Les martyrs, ces «témoins essentiels de l'amour du Christ»
Fribourg/Martigny: Didier Rance rappelle l’importance des martyrs contemporains
Fribourg/Martigny, 15 septembre 2013 (Apic) Les martyrs contemporains, spécialement ceux qui ont su pardonner à leurs tortionnaires, sont des «témoins essentiels de l’amour du Christ», affirme Didier Rance, ancien directeur de l’Aide à l’Eglise en détresse (AED) en France. Le lauréat du Grand Prix catholique de littérature 2013 pour son ouvrage «John Bradburne, le vagabond de Dieu», présente les 14 et 15 septembre, à Martigny en Valais, son précieux témoignage. Ce spécialiste des Eglises persécutées de par le monde, a confié à l’Apic, avant ses interventions valaisannes, ses réflexions sur ces chrétiens qui souffrent pour «ouvrir les routes de l’avenir».
Apic: A Martigny, vous allez parler des «martyrs contemporains». En quoi sont-ils différents des martyrs du passé?
Didier Rance: Le problème avec les martyrs du passé, c’est qu’on sait très peu de choses sur eux. En général, ils sont totalement idéalisés. Pendant les siècles passés, on a beaucoup succombé à la tentation de faire d’eux l’équivalent actuel de nos vedettes du sport. De dire, «on a gagné parce qu’on a été les plus forts». C’est quelque chose d’extrêmement difficile à faire avec les martyrs de notre temps. Parce que l’on sait beaucoup de choses sur eux. Et plus l’on en sait sur eux, plus leur côté «humain» se dévoile. On finit par découvrir que ce sont des hommes et des femmes comme nous, avec leurs faiblesses, leurs défauts. J’ai eu la grâce de rencontrer Mère Teresa à Calcutta, il est vrai qu’elle avait un caractère épouvantable.
Et l’exemple de ces saints, ou martyrs «humains», nous montre que personne n’est génétiquement programmé pour devenir un jour un saint, et que nous n’avons pas d’excuses pour ne pas essayer d’atteindre leur niveau de foi et d’engagement. Les martyrs contemporains sont en cela beaucoup plus «dérangeants» pour nous que ceux du passé, parce qu’ils nous mettent en face de nos responsabilités en tant que chrétiens.
Apic: Vous parlez des «martyrs contemporains» comme des témoins qui «ouvrent les routes de l’avenir». Qu’entendez-vous par là?
DR: Comme toujours, pour donner mon témoignage, je vais partir de la Parole de Dieu pour le jour. Ce dimanche, les textes sont sur le pardon. Cela va me permettre de dire quelque chose auquel je tiens beaucoup, à savoir que je viens de la part de l’AED pour demander de l’aide pour les Eglises en détresse, mais que ce n’est pas du sens unique. Nous assistons les chrétiens martyrs, persécutés, mais nous avons également beaucoup à recevoir d’eux. Et le pardon, l’exemple du pardon, est en particulier quelque chose d’essentiel qu’ils ont à nous offrir. Un des grands acquis de Jean Paul II a été ainsi d’affirmer que les martyrs n’étaient pas seulement des témoins de la foi, mais aussi, surtout, de la charité, de l’amour. Le Christ a été en cela le premier modèle de ce pardon inconditionnel, basé sur l’amour de l’autre.
D’un point de vue «humain», les martyrs sont «hors-course», puisqu’ils sont morts. On pourrait dire qu’ils ont «échoué». Mais en fait, ils sont au-delà de l’espérance humaine. Face à la mort, ils témoignent de l’espérance chrétienne dans laquelle, quelle que soit la situation où l’on est, il est toujours possible de mettre sa confiance en Dieu, une confiance fondée sur la promesse de la vie éternelle. C’est donc en tant que «modèles» de charité que les martyrs ouvrent les routes de l’avenir, ils sont essentiels au soutien et à la perpétuation de la foi.
Apic: Vous avez été un des premiers, dès avant la chute du Mur de Berlin, à récolter les témoignages des martyrs chrétiens du communisme. Après la disparition du bloc soviétique, la mémoire de ces martyrs a-t-elle encore un sens?
DR: L’un des grands témoins de cette époque est mort cette semaine, c’est Silvo Krcmery, un dissident tchécoslovaque, qui a fondé, au début des années 1960, l’un des plus grands mouvements religieux clandestins du bloc communiste, comptant près de 100’000 membres.
J’ai passé cinq ans dans les pays de l’Est, pour savoir comment les chrétiens qui avaient voulu garder leur foi avaient vécu ses années de répression. Ce qui est intéressant, c’est que j’ai rencontré plein de gens qui n’étaient pas «contre le communisme», mais qui étaient «pour vivre leur foi chrétienne». Le témoignage des martyrs va au-delà du contexte politique de leur souffrance, c’est un témoignage universel et intemporel.
Aujourd’hui, c’est plutôt l’islam radical qui persécute les chrétiens dans le monde. Qu’en est-il réellement de la situation en Syrie, en Egypte, au Moyen-Orient en général?
DR: Bien sûr, j’ai prévu de parler à Martigny de cette situation très préoccupante du Moyen-Orient. J’y ai vécu quatre ans, je me suis rendu dans de nombreux pays, et je connais très bien la situation. Mais les choses, là-bas changent de jour en jour, il est donc difficile de se tenir au courant en continu. A vrai dire, une grande partie des informations dont je dispose provient des médias, notamment de l’Apic. Le 10 septembre, l’»Œuvre d’Orient» (association de défense des chrétiens d’Orient, ndlr) a publié la liste des destructions de lieux de cultes chrétiens en Egypte depuis le 14 août. Il y’en a eu près d’une septantaine, c’est effarant. Ces temps, on parle beaucoup aussi de la prise par les islamistes syriens de la ville chrétienne de Maaloula. Et, du fait que les gens de la bourgade parlent l’araméen, la langue de Jésus, je pense que ces événements ont une grande portée symbolique.
