Homélie du 02 novembre 2014

Prédicateur : Chanoine Guy Luisier
Date : 02 novembre 2014
Lieu : Abbaye de Saint-Maurice
Type : radio

La mort est au bout de la vie.

Oui d’accord. Cela semble une vérité évidente, une banalité et même, osons le mot, une lapalissade.

Mais parce que nous sommes chrétiens, nous devons nous méfier des banalités de la pensée, surtout lorsqu’elles touchent les réalités centrales de l’existence.

Pour le chrétien, pour l’homme de foi, la mort n’est pas au bout de la vie parce que la Vie c’est Dieu et Dieu n’a pas de bouts, de frontières et de limites, Dieu c’est l’océan vers lequel nous nous dirigeons, dans lequel nous sommes sans cesse plongés, et duquel nous tirons toutes nos sources comme nous dit d’ailleurs le psaume.

Alors : la mort au bout de la vie, une lapalissade ?

Regardons-y de plus près.

Une lapalissade, ou une vérité de La Palisse peut cacher une réflexion plus profonde qu’elle semble avoir au premier abord. Savez-vous d’ailleurs que ce qui a fait la célébrité du marquis de La Palisse un officier français du 16e siècle c’est justement sa mort.

On racontait que juste avant sa mort, au siège de Pavie, lors des guerres d’Italie, il était encore en vie.

Les vérités de Lapalisse seraient nées dans cette banalité profonde que l’on a pu exprimer ainsi : Un quart d’heure avant sa mort il était encore vivant.

Seuls les idiots ou les distraits trouvent cette phrase banale ou ridicule.

Si on est un peu fin et attentif on voit bien qu’il s’agit de désamorcer la douleur et le mystère de la mort.

Ce qui est en jeu c’est de montrer que la grandeur d’un homme n’est pas dans la façon dont il meurt mais dans la façon dont il se garde en vie jusqu’à sa mort, dans la façon d’être vivant avant de mourir, dans la façon de rendre pleins tous les quarts d’heure de la vie, tous les moments de son existence.

Non pas pleins de futilités, de bruits, de fureur, mais pleins de sens, pleins de profondeur, pleins de Dieu peut-être.

Ainsi la sagesse constante de l’humanité a su toujours préférer une vie courte mais profondément remplie à une longue vie faites de langueur, d’inutilité ou de superficialité.

Dans la bible, le livre de la Sagesse surfe, pourrait-on dire pour faire moderne, sur cette sagesse humaine fondamentale quand il dit : Même s’il meurt avant l’âge, le juste trouvera le repos. La dignité du vieillard ne tient pas au grand âge, elle ne se mesure pas au nombre des années. Pour l’homme la sagesse surpasse les cheveux blancs, une vie sans tache vaut une longue vieillesse.

Les martyrs qui sont célébrés ici à l’Abbaye de saint Maurice depuis plus de 15 siècles, étaient de jeunes hommes pleinement en vie, juste avant leur mort sanglante. Et dire cela c’est justement donner du sens à leur vie, à leur mort, pour remplir de sens notre propre vie et notre propre mort.

Pour un homme de sens et de sagesse, le défi est de rester vivant jusqu’à sa mort.

Et c’est un défi qui n’est pas banal !

Mais il faut aller plus loin : pour l’homme de foi le défi est de rester vivant en deçà de sa mort pour rester dans la vie au-delà de la mort.

Ainsi se dessine une destinée réussie, pleine : c’est une destinée dont la mort est non plus une horreur qui défigure le sens de la vie, mais bien plutôt un repère, certes douloureux et déchirant, entre deux états que Dieu remplit de sa présence… mais qu’il s’agit nous aussi de remplir de notre propre présence.

Autour de ce Repère-Mystère de la Mort, autour d’un deuil, autour des célébrations traditionnelles du début novembre, les questions sortent, s’agglutinent et se pressent à notre esprit et à notre cœur. C’est normal et tellement humain.

Nous voulons savoir si l’autre côté est bien un autre côté et pas un mythe de consolation douce. Nous voulons savoir comment Dieu est présent de l’autre côté. Nous nous demandons si nous y serons, si nous y serons bien, comment sont nos proches qui ne sont plus ici. C’est normal, c’est un vrai enjeu.

Mais sans doute est-il plus pertinent de nous demander comment nous laissons Dieu être présent de ce côté-ci et comment nous sommes présents à notre vie de ce côté-ci.

C’est en étant de vrais vivants de ce côté-ci que nous rendons hommage à ceux qui sont partis par-delà la mort.

Les passages et les prières au cimetière doivent être des moments où nous nous demandons où nous en sommes, non pas avec la mort mais avec la vie.

Avant sa passion Jésus n’a visité qu’un seul cimetière, celui de son ami Lazare. Il a fait comme nous. Il est allé pleuré son ami, et fut lui aussi sans doute envahi par la souffrance du deuil. Mais il décentre le propos de sa visite, il décentre la douleur des endeuillés en centrant l’enjeu non pas sur la mort mais sur la vie.

« Celui qui croit en moi même s’il meurt vivra. Et tout homme qui vit et croit en moi ne mourra jamais. »

Tout homme qui vit… et croit. La vie et la foi. Pas de foi sans une épaisseur de vie.

Notre vie, chaque vie a de l’épaisseur, de l’étoffe, de la profondeur, encore faut-il que nous sachions la mettre en valeur.

On dit souvent, encore une banalité de la pensée, que nous n’emportons rien de l’autre côté. C’est faux, je pense. L’étoffe plus ou moins épaisse de notre vie, nous l’emportons et Dieu lui donne l’épaisseur de l’éternité. Amen.»

Commémoration des défunts

Lectures bibliques : Romains 8, 18 ss.; Jean 11, 1-57

2 novembre 2014 | 14:15
par Barbara Fleischmann
Temps de lecture : env. 4  min.
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