Homélie du 29 mai 2014
Prédicateur : Père Jean-René Fracheboud
Date : 29 mai 2014
Lieu : Foyer des Dents du Midi
Type : radio »
Comme c’est difficile avec des mots pauvrement humains de dire le mystère de Dieu ! Comme c’est difficile avec des mots de la terre d’exprimer quelque chose de la fulgurance du ciel !
Plus que jamais la fête de l’Ascension nous met devant cette énorme difficulté. Les expressions bibliques sont claires, limpides : « … Il fut enlevé au ciel après avoir, dans l’Esprit Saint, donné ses instructions aux Apôtres qu’il avait choisis « .
» Après ces paroles, ils le virent s’élever et disparaître à leurs yeux dans une nuée. »
» Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel ? Jésus, qui a été enlevé du milieu de vous, reviendra de la même manière que vous l’avez vu s’en aller vers le ciel. » Il faut sûrement prendre des distances par rapport à une forme naïve de lecture entretenue par un style de peintures.
Jésus n’est pas monté au ciel comme une fusée pour traverser l’azur et la couche d’ozone et rencontrer le Père.
Rien à voir non plus avec une forme de lévitation divine spectaculaire. Il nous faut décoder ce langage.
Quand on parle de » nuée « , le familier de la Bible fait le lien avec l’expérience du Peuple de Dieu dans l’Ancien Testament, l’expérience de l’Exode, la Traversée du désert, le don de la Loi à Moïse. La nuée évoque la présence de Dieu, son épiphanie. Mais tout en se manifestant à l’homme, la réalité de Dieu reste comme voilée.
À l’Ascension, Jésus a été enlevé, arraché à notre visibilité humaine pour rejoindre la plénitude de Dieu, Trinité d’amour.
Ce que nous célébrons à travers la fête de l’Ascension, c’est l’aboutissement, l’accomplissement, la consécration de toute la vie et de toute la mort de Jésus. Jésus s’est fait chair pour nous révéler le secret profond de toute vie, de toute existence. Il a fait le déplacement de la terre.
Le monde et l’histoire n’obéissent pas à des forces aveugles. Tout porte le sceau et l’empreinte d’un immense AMOUR, l’amour de Dieu. Tout vient de cet amour créateur et tout est orienté vers l’accomplissement d’une vie de plénitude et d’harmonie.
Jésus, par son comportement quotidien, a fait comprendre à tous ceux et celles qu’il rencontrait, que leur vie, même fragile, pauvre, souvent malmenée par le mal, le mensonge et la mort, avait une valeur infinie. Par son regard de tendresse, par ses gestes de salut, par sa passion amoureuse, Jésus a promu à l’existence, à la dignité, tous ceux qui venaient à lui. Jésus est allé jusqu’à l’extrême de sa mort pour dire que Dieu croit en l’homme envers et contre tout, qu’il le sauve et qu’il lui ouvre une destinée de gloire. Sa Résurrection et son Ascension scellent à tout jamais la réussite de cette trajectoire d’amour, de don et de générosité.
En affirmant aujourd’hui que Jésus est monté au ciel, nous disons qu’il a pénétré pour toujours dans le monde spirituel nouveau, définitif, dont il est la première cellule vivante. Ce monde est inaccessible à nos sens et à notre imagination mais souverainement réel, plus réel que notre monde actuel. C’est l’audace du christianisme de placer un homme, un fils d’homme, Jésus, au cœur de la vie de Dieu, dans son brasier d’amour.
Si, pour Jésus, son Ascension est le couronnement de toute sa vie, elle est pour nous ses disciples, son Église, un envoi et une mission. Saint Luc, à la fin de son Évangile situe l’Ascension au soir de Pâques. Par contre au début des Actes des Apôtres, il la situe 40 jours après Pâques. Les évangélistes ne sont pas des reporters, mais des témoins qui ont habillé leur message dans des vêtements différents et complémentaires.
Ces 40 jours, qu’on retrouve si souvent dans la Bible, sont l’expression d’une pédagogie divine qui accompagne une maturation intérieure. Après le choc de la mort de Jésus, il a fallu pour les disciples un certain temps pour accueillir le Ressuscité, pour se laisser transformer par Lui, peu à peu, et pour se préparer à vivre une certaine forme d’absence visible de leur Seigneur. L’Ascension, au début des Actes des Apôtres, marque la fin des apparitions pascales de Jésus.