Mais quand on parle de cette région, et en particulier de l’Egypte, il faut avoir à l’esprit la complexité de la situation politique. Moi, je me positionnerai, lors de mes allocutions, principalement sur un plan religieux.
Mais il est important de comprendre que les martyrs ne sont pas «nos champions contre les autres». Ce n’est pas un problème de christianisme contre islam. Il y a bien des lieux dans le monde où des musulmans souffrent pour avoir défendu des chrétiens.
Apic: Au-delà du Moyen-Orient, dans quels pays le martyre chrétien est-il spécialement exigeant?
DR: Outre la Chine ou le Nigeria, où la persécution des chrétiens est bien connue, des discriminations dont on parle beaucoup moins ont lieu dans d’autres pays. Je pense notamment au Zimbabwe ou au Népal. Au Népal, il y a notamment une «guerre des cimetières». A Katmandou, la capitale, les hindouistes extrémistes font tout pour empêcher les chrétiens d’enterrer leurs morts dans la seule zone disponible de la ville, parce qu’ils considèrent cette terre comme sacrée. Au Zimbabwe, l’Eglise est persécutée principalement parce qu’elle défend la justice et les plus démunis, dans un pays où le président Mugabe agit de façon totalement irresponsable.
Apic: Qu’est-ce qui vous a poussé à rédiger la biographie de John Bradburne, ce martyr catholique anglais du XXe siècle?
DR: John Bradburne est certainement la personne la plus étonnante sur laquelle j’ai travaillé. Je ne l’ai jamais rencontré, mais j’ai eu la chance de pouvoir rester trois ans en Afrique pour recueillir des informations sur sa vie et son œuvre. Cet homme était un cadeau de Dieu. Pourtant, c’était quelqu’un qui avait pratiquement tout «raté» dans sa vie. Des nombreuses personnes qui l’ont fréquenté que j’ai interrogées, toutes m’ont fait part de la joie qu’il apportait, alors qu’il travaillait dans un environnement très rude, avec des lépreux. C’était aussi un des plus grands et prolifiques poètes anglophones du XXe siècle.
Encadré 1
Historien de formation, Didier Rance a été l’un des premiers, après la chute du Mur de Berlin en 1989, à recueillir le témoignage des croyants qui ont survécu à la persécution communiste. Mais ce diacre catholique de rite byzantin a élargi ses recherches aux autres persécutions que l’Eglise continue de subir de la part des régimes dictatoriaux ou de groupes fanatiques. L’ancien directeur de l’AED France a été à de multiples reprises sur le terrain pour visiter les Eglises locales vivant dans la clandestinité ou soumises à des mesures vexatoires, voire à la persécution. Il est l’auteur de nombreuses publications sur les confesseurs de la foi au XXe siècle, notamment «Un siècle de témoins- Les martyrs du XXe siècle». Son dernier ouvrage, «John Bradburne- Le vagabond de Dieu», est paru en 2012 aux éditions Salvator, à Paris.
Encadré 2
Né en 1921 en Angleterre, fils de clergyman anglican, John Bradburne est un véritable personnage de roman. Jeune excentrique qui passe une partie de sa jeunesse dans les arbres, il sera un héros de la Seconde Guerre mondiale. A son retour, il se convertit au catholicisme et cherche sa voie à travers monastères et couvents avant de la trouver : il sera vagabond de Dieu, bouffon du Christ et troubadour de la Vierge Marie! Il se lance sur les routes d’Europe et de Terre sainte, ermite ou SDF, et pratique des dizaines de métiers, tour à tour maître d’école, fossoyeur, maçon, vendeur, sacristain, éboueur, présentateur de télévision, comédien ou gardien.
Une vie au service des lépreux
Puis il part en Rhodésie, l’actuel Zimbabwe, où il découvre, en 1969, Mtemwa, un lieu sinistre où une centaine de lépreux attendent la mort. Il décide de vivre avec eux et se fait infirmier, gestionnaire, cuisinier, confident, et même croque-mort. Mtemwa devient une oasis de paix, de foi et de joie. Quand le centre est pris dans la tourmente de la guerre civile, John défend ses amis lépreux contre tous. Rejeté par les blancs comme par les noirs, il est kidnappé et assassiné en septembre 1979.
Depuis son martyre, son culte se répand et les miracles semblent fleurir. Musicien et surtout poète, le plus grand de langue anglaise du XXe siècle par l’ampleur de son oeuvre, John Bradburne a vécu une étonnante aventure spirituelle. Son itinéraire montre que la recherche de Dieu peut remplir et combler une vie d’homme, et plus encore. Avec cette première biographie en langue française, Didier Rance, qui a enquêté à travers l’Europe et en Afrique, sur ses traces, rencontrant tous ceux qui l’ont connu, nous fait découvrir l’une des figures les plus fascinantes et attachantes de sainteté et d’humanité du XXe siècle, dont le procès de béatification vient de s’ouvrir. (résumé: Editions Salvator) (apic/rz)
Des photos de ce reportage sont disponibles auprès de l’apic au prix de 80.– francs la première, 60.– francs les suivantes