Les ONG chrétiennes interpellent Vitol, la plus grande multinationale de Suisse

Berne, 24.08.2015 (cath.ch-apic) Avec un chiffre d’affaires de 254 milliards de francs, Vitol est la plus grande multinationale de Suisse. Par contre, dans son activité de négoce de charbon en Afrique du Sud, elle est loin d’occuper le premier rang en matière de respect des droits humains et des standards environnementaux.

C’est ce qu’ont déploré en chœur les œuvres d’entraide chrétiennes Pain pour le prochain (PPP) et Action de Carême (AdC) le 24 août 2015 à Berne.

Lors d’une conférence de presse, PPP et AdC ont interpellé le mastodonte basé à Genève. Ils lui reprochent de manquer de transparence en ce qui concerne son devoir de diligence afin de respecter les normes de responsabilité sociale des entreprises. En 2011, le Conseil des droits de l’homme de l’ONU a adopté à l’unanimité les «Principes directeurs sur les entreprises et les droits humains». Les ONG suisses reprochent à Vitol d’avoir «une approche limitée des droits humains».

Une multinationale pas prête au dialogue

Vitol conteste l’étude présentée le 24 août et réalisée par la «Bench Marks Foundation» (*), une ONG des Eglises sud-africaines, partenaire de PPP. La multinationale affirme qu’elle n’est active que dans le négoce et pas dans l’extraction minière sur le terrain et que la responsabilité d’entreprise est «au cœur de notre culture».

Refusant le dialogue et répondant très brièvement – vendredi 21 août 2015 ! – à un questionnaire envoyé par les œuvres d’entraide en mai dernier déjà, Vitol affirme qu’elle n’a pas d’influence sur Coal of Africa (CoAL), l’entreprise australienne active notamment dans la région de Limpopo, dans le nord de l’Afrique du Sud, dont elle a l’exclusivité de la commercialisation de la production minière de cet endroit.

Le négociant de matières premières basé à Genève a aussi un contrat de livraison pour le projet minier de Makhado, où l’extraction devrait commencer dès 2018. La mine enserre le village de Mudimeli, qui sera entouré par les puits à ciel ouvert et un grand terril. L’impact, pour les 3’000 villageois, sera très négatif sur leurs activités agricoles et l’approvisionnement en eau potable.

Population mise en danger par l’exploitation minière

Au sein de la population, il y a une forte résistance contre les projets, a déclaré à Berne le Sud-africain John Capel, directeur de la Bench Marks Foundation (BMF), car les riverains craignent la pollution de l’eau et de l’air qui va être produite par l’extraction minière. Les poussières fines vont porter atteinte à leur santé, sans parler du passage incessant des camions à quelques centaines de mètres de leur maison. Le directeur de la BMF ne comprend pas que l’on mène ce projet dans cette région qui est le jardin potager et le grenier à blé de l’Afrique du Sud, sans parler des risques pour l’activité touristique: le Parc National Kruger n’est pas loin!

Le militant sud-africain note que ces craintes sont justifiées: en 2010, CoAL a dû payer une forte amende pour avoir violé les conditions des licences d’eau de la mine de Vele, également dans la région de Limpopo. «En tant qu’exportateur exclusif du charbon des mines de Vele et Makhado, Vitol doit assumer ses responsabilités pour éviter à l’avenir de telles violations. Cela pourrait aussi aider à calmer les craintes de la population».

 

Responsabilité sociale et écologique des entreprises

En pointant du doigt la multinationale Vitol, les deux ONG comptent relancer le débat sur la responsabilité sociale et écologique des entreprises. Elles exigent que toutes les multinationales respectent leur devoir de diligence. Elles réclament pour cela des règles contraignantes pour les multinationales suisses. C’est ce que prône la conseillère nationale Lucrezia Meier-Schatz, présidente du Conseil de fondation d’Action de Carême.

Elle note que le Conseil fédéral a certes publié le 1er avril dernier une prise de position sur la responsabilité sociale des entreprises. Il a appelé l’économie à respecter des normes, afin d’empêcher les abus qui font courir de gros risques à la réputation de la Suisse, comme on l’a vu dans le cas des scandales bancaires. Mais les autorités fédérales ont renoncé à inscrire la responsabilité des entreprises dans la loi, misant avant tout sur leur autorégulation.

Ce n’est pas suffisant, aux yeux de la démocrate-chrétienne saint-galloise. Elle déplore les manœuvres de couloir qui ont fait échouer, à une courte majorité, lors de la session de printemps au Conseil national, l’inscription dans la loi du «devoir de diligence raisonnable pour les entreprises en matière de droits humains et d’environnement». «Malheureusement, il y a aussi eu des parlementaires démocrates-chrétiens qui ont voté contre!»

Les droits humains ne relèvent pas de la simple bonne volonté

Pour Lucrezia Meier-Schatz, les droits humains ne relèvent pas de la simple bonne volonté. «En fin de compte, les mesures volontaires signifient que les multinationales sont censées décider elles-mêmes quelle place elles accordent aux droits humains et à la protection de l’environnement, et cela ne va pas!» «C’est pour cela qu’Action de Carême et Pain pour le prochain soutiennent, avec 70 autres organisations, l’initiative populaire ‘Entreprises responsables – pour protéger l’être humain et l’environnement’».

«Les pressions exercées sur la multinationale Glencore, dont le siège est dans le canton de Zoug, ont déjà montré leurs premiers effets, note la présidente du Conseil de fondation d’AdC. Les entreprises savent désormais qu’elles tirent profit du respect du devoir de diligence, et c’est également pour des raisons économiques que cela vaut la peine de s’engager à fond pour le respect des droits humains et de l’environnement», souligne la conseillère nationale saint-galloise. (apic/be)

(*) Vitol and coal trading: Challenges of human rights due diligence in the supply chain, août 2015

 

La Saint-Galloise Lucrezia Meier-Schatz, présidente du Forum de fondation de l'ADC, ancienne conseiilère nationale | © Jacques Berset
24 août 2015 | 16:27
par Jacques Berset
Temps de lecture: env. 4 min.
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