Attalens: Rencontre avec Mgr Pierre Bürcher, «l’évêque venu du froid»
La population catholique en Islande a triplé en une décennie, rapporte l’évêque de Reykjavik
Attalens/Fribourg, 9 décembre 2014 (Apic) Arrivé la semaine dernière de Reykjavik, la capitale de l’Islande, dont il est l’évêque depuis décembre 2007, Mgr Pierre Bürcher a été installé comme nouveau chanoine d’honneur du Chapitre cathédral de St-Nicolas, à Fribourg, lors de la messe de la fête de l’Immaculée Conception à la cathédrale, le 8 décembre 2014 (*).
L’Apic a rencontré cet «évêque venu du froid», où ces jours-ci le soleil se lève après 11h le matin et se couche peu après 15h30, à la cure d’Attalens, en Veveyse. Il venait de célébrer la messe à la chapelle de Granges, tout à côté, à l’occasion de la fête patronale dédiée à St-Nicolas. La foule se pressait à Granges comme la veille à l’église de St-Jean à Vevey, où Pierre Bürcher fut curé de 1980 à 1989, et qu’il avait rénovée avec la collaboration de l’artiste-peintre et verrier Yoki Aebischer.
13’000 catholiques sur quelque 325’000 habitants
La joie qui se lit sur le visage de ce Haut-Valaisan qui a vécu à Nyon, où sa famille s’était installée quand il était enfant, montre qu’il s’est bien adapté aux frimas et aux longs hivers nordiques. «Si on peut supporter le premier hiver en Islande, après c’est bon !», lâche l’ancien évêque auxiliaire de Lausanne, Genève et Fribourg.
Si les catholiques dans son diocèse d’Islande sont encore peu nombreux – 13’000 sur quelque 325’000 habitants, dont une majorité d’immigrés polonais, philippins, lituaniens et autres, travaillant principalement dans la construction, le tourisme ou la pêche – «leur nombre a triplé en 10 ans, et ce sont surtout des familles, des jeunes foyers», se réjouit Mgr Bürcher.
180 baptêmes par année, contre une vingtaine d’enterrements
«Nous avons quelque 180 baptêmes par année, contre une vingtaine d’enterrements». Dans ce pays de tradition protestante, où l’Eglise évangélique-luthérienne est l’Eglise nationale, chaque année entre 5 et 25 personnes de tradition luthérienne font un cheminement personnel et communautaire pour être reçus dans la communauté catholique lors de la veillée pascale… C’est bien accepté par l’Eglise nationale, avec laquelle nous avons de très bonnes relations».
«Ce sont des luthériens qui deviennent catholiques après nous avoir découverts à l’occasion d’un mariage ou d’un enterrement. Ils déclarent que dans l’Eglise catholique, ils se sentent ›comme à la maison’, qu’ils reviennent à la maison. Il faut dire que la ferveur des catholiques les impressionne, en particulier celle des Philippins !»
Il peut arriver que cela crée des tensions dans la famille, mais c’est plutôt rare. Chez les luthériens, la pratique religieuse est très faible, sauf pour les cérémonies de baptême, de confirmation, ou lors des enterrements. Les églises sont très souvent utilisées pour des concerts, mais les luthériens ne vont pas au culte tous les dimanches.
Un clergé jeune
Autre source de satisfaction pour l’évêque de Reykjavik: la jeunesse de son clergé. «Pour nos 18 prêtres, la moyenne d’âge est de 48 ans. Ils viennent d’Allemagne, de France, d’Angleterre, de Slovaquie, d’Argentine, d’Irlande… Un seul est Islandais, l’abbé Hjalti Thorkelsson. Un Américain, qui vit depuis de nombreuses années en Islande, se prépare à devenir diacre permanent. Nous avons un séminariste en stage, qui vient du diocèse de Copenhague. Nos 32 religieuses, qui viennent également toutes de l’étranger, sont également pour la plupart des jeunes».
Le seul séminariste islandais, un jeune homme issu d’une famille luthérienne, qui avait commencé sa théologie à Rome en 2009, n’a pas persévéré, mais il n’a pas exclu de reprendre ses études. Il s’agit, pour l’évêque suisse, de favoriser des vocations sacerdotales locales, car les Islandais considèrent encore trop souvent l’Eglise catholique comme une «Eglise d’étrangers», mais c’est loin d’être facile.
