Homélie du 11 août 2013
Prédicateur : Père Guy Musy
Date : 11 août 2013
Lieu : Carmel du Pâquier
Type : radio
« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur ! » (Luc 12, 34)
Ton cœur ? Qu’est-ce à dire ?
Ton cœur ? Et bien, toute ta force d’aimer, de désirer, de jouir de ce qui t’attire au-delà de toi-même…
Ton coeur ? Toute ton énergie vitale, celle qui te dominais dans ta jeunesse et qui ne s’éteint pas quand tu vieillis…
Ton cœur ? Tout ce qui vibre en toi tant que tu as quelqu’un ou quelque chose à aimer…Tant que tu ne le tiens pas encore entre tes mains…
Alors, dis-moi, où est ton trésor pour que je sache aussi où se cache ton cœur ? Dis-moi cette chose ou cette personne qui te fait courir au bout du monde, pour l’avoir entre tes doigts, le caresser, comme Harpagon caressait de ses griffes d’avare la divine cassette qu’il adorait.
Curieuse histoire de ce mot « trésor ».
Il évoque le jeu de la course au trésor de nos enfances, le pactole de Rakham le Rouge de Tintin et de son fameux capitaine. Un Eldorado aussi fictif que merveilleux qui aurait pour vocation de combler toutes nos attentes.
Mais quittons le monde du rêve.
Ton trésor ? Est-ce ton amoureux ? Ton amoureuse ? « Dein Schatz », comme susurrent les amants d’Outre-Sarine ?
A moins que ton trésor ne soit ce bout de choux qui trottine entre tes jambes ou cette petite puce que tu tiens dans tes bras et que tu appelles tendrement : « mon trésor » ?
Ton trésor ? Plus banalement, ta voiture dernier cri, celle que tu bichonnes chaque samedi pour épater tes copains et tes copines ?
Ou alors, plus banalement, tes comptes à numéros, tes bijoux, tes tableaux enfouis dans un coffre bancaire ?
Dis-moi où est ton trésor, je te dirai alors où est ton cœur.
Retour à l’évangile. Il nous parle aujourd’hui d’un autre trésor. Curieusement, Jésus ne lui donne pas de nom particulier, mais définit ses caractéristiques : il est inusable, inoxydable ; il ne s’éclipse pas de nos mains quand elles croient le tenir et personne ne peut nous le ravir.
Tandis que nos trésors habituels s’effritent, se dilapident, ne durent guère. Comme une boule de neige que vous tiendrez au creux de la main un jour de canicule. Inutile d’insister. L’expérience est là pour attester que même nos plus belles amours, soit disant éternelles, se diluent au fil des jours et des années.
C’est pourquoi Jésus nous encourage à miser sur des valeurs sûres, cotées à la bourse du ciel. « Faites-vous un trésor dans les cieux », dit-il. Autrement dit, DIEU est votre vrai trésor ! Lui seul mérite tout votre amour. En Lui se repose comblé votre coeur !
« Nous voici bien avancés », dites-vous ! Et tous nos petits bonheurs, toutes nos amours ? Tout cela n’est-il que vapeur et fumée inconsistante ? Non, dit Jésus, tous ces petits trésors peuvent nous conduire à Dieu à condition de ne pas nous y agripper, nous y enfermer. Et, dans ce but, Jésus de nous conseiller le dépouillement volontaire de tout ce qui nous barricade et nous entrave. De lâcher prise, comme on aime dire aujourd’hui.
« Mais nous ne sommes ni des moines ni des moniales », répliquez-vous. « Nous n’avons point prononcé de vœux de chasteté et de pauvreté ». « Qui vous parle d’ascèse ? » , réplique Jésus. Votre dépouillement doit prendre la forme du DON. Libérez-vous du superflu en faveur des pauvres qui manquent du nécessaire, ne vous laissez pas emprisonner par de fausses richesses. Alors, vous trouverez Dieu, votre plus sûr bonheur.
Dieu, le vrai trésor, ne se découvre donc que dans le partage et le don. Je trouve mon bonheur quand je m’oublie et me donne sans réserve.
Parfois, nos châteaux s’effondrent brutalement sans que nous le voulions. Et nous voilà sur la paille et la cendre. Comme ce personnage de François Mauriac qui après avoir perdu en une seule nuit d’orage et de grêle toute sa vigne précieuse qui était son trésor, soupçonne en balbutiant l’existence d’un autre trésor : « Enfin, je suis détaché. Je ne sais quoi, je ne sais qui m’a détaché ; des amarres sont rompues ; je dérive. Quelle force m’entraîne ? Une force aveugle ? Un amour ? Peut-être un amour… »
Il fallut le malheur pour mettre ce vieil avare sur le chemin de l’amour. Il vaut mieux prendre les devants, ne pas attendre d’être dépouillé par les éléments, la maladie et toutes les forces contraires. Il vaut mieux se dépouiller soi-même pour découvrir l’Amour, le seul qui ne mente pas.
Cette messe est célébrée au Carmel du Pâquier. Il y a deux jours nous faisions revivre dans cette chapelle la mémoire d’une carmélite d’exception, Edith Stein, morte à Auschwitz en 1942. Elle aurait pu se réfugier ici même si les autorités suisses du moment avaient montré plus d’empressement pour l’accueillir. Juive d’origine, elle a sacrifié ses relations familiales, sa brillante carrière professionnelle, parce qu’elle était à la recherche d’un trésor que les mites, la rouille et les voleurs ne pourraient ni détruire ni voler. Elle a compris que pour l’obtenir elle devait elle-même suivre Jésus sur son chemin d’offrande, sur son chemin de croix. Mais elle a fait de ce dépouillement obligé un don gratuit. Alors que la Gestapo l’emmenait avec sa sœur vers le camp de la mort, elle dit simplement : « Allons pour notre peuple ». Donnons notre vie pour lui ! Edith faisait de sa mort programmée, de cette ultime pauvreté, le don le plus sublime. Son trésor était au bout de ce chemin.
Témoignage sublime et qui nous dépasse !
Nous en avons tout de même besoin.
Les saints ne sont-ils pas des phares sur les rives de nos mers agitées ?
Des étoiles au plus profond de notre nuit ?
Des boussoles dans la forêt où nous nous égarons ?
Edith Stein ouvre la piste de notre course au trésor.
19e dimanche du temps ordinaire
Lectures bibliques : Sagesse 18, 6-9; He 11, 1-2.8-19; Luc 12, 32-48
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