Saint Matthieu ne parle pas de l’Ascension de Jésus, il termine son Évangile par cet envoi grandiose, solennel :
» Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc ! De toutes les nations faites des disciples, baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint Esprit ; et apprenez-leur à garder tous les commandements que je vous ai donnés. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
On se souvient que son Évangile s’était ouvert avec l’annonce de la venue de l’EMMANUEL, du » Dieu-avec-nous « . Matthieu assure que cette présence de Dieu parmi les hommes continue :
» Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »
C’est désormais le temps de l’Église qui prend le relais pour devenir sacrement, signe efficace de la puissance salvifique du Christ.
Saint Paul nous donne un raccourci éblouissant de la grâce que nous vivons en Église aujourd’hui : » Il lui a tout soumis et, le plaçant plus haut que tout, il a fait de Lui la tête de l’Église qui est son Corps, et l’Église est l’accomplissement total du Christ, lui que Dieu comble totalement de sa plénitude. » Il n’y a plus rien à voir du côté du tombeau, il est vide. – c’était le message du matin de Pâques – Il n’y a plus rien à voir du côté du ciel, il est vide. Ne restez pas là le nez dans les nuages, – c’est le message d’aujourd’hui, de l’Ascension. –
Mais il y a désormais tout à voir du côté de la communauté des baptisés, qui par leur manière de vivre ensemble, par la manière de se porter, de s’aimer, de se pardonner, vont offrir la visibilité et une actualité à la présence vivante du Christ. L’Église et nos communautés ne sont pas un appendice ou une prothèse ajoutées de l’extérieur, elles sont au contraire le lieu du jaillissement du Christ Ressuscité et exalté dans la gloire.
Cette fête de l’Ascension nous provoque à une immense espérance.
» Une fois élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » Peut-être qu’une des caractéristiques du monde actuel, c’est la tyrannie de l’immédiateté. Il faut tout faire, tout vivre aujourd’hui.
Il faut faire le plein de consommation, de jouissance, d’expériences, de sensations fortes. Plus l’avenir est sombre, chargé de nuages lourds et menaçants, plus nos sociétés éprouvent des difficultés à trouver des solutions face aux nombreux défis sociaux, économiques et politiques, plus le danger est grand de se replier sur soi, de s’enfermer dans son cocon. Nous sommes menacés par une forme de pessimisme et de désespérance. Ce sont les nombreux » à quoi bon » démobilisateurs de nos journées grises. À quoi bon se donner tant de mal pour vivre, puisque tout passe, tout se défait, tout est marqué par la fragilité ? Nous pouvons souvent être saisis par le sentiment que tout est dérisoire, sans valeur, sans consistance, sans relief et que tout retourne au néant. La foi au Christ nous invite à passer du » dérisoire » au » provisoire « … » La dynamique du provisoire « , expression chère de frère Roger de Taizé. Le Seigneur vient constamment nous ouvrir un avenir.
Il vient nous révéler que tout ce qui est bâti dans le don, la générosité, la justice et la paix trouvera une consécration définitive dans son Royaume. Tout peut avoir un poids d’éternité. Tout ce que nous commençons humblement à humaniser, le Christ le portera à l’accomplissement en le divinisant, en le portant à la plénitude de l’amour. La foi au Christ dans son mystère de Résurrection et d’Ascension vient me libérer à la fois d’un idéalisme désincarné et d’un pessimisme décourageant. Il ne vient pas occulter les fragilités et les opacités de mon » métier de vivre « , mais il vient m’assurer que ma vie, humble et cachée, sera tranfigurée en Lui.
« Accepte-toi toi-même en ton inachèvement, en ton imperfection,
mais ne t’y établis pas.
Cherche ton achèvement, ta perfection.
Surveille ton désir, cultive l’ambition qui est désir de grandeur.
Dieu ton Père te veut grand, divin, à son image.
Sois libre et deviens-le.
Maître de toi, ouvert à l’infini !
Ne te laisse pas mettre en prison,
accepte des barrières à ta droite, à ta gauche,
mais jamais devant toi,
jamais devant ton ciel ! »
Abbé Jean-René FRACHEBOUD »
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