Quelques milliers de catholiques ›inofficiels’
«Nous avons encore quelques milliers de catholiques ›inofficiels’, c’est-à-dire qui n’ont pas été déclarés comme catholiques. C’est nous qui devons annoncer à l’Etat les nouveaux immigrants catholiques romains. On doit leur faire signer un formulaire, pour pouvoir toucher une subvention de 4 euros par mois par fidèle de plus de 16 ans. C’est la seule entrée financière officielle. Pour le moment, nous avons 7’000 inscrits, ce qui nous fait 28’000 euros par mois venant de l’Etat. Avec cela, nous devons faire vivre 18 prêtres, 32 religieuses et une poignée de laïcs salariés… Cela fait une bonne soixantaine de personnes, alors que la vie est plus chère qu’en Suisse !»
Certes, confie-t-il, il y a bien les quêtes auprès des fidèles, mais ce sont des jeunes familles, des travailleurs pas très fortunés. «Avant de venir en Islande, je pensais que c’était un pays riche, et que par conséquent l’Eglise avait les moyens de vivre, mais ce n’est de loin pas le cas. Surtout depuis la crise financière qui a secoué le pays en 2008».
Des finances qui dépendent de l’extérieur
Mgr Bürcher est un évêque dont le diocèse dépend de l’extérieur pour le financement. Le diocèse de Reykjavik est aidé par le ›Bonifatiuswerk’ des catholiques allemands, qui soutient les catholiques partout où ils vivent en situation de diaspora extrême, par l›Ansgar-Werk, une fondation épiscopale allemande des diocèses d›Osnabrück et Hambourg, ainsi que par l’Aide à l’Eglise en Détresse (AED). «Nous sommes aussi très soutenus par ‘l’Association St-Jean-Marie Vianney Lausanne’. En effet, au contraire de l’Eglise luthérienne, où les pasteurs sont payés par l’Etat, ce n’est pas le cas pour les catholiques, qui sont une communauté ecclésiale reconnue, mais ne bénéficiant pas d’un statut étatique. Nous ne recevons aucune aide pour les salaires, ni aucun subside pour les constructions».
Les prêtres catholiques en Islande ne touchent pas de salaire, mais leur logement, le chauffage et la voiture sont payés par le diocèse, qui cotise également pour la caisse de pension. Ils ne paient par contre pas d’impôt et la sécurité sociale est prise en charge par l’Etat. «Mais dans ce pays à la vie chère, un prêtre a besoin pour vivre, en moyenne, de plus de 2’000 euros mensuels. Il faut de plus compter l’entretien des immeubles, sans oublier la construction de nouveaux lieux de culte, nécessaires pour un diocèse d’une superficie de 103›000 km2». La paroisse St-Thorlak, par exemple, qui couvre tout l’est du pays, s’étend sur une longueur de 600 km, car la route longe des côtes découpées de fjords profonds.
Nécessité de construire de nouveaux lieux de culte
Pour faire face aux longues distances, sur des routes difficilement praticables en hiver, Mgr Bürcher établit de nouveaux lieux de culte, comme la nouvelle église ouverte en septembre dernier à Ásbrú, près de Keflavik, au sud-ouest de l’Islande, pour la paroisse de «Saint Jean Paul II». «La première église et la première paroisse dédiées au saint pape polonais dans les pays nordiques !»
L’évêque projette également la construction d’une nouvelle église et d’un centre paroissial à Selfoss, au sud de l’île, et la création du centre catholique de formation et de retraites spirituelles de Stykkishólmur, animé par une communauté religieuse ainsi que par deux prêtres.
Faisant partie du rayon d’activité de la paroisse du Christ-Roi de Reykjavik, ce centre est cependant situé à 170 km au nord-ouest de la capitale islandaise, à près de 3 heures de route.
Pour financer en partie les travaux en cours et le maintien de la maison, Mgr Bürcher compte y établir une maison d’hôtes qui pourra héberger durant l’été des pèlerins et des touristes, la période d’été étant très attrayante dans la région. Le centre pourra également accueillir des sessions ou des retraites de l’Eglise luthérienne, ce qui représentera également une source de revenus pour la maison. A la fin de cette année, il reste à trouver 700’000 euros sur un coût total de près de 3,1 millions d’euros.
Un projet de monastère, pour renouer avec la tradition du Moyen Age
L’entreprenant évêque rêvait, il y a quelques années, d’implanter un couvent de moines bénédictins dans le paradis naturel du Hvalfördjur, le «fjord des baleines», à une heure de route au nord de la capitale islandaise Reykjavik. Le projet ayant fait long feu, Mgr Bürcher a trouvé à louer un espace de près de 1’500 hectares à Úlfljótsvatn, près du parc national de Thingvellir, situé à l’Est de Reykjavik, avec la volonté d’y installer un monastère «pour renouer avec la tradition monastique qui fut extrêmement vivante en Islande au Moyen Age».
