Homélie du 01 décembre 2013
Prédicateur : Abbé Marc Donzé
Date : 01 décembre 2013
Lieu : Basilique Notre-Dame, Lausanne
Type : radio
Je rêve, mes amis. Je rêve les yeux ouverts. Je rêve avec un cœur lucide et un esprit de miséricorde. Du moins, j’essaie.
Je rêve d’un monde où les drones qui tuent à l’aveugle n’existent plus et soient remplacés par des avions en papier.
Je rêve d’un monde où, chez nous, il n’y ait plus de femmes avec enfants contraintes de dormir dans des voitures par des températures polaires.
Je rêve, avec le pape François, d’une Eglise où l’on batte des records de miséricorde et de courtoisie, où les doctrines s’agenouillent devant la dignité des hommes.
Martin Luther King rêvait aussi. I have a dream. Il rêvait d’une Amérique où Blancs et Noirs aient des droits égaux, où ils puissent s’asseoir côte à côte dans les mêmes bus. Et son rêve s’est réalisé, en partie.
Le prophète Isaïe, bien plus tôt, rêvait lui aussi. Et son rêve n’était pas n’importe quel rêve. C’était une communication avec Dieu. Il a vu tous les peuples monter vers la montagne du Seigneur, il a vu tous les peuples converger dans la paix. Il a vu qu’avec les épées, on forgeait des socs de charrue. Ne plus tuer, mais nourrir les petits et les grands.
Et tous ces rêves ne sont pas des rêves habituels, des rêves du milieu de la nuit, où l’inconscient fait de l’ordre dans les impressions qu’il a engrangées.
Ils viennent des profondeurs de la conscience. Ils viennent de ces lieux secrets, où la noblesse de l’homme est en contact avec le Dieu d’Amour. Malgré tout. Au-delà au-dedans de tous les malheurs.
Quand le prophète Isaïe écrit, il se trouve dans une situation dramatique, avec tout son peuple : guerres, envahissements, exils se succèdent. Et les rois ne sont pas à la hauteur de leur tâche. Ils s’adonnent à la guerre sans foi, ni loi. Et comme la guerre n’est jamais bonne, le peuple souffre. Où va-t-il trouver les ressources pour aller de l’avant, pour construire un avenir, pour espérer du nouveau ?
Et la petite dame qui doit dormir dans une voiture, où va-t-elle trouver les ressources ? et le jeune Noir, condamné dans un procès aujourd’hui encore inégalitaire, où va-t-il puiser un espoir ?
C’est là qu’interviennent les profondeurs de la conscience. C’est là que se trouve la source d’une espérance. Je, tu, nous, ils rêvent du fond de leur être. Et ce n’est pas une illusion, une consolation à bon marché. C’est un acte de foi à la puissance de Dieu qui met un souffle de justice, un souffle de paix, un souffle d’amour, partout. C’est pourquoi je peux rêver à un monde de justice et de paix sans me payer de mots. Le souffle de Dieu est toujours déjà là.
Mais, évidemment, ce n’est pas si simple. Car le souffle de Dieu rencontre la liberté des hommes. À bien des endroits, il se cogne contre la liberté des hommes. Le souffle de Dieu n’est pas automatique ; parce qu’il est de l’ordre de l’amour, il a besoin du consentement des hommes.
Et c’est pourquoi cela va si lentement. Et c’est pourquoi cela progresse, recule, progresse à nouveau.
Mais le souffle de Dieu est là. Et on peut le sentir, à tout le moins le pressentir. C’est lui qui permet à Isaïe de rêver à la transformation des épées en charrues. C’est lui qui permet la fin des politiques d’apartheid. C’est lui qui permet à la petite dame dans le froid de ne pas être complètement désespérée et de mettre encore et encore un pied devant l’autre. C’est lui qui, comme une lame de fond, ouvre des perspectives d’avenir.
Je rêve… et j’appuie mon rêve sur le souffle de Dieu. Mais cela ne suffit pas encore, je le sais. Je dois retrousser mes manches, pour contribuer à la réalisation de ce que je rêve. Isaïe fut un messager de paix, inlassable. Martin Luther King, avec les armes de la non-violence, a beaucoup œuvré pour l’égalité entre Noirs et Blancs aux Etats-Unis. Et toi, et moi, nous pouvons mettre un peu de justice, de paix et d’espérance autour de nous par des actions concrètes et ciblées.
Rêver en portant le souci concret du monde. Rêver en espérant de toutes nos forces qu’un avenir est possible, au prix de notre consentement aux puissances de vie et d’amour.
C’est ce que l’on ne faisait pas aux temps de Noé. On mangeait, on buvait, on se mariait, mais aussi on se goinfrait, on se soulait, on forniquait, on jouait du pouvoir et – passez-moi l’expression – on se foutait du reste. Les autres qui n’ont rien, qu’ils passent leur chemin. Et Dieu avec ses commandements, qu’il reste dans son ciel. La jouissance du présent, la consommation du présent, pas de rêve, pas de vision d’avenir. Les pieds en éventail sur le sable.
Est-ce si différent aujourd’hui pour une partie des hommes ? on s’adonne aux activités normales et jouissives de la vie. Travail, salaire correct, appartement, cave à vin, petite famille. Et quoi alors ? que vouloir de plus. Eh bien regarder à droite et à gauche pour que les autres disposent aussi de ce dont je dispose, au moins dans une proportion correcte. Mais à quoi bon ? restons dans le présent, dans le quant à soi. L’avenir, c’est tellement compliqué qu’il vaut mieux le tenir caché.
Eh bien, je préfère faire partie de ceux qui rêvent d’un monde meilleur, avec les manches retroussées. Je préfère être dans un monde, où le souffle de Dieu me dit qu’il y a au-delà de tout une espérance vraie, une espérance solide, parce qu’elle repose sur Lui.
Vous aussi, je l’espère, car c’est ce à quoi nous invitent les prophètes et l’Evangile au nom de Dieu. L’Avent nous ancre dans le présent des hommes, mais en même temps nous ouvre sur un avenir, une espérance et un combat. I have a dream, chantait Martin Luther King, qui le paya du prix de sa vie. Amen.»
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