Série Apic: Les fêtes religieuses durant l'année liturgique

Les origines obscures de l’Epiphanie, une fête bien antérieure à la chrétienté

Lausanne, 4 décembre 2013 (Apic) Fête des lumières dans l’Egypte païenne, décision politique de l’empereur romain Constantin … Les origines de l’Epiphanie, bien antérieures à la chrétienté, restent obscures. Tout comme la tradition qui veut que l’on mange une galette le 6 janvier et qui prendrait sa source dans les Saturnales romaines. Entre tradition, vérité historique et biblique, Frédéric Amsler, professeur d’histoire du christianisme ancien à l’Université de Lausanne (UNIL) éclaire notre lanterne.

Apic: Quelle est l’origine de l’Epiphanie?

Frédéric Amsler: L’Epiphanie n’est pas une fête biblique. Avec Noël, elle est la plus ancienne fête chrétienne qui ne soit pas d’origine juive. Elle prendrait sa source en Egypte. Selon des témoignages du IVe siècle, les païens égyptiens célébraient différentes fêtes dans la nuit du 5 au 6 janvier: la fête des lumières, la fête de la crue du Nil, et la fête de la naissance d’Eon, fils de Koré. D’après le théologien Clément d’Alexandrie, au IIe siècle, les gnostiques fêtaient le baptême de Jésus le 6 janvier. En Orient, dès le IVe siècle, la fête traditionnelle de la naissance de Jésus était fixée au 6 janvier. Mais, à Rome, l’empereur Constantin a décidé de déplacer la fête de Noël au 25 décembre. Il s’agissait d’un acte politique: en effet, la période du solstice d’hiver coïncidait avec la célébration de la divinité «Sol Invictus» (»Soleil invaincu»), divinité tutélaire de Constantin. Chrétiens et non chrétiens avaient donc une fête commune et tout le monde était content! En Orient, dès la deuxième moitié du IVe siècle, Noël a été progressivement déplacé au 25 décembre, mais les Eglises d’Egypte et de Jérusalem ont longtemps résisté. En contrepartie a été introduite la fête de l’Epiphanie le 6 janvier.

Apic: Catholiques et protestants ont-ils la même version de l’histoire?

Frédéric Amsler: Oui, il n’y a pas de différence. A une nuance près: à la Réforme, les protestants ont critiqué l’origine politique de Noël et de l’Epiphanie.

Apic: L’Epiphanie fête les Rois mages…Ont-ils réellement existé?

Frédéric Amsler: Non. La tradition a tendance à amplifier les écrits de l’Evangile. La naissance de Jésus a fait l’objet de nombreuses réécritures. Cette littérature va combiner les Evangiles de Matthieu et de Luc. Leurs récits n’ont rien de commun! Il n’y a pas de mages chez Luc, et pas de bergers chez Matthieu … Dans l’Evangile de saint Matthieu, il est question de mages venus d’Orient. La tradition en a fait des rois, car il fallait qu’ils offrent des présents royaux au Christ. Ensuite, comme il y avait trois cadeaux (ndlr: l’or, la myrrhe, et l’encens), on en a déduit qu’ils étaient au nombre de trois.

Apic: Pourquoi les avoir fait venir de différentes régions?

Frédéric Amsler: C’est une manière de montrer l’universalité du christianisme.

Apic: Quel est le but de ce récit?

Frédéric Amsler: De montrer l’importance de la naissance de Jésus en la mettant en scène. Sur le plan théologique, cette histoire comble une lacune. Chronologiquement, l’Evangile de Marc arrive avant Matthieu et Luc – son antériorité est acquise. L’Evangile de Marc commence par le baptême de Jésus. Qui était Jésus avant son baptême? On s’est d’abord penché sur sa mort et sa résurrection, ensuite on s’est intéressé à son baptême, puis à sa naissance.

Apic: Les Evangiles de la Nativité n’ont-ils aucune base historique?

