer au paradis. Les compagnons du Prophète lui demandèrent (surpris): ‘Ô Messager de Dieu, nous serions récompensés pour (avoir été compatissants envers) des animaux?’ Le Prophète dit: ‘Pour tout foie humide (c’est-à-dire tout être vivant), il y a une récompense’». «On voit combien les portes de la clémence divine restent ouvertes à toutes et à tous», conclut Hani Ramadan. (apic/cw)

14 septembre 2013 | 16:31
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 7  min.
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