Avant la Réforme, l’île scandinave comptait en effet une bonne douzaine de monastères augustiniens et bénédictins, qui furent souvent à l’origine des lettres islandaises, dont les sagas et les poésies ne sont à nulles autres pareilles. Ces centres de culture – où l’alphabet latin avait remplacé l’ancienne écriture runique – furent abolis lorsque la Réforme luthérienne, imposée brutalement aux Islandais par le roi du Danemark, s’imposa définitivement en 1550. C’est le 7 novembre de cette année-là que les agents du Danemark exécutèrent Mgr Jón Arason, le puissant évêque de Hólar, au nord de l’île. Il fut décapité en compagnie de deux de ses fils à Skálholt.
«Un tel monastère ne nous coûterait rien, car les moines pourraient s’autofinancer par leur travail. Les locataires ont le droit de pêche, ils pourraient donc vendre les truites pêchées dans le lac, élever du bétail, se faire payer par l’Etat pour le travail de reforestation de cette zone. Pour des raisons historiques, les luthériens seraient aussi intéressés par l’érection d’un monastère, comme il en existait dans le pays avant la Réforme». Mais il n’est pas facile de trouver des monastères en Europe disposés à laisser partir quelques moines, et pour les non-Européens, regrette Mgr Bürcher, il est devenu de plus en plus difficile d’obtenir des visas, même pour les prêtres et les religieuses.
Encadré
La présence catholique en Islande est récente, car pendant plus de quatre siècles le catholicisme y fut interdit. Introduit sans violence vers l’an 1000 par un vote de l’Althing, le parlement national, le catholicisme a été brutalement aboli au XVIe siècle sur ordre du roi du Danemark, Christian III, qui sécularisa les biens de l’Eglise et se les attribua. Il fit chasser tout le clergé catholique du pays. Mais pendant plusieurs années, le peuple resta en majorité fidèle au catholicisme et Jón Arason, le puissant évêque de Hólar, se battit avec vigueur pour récupérer les monastères et autres biens d’Eglise confisqués par le pouvoir danois et ses partisans protestants. Fait prisonnier, les partisans du Danemark le firent décapiter. JB
Encadré
C’est en 1855 que fut fondée la Préfecture Apostolique du Pôle Arctique pour les pays nordiques. Des prêtres catholiques furent alors envoyés en Islande pour, officiellement, s’occuper des marins français qui y séjournaient lors de leurs campagnes de pêche. En mai 1857 débarquait à Fáskrúdsfjördur, dans un fjord de la côte Est de l’île, le Père Bernard Bernard. L’année suivante, un autre prêtre français, Jean-Baptiste Baudoin, arrivait en Islande. Il décidait avec son confrère d’aller à Reykjavik, ce qui faciliterait l’annonce de la foi. Ils y achetèrent un terrain nommé Landakot, où se trouvent l’actuelle cathédrale du Christ Roi, l’école catholique et l’évêché. Le Père Baudoin n’avait le droit ni de dire la messe dans un lieu public, ni de porter à l’extérieur le moindre signe de la foi catholique. En 1875, le Père Baudoin quitta l’Islande sans avoir pu convertir personne! Le nombre d’Islandais convertis est longtemps demeuré désespérément faible, étant donné que le catholicisme était prêché en danois – la langue du colonisateur – et non en islandais.
L’Eglise catholique islandaise n’eut pendant des générations que quelques centaines de fidèles. Malgré tout, Rome décida d’ériger Reykjavík en diocèse en 1968, car jusque-là, les chefs de l’Eglise en Islande faisaient référence à l’ancien siège épiscopal du Nord, Hólar, celui que dirigeait Jón Arason, le dernier évêque catholique avant la Réforme. Avec l’arrivée de travailleurs étrangers, de nouveaux lieux de culte ont été érigés en Islande. La communauté catholique compte désormais quelque 13’000 fidèles, en grande majorité des étrangers. JB
Encadré
L’Eglise catholique en Islande compte actuellement 32 religieuses pour tout le diocèse. La communauté la plus récente et la plus jeune est l’Institut des Servantes du Seigneur et de la Vierge de Matara, une congrégation d’origine argentine. Ces religieuses sont présentes à Stykkishólmur et à Hafnarfjördur, tout près du carmel qui abrite 11 religieuses polonaises. Ces dernières fêtent leurs 30 ans de présence, sans avoir eu jusqu’à maintenant des vocations islandaises.