Frédéric Amsler: Les textes d’Evangile ne sont pas des rapports de police! Leur intérêt est autre qu’historique. Les chrétiens devaient montrer que leur foi n’était pas absurde. Leur but était de montrer que Jésus était le Messie. Il y a donc une stratégie de construction autour du personnage du Christ.

Encadré 1:

L’étoile de Bethléem a probablement existé

Il y a deux mille ans, selon l’Évangile de saint Matthieu, un astre a guidé des mages venus d’Orient vers Bethléem, où naquit «le roi des Juifs». Depuis lors, les astronomes et théologiens n’ont pas cessé de s’interroger sur la nature précise de cette étoile. S’agissait-il d’un miracle, d’une intervention divine pour marquer la naissance du Christ? Ou est-ce qu’effectivement un phénomène astronomique réel a donné naissance au récit de l’étoile de Bethléem?

La question a intrigué des générations d’écrivains et d’artistes aussi divers que l’astronome Johannes Kepler, le peintre Giotto et l’écrivain de science-fiction Arthur Clarke. Un astronome britannique, installé en Espagne, apporte aujourd’hui sa propre théorie qui n’est encore qu’une ébauche de réponse. Dans son livre «The Star of Bethlehem» (L’étoile de Bethléem), Mark Kidger examine les points mis en évidence par les recherches contemporaines sur la Bible, les récentes découvertes sur l’espace et l’histoire chinoise ancienne.

Conjonction de deux planètes ou nova?

Le plus vraisemblable, écrit-il, c’est la croyance populaire selon laquelle les Mages ont observé une rare conjonction qui se produit lorsque deux planètes se croisent à proximité l’une de l’autre dans l’espace. Ce phénomène provoque souvent une configuration exceptionnelle. Une conjonction de ce type s’est produite en l’an 7 avant J.-C. quand Jupiter et Saturne se sont rapprochés l’un de l’autre à trois reprises en sept mois et, ensuite, ont été rejoints par Mars. Cependant, Kidger souligne que l’événement a eu lieu tellement bas dans le ciel du crépuscule qu’il a dû être impossible de l’observer directement.

Pour expliquer l’énigme de l’étoile de Bethléem, Kidger se tourne surtout vers une ancienne chronique chinoise, appelée «Ch’ien-han-shu». Ce texte relate qu’un objet, probablement une nova (ou nouvelle étoile), fut observé pendant le mois de mars, de l’an 5 avant J.-C., et demeura visible pendant septante jours. L’objet serait apparu à l’est et serait demeuré dans le ciel suffisamment longtemps pour pouvoir guider les Mages à travers le désert jusqu’à Bethléem. «Il est difficile de croire que l’étoile de Bethléem ait pu être quelque chose d’autre», estime Kidger. Il en veut pour preuve la coïncidence de la date, de la durée de sa visibilité et de sa position dans le ciel.

Encadré 2:

L’origine romaine d’une coutume

De nos jours, la coutume qui consiste à manger une galette le 6 janvier et désigner un roi du jour est censée rappeler l’apparition (en grec: epiphaneia) du Christ aux rois mages Melchior, Gaspard et Balthazar. En réalité, pourtant, son origine est bien antérieure aux fêtes chrétiennes.

Dans l’Antiquité, les Romains fêtaient pendant plusieurs jours la Fête des fous. Ces fameuses Saturnales commençaient le 17 décembre. A l’époque mythique de l’âge d’or, sous le règne du dieu Saturne, il n’existait pas de différences sociales. Pour rappeler cette ère bénie, les esclaves et les maîtres, les riches et les pauvres, vivaient à Rome pendant trois jours sur pied d’égalité. Pour renverser l’ordre social, on tirait alors au sort dans les maisons un roi des Saturnales qui dirigeait les agapes: le «Saturnalicius princeps» (Maître des Saturnales ou Roi du désordre).

