
Messe pour double chœur de Frank Martin
Pour ma première chronique, j’ai choisi de parler d’une œuvre trop peu connue : la Messe pour double chœur de Frank Martin. Cette dernière représente à mon sens de nombreuses valeurs de la musique sacrée, de par sa portée œcuménique, ainsi que par la démarche de foi du compositeur. Elle est un chef-d’œuvre de notre patrimoine romand. J’avoue éprouver un attachement particulier à cette messe, ayant eu la chance de la chanter récemment avec le Chœur des XVI.
Frank Martin, né à Genève en 1890 et mort en 1974 à Naarden (Pays-Bas), était fils de pasteur. On lui doit en particulier de nombreuses œuvres chorales et sacrées, telles que Et in Terra pax (créé le jour de l’armistice de 1945), Golgotha, le Mystère de la Nativité ou encore le Requiem. Cependant, alors que ces pièces religieuses ont été écrites dès les années 1940, c’est vingt ans plus tôt, en 1922, alors qu’il avait trente-deux ans, qu’il avait composé la Messe pour double chœur a capella. Notons que cette œuvre n’est pas une commande d’un tiers, mais une composition voulue par Frank Martin lui-même. La première grande pièce sacrée de ce musicien réformé est donc délibérément écrite sur le texte le plus typique de la liturgie catholique, le compositeur appréciant, selon ses propres mots, «le texte d’abord et cette forme aussi qui est, en elle-même, admirable tant esthétiquement que psychologiquement.» (1) Frank Martin, qui n’est d’ailleurs de loin pas le premier protestant à écrire une messe (pensons à la Messe en si mineur de Bach), montre pourtant dans son catalogue une grande ouverture œcuménique, la Messe y côtoyant tant bien les Pseaumes de Genève (2) que le Maria Triptychon, constitué d’un Ave Maria, d’un Magnificat et d’un Stabat Mater. Notons également que c’est sur demande de Mgr Pierre Mamie, alors évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, que Martin adaptera le Notre Père de son Et in terra pax pour un emploi liturgique.
En plus de cette dimension œcuménique, la Messe pour double chœur témoigne d’un autre élément touchant : son aspect personnel. Tout comme plus tard pour son oratorio Golgotha, Frank Martin n’envisage pas d’exécution publique. Bien plus, il ne la souhaite pas, gardant l’œuvre jalousement dans ses tiroirs jusqu’en 1969, date à laquelle il accepta de laisser un chef de chœur allemand la créer! Cette attitude s’explique par quelques difficultés face à son sentiment religieux, marqué par une certaine pudeur. «J’avais (…) écrit une Messe pour double chœur a cappella, mais je ne tenais pas à ce qu’elle fût exécutée, craignant qu’on la juge d’un point de vue tout esthétique. Je la voyais alors comme une affaire entre Dieu et moi. Elle dut attendre quarante ans sa première exécution.» (3)
Il est certain, et c’est l’opinion même de Frank Martin, que la Messe est encore une œuvre de jeunesse, dans laquelle le style personnel du compositeur ne s’exprime pas encore pleinement. Ce n’est pourtant pas un argument pour la déprécier. Composée comme une démarche spirituelle, elle ne cherche pas à être avant-gardiste, et est, par ce fait, très facile à l’écoute. Surtout, le texte y est mis en musique de façon extrêmement émouvante. Il serait trop long de décrire ici l’ensemble de cette messe. Je ferai encore juste part de mon coup de cœur pour le Credo, dont tous les sentiments sont admirablement soulignés par la musique. Le Crucifixus, par exemple, est un cri bouleversant, qui fait place à un Resurrexit léger et joyeux.
Je ne peux donc qu’encourager chacun à découvrir cette messe, écrite par un homme qui témoigne être revenu à la religion par la musique…
(1) Cette citation provient de l’entretien accordé par Frank Martin peu avant son décès à la revue Zodiaque, publiée par les bénédictins de l’abbaye de la Pierre-qui-vire, dans son numéro de janvier 1975 (p. 13).
(2) Le titre original reprend l’orthographe des recueils de psaumes du XVIe siècle, qui portaient le nom de «pseaumes de Genève». Frank Martin l’a intitulé selon cette orthographe ancienne.
(3) Op. cit. page 12.
L’extrait proposé a été réalisé par le Choeur des XVI, sous la diretion d’André Ducret. Il est tiré de leur «Coffret des 40 ans». Nous les remercions chaleureusement de nous avoir autorisés à le reproduire ici.
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