Les sœurs de la Charité de Mère Teresa sont six à Reykjavik, et développent un apostolat de la prière et de l’accueil des pauvres. Trois religieuses d’une congrégation mexicaine, les Sœurs de l’Adoration eucharistique, travaillent à l’évêché. Sans compter les cinq sœurs carmélites apostoliques d’Akureiry, qui sont engagées dans la catéchèse. Elles tiennent également une garderie pour les tout petits enfants. Les Sœurs franciscaines missionnaires de Marie, qui avaient fondé l’hôpital de Stykkishólmur, l’un des premiers hôpitaux du pays, n’avaient malheureusement pas suffisamment de vocations et s’en sont allées il y a cinq ans.
L’Eglise catholique en Islande dispose de six paroisses, dont 3 pour la capitale Reykjavik et son agglomération: les paroisses du Christ-Roi et de Sainte-Marie, ainsi que celle de Saint-Joseph, à Hafnarfjördur. S’y ajoutent les paroisses St-Pierre à Akureiry, au nord du pays, la paroisse St-Thorlak à l’est de l’île, et la nouvelle paroisse «Saint Jean Paul II» à Keflavik. JB
Encadré
S’il était possible, depuis le XVIe siècle déjà, de trouver une Bible en islandais, il était en revanche impossible de se procurer un missel en langue originale. Il n’en a existé aucun jusqu’en mai de l’année dernière. Le travail de traduction du missel de l’Eglise catholique en islandais (islenska) a commencé il y a quarante ans. Grâce au soutien de l’œuvre d’entraide «Aide à l’Eglise en Détresse» (AED), dont la section suisse est basée à Lucerne, il a pu être imprimé pour «l’Année de la foi».
Mgr Pierre Bürcher a pu en remettre personnellement un exemplaire au pape François en mai de l’an dernier, ainsi qu’au président islandais Ólafur Ragnar Grímsson, «qui l’a mis dans le rayon d’honneur de la bibliothèque de la résidence présidentielle». Le coût de l’édition de ces 55 exemplaires de 1’500 pages s’est élevé à 80’000 euros. L’entreprise n’a pas été facile, car personne au sein de la Conférence épiscopale des pays scandinaves ne parle islandais. Et s’il y bien une vingtaine d’Islandais vivant à Rome, ils sont pour la plupart de confession luthérienne. Ce n’est donc pas facile de traduire les concepts liturgiques catholiques. Mgr Bürcher lui-même, s’il peut célébrer la messe et prêcher en islandais, doit faire traduire ses textes. Il avoue que «même avec plusieurs années d’études sérieuses, l’islandais reste une langue difficile». Il faut au moins deux ans d’études intensives à l’Université pour la maîtriser, ce qu’il n’a pas la possibilité de faire. De plus, il est impossible à l’évêché de Reykjavik de traduire tout ce qui vient de Rome. «Les Islandais sont très exigeants en ce qui concerne leur langue parce qu’ils savent l’importance qu’elle a eue dans l’histoire nationale. Leur langue est restée très pure étant donné l’insularité du pays. L’islandais a en effet connu très peu d’évolutions linguistiques au cours des siècles» (**). JB
(*) Par décret de Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg et en accord avec le chanoine Claude Ducarroz, prévôt du Chapitre cathédral, quatre nouveaux chanoines ont été nommés en 2014: Mgr Pierre Bürcher, évêque de Reykjavik (Islande), jadis évêque auxiliaire dans le diocèse durant 13 ans; Mgr Amédée Grab, évêque émérite de Coire, qui exerça un ministère épiscopal dans le diocèse durant 11 ans; Mgr Jean-Claude Périsset, évêque titulaire de Giustiniana Prima, jadis nonce apostolique en Roumanie, puis en Allemagne. Ils ont été nommés chanoines d’honneur. Mgr Niklaus Wyrwoll, prélat d’honneur de Sa Sainteté, a, quant à lui, été nommé chanoine honoraire. Ce prélat allemand est très lié à l’Institut œcuménique de l’Université de Fribourg.
(**) L’islandais (islenska) a pour racine historique le norrois, qui était pratiqué depuis le Moyen Age dans les pays scandinaves. Mais l’isolement de l’Islande et son importante tradition écrite ont permis une conservation exceptionnelle de la langue originelle, non seulement dans sa version écrite, mais également dans sa version orale.