Lors de cette élection, les Romains utilisaient la fève d’un gâteau comme «bulletin de vote». Celui qui la découvrait devait alors payer la tournée ou offrir un nouveau gâteau à la compagnie. On raconte que de nombreux «vainqueurs» l’avalaient tout cru pour échapper à cette charge. Pour confondre les tricheurs, le haricot aurait été remplacé par un légume en porcelaine.

Survivance de l’Antiquité païenne

Même si aucune source ne permet de démontrer le lien entre la fête romaine et le tirage au sort d’un roi à l’époque moderne, des historiens estiment que cette coutume constitue une survivance de l’Antiquité païenne. Elle serait liée aux coutumes pratiquées à la période du solstice d’hiver, durant laquelle on refaisait les comptes avant une nouvelle année et où la hiérarchie traditionnelle était symboliquement remise en cause.

Entre l’Antiquité et le XIVe siècle, l’usage de désigner un roi du festin n’est plus attesté. A la fin du Moyen-Âge apparaissent dans plusieurs villes françaises des rois désignés par le sort, d’abord pour le jour du premier janvier, puis à l’Epiphanie. Ils étaient nommés de différentes façons selon les régions: grâce à des fèves, des haricots ou des billets de loterie.

L’origine obscure de la galette

L’origine de la galette des Rois est plus obscure encore. La première attestation remonte à 1311 à Amiens. Il n’est pas assuré que la galette contenait déjà une fève. Ce gâteau apparaît ensuite dans diverses régions françaises. La tradition voulait que l’on partage la galette en autant de parts que de convives, plus une. Cette dernière, appelée «part du Bon Dieu», «part de la Vierge» ou «part du Pauvre», était destinée au premier pauvre qui se présenterait au logis.

A l’époque de la Révolution, les galettes avec des fèves ont gagné toute la France. Comme les révolutionnaires ne sont pas parvenus à interdire cette coutume qu’ils croient chrétienne; ils tentèrent de détourner le rite en appelant les galettes des Rois «gâteaux de la Liberté». Une manière d’éviter également le nom honni de «rois».

Encadré:

Une tradition appréciée en Suisse

En Suisse, la coutume de la galette des Rois remonte, comme en France, au début du XIVe siècle. Les Rois étaient alors fêtés dans les corporations. La fête a ensuite connu un grand retentissement dans les villages et les petites villes qui élirent à leur tour leur roi. Jadis, on cachait une fève dans la galette et qui la trouvait devenait, comme aujourd’hui, roi d’un jour. Puis cette coutume se perdit peu à peu, jusqu’à ce que l’Association suisse des boulangers lui redonne vie. Elle lance en 1952 une grande campagne publicitaire pour réintroduire la galette des Rois. Elle est préparée selon une recette standard: une pâte levée sucrée, enrichie d’une quantité généreuse de beurre. La galette est formée de six, huit ou dix parties, disposées en cercle autour d’un élément central. Ne reste plus qu’à y cacher un petit roi en plastique ou en céramique … En Suisse romande, contrairement à la Suisse allemande, des reines se nichent également dans la pâte.

Le 6 janvier 1953, plus de 50’000 galettes des rois furent vendues. De nos jours, dans les boulangeries, c’est la spécialité la plus vendue dans le domaine des gâteaux. Même les «Grittibänz» (bonshommes en pâte de la Saint-Nicolas) et les gâteaux de Pâques sont relégués en seconde place.

Encadré:

Dictons du jour des Rois

– «Si le soir du jour des Rois, beaucoup d’étoiles tu vois, auras sécheresse en été, et beaucoup d’oeufs au poulailler».

– «Pluie des Rois, c’est blé jusqu’au toit».

– «Un temps clair pour le jour des Rois nous annonce un regain de froid».

– «Les hivers les plus froids sont ceux qui prennent vers les Rois».

– «A la fête des Rois, le jour croît d’un pas de roi».

– «Il faut boire du vin rouge le jour des Rois pour se faire du bon sang pour toute l’année».

(apic/cw)

4 décembre 2013 | 11:30
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 8  min.
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