Homélie du 21 juillet 2013

Prédicateur : Pasteur Pierre Boismorand
Date : 21 juillet 2013
Lieu : Hospice du Grand-Saint-Bernard
Type : radio

Vous connaissez l’histoire ?

Un homme voyage dans un pays lointain. Il y passe trois semaines. A son retour, il publie tout un livre.

Un autre homme se rend dans le même pays. Il y reste davantage : trois mois. A son retour, il rédige seulement un article.

Un autre homme séjourne dans ce même pays. Il y demeure plus de trois années. A son retour, alors qu’on lui demande d’en parler, il répond : – « Vous savez, ce pays est tellement complexe, divers, varié… Il faudrait que j’y vive bien plus longtemps pour être capable de dire, d’écrire quelque chose de véritablement sérieux ».

Appliquons cette leçon aux Evangiles. Et même à toute la Bible.
Est-il concevable que nous ayons : une vue d’ensemble des Ecritures ?
Que, sur la Bible, nous portions un regard le plus large possible ?
Plus notre connaissance est étroite, limitée, plus nos idées risquent de l’être, elles aussi.
Et quand notre attention se focalise sur un passage, sur une parole, le parti-pris nous menace.
Mais la conscience de ce piège ne nous empêche pas de nous emparer d’un texte, parfois même : de saisir un seul verset et de généraliser.
D’ériger des absolus.
Et d’aboutir à des conclusions finalement peu nuancées.

D’ailleurs, n’est-ce pas ainsi que nous procédons avec Marthe et Marie.

Prenant appui sur ces quelques versets de l’Evangile de Luc, sur ce récit de leur rencontre avec Jésus, nous nous faisons une idée du caractère des deux sœurs.

Et nous agissons comme si ce texte constituait notre seule source d’information à leur sujet.

Alors, évidemment, quand on s’en tient à ce passage. On constate que : Marthe est dévouée et qu’elle a l’esprit d’initiative :

C’est elle qui invite, qui « reçoit Jésus dans sa maison ».

Et on l’oppose à Marie, qui est fervente et semble plus détachée des réalités matérielles : « assise aux pieds du Seigneur, elle écoute sa parole ».

Et puis on précise.

On relève que Marthe est : peu patiente et plutôt impulsive. Mais qu’elle a le sens de la justice.

En effet : « accaparée par les multiples occupations du service », elle n’accepte pas que sa sœur reste les bras croisés, tandis qu’elle s’active.

Ça l’agace !

Aussi, elle prend Jésus à témoin. Se plaint du comportement de Marie. Et souhaite que leur hôte intervienne en sa faveur.

Sauf que Jésus tranche d’une manière tout à fait inattendue.

Il déclare que : l’attitude de Marie est de loin la meilleure.

Voilà donc « deux ou trois choses que l’on sait d’elles ». Quelques éléments qui nous permettent de dessiner les contours de leurs personnalités.

Maintenant, est-il possible d’approfondir ? Afin d’en savoir un peu plus sur Marthe et sur Marie.

Le moyen habituel dont on dispose pour aller plus loin, c’est : l’interprétation du texte.

Partant de ce qui est écrit, on procède par déduction.

On essaye de faire parler l’Evangile. De lire entre les lignes.

On espère mieux comprendre. En apprendre davantage.

Mais cette méthode n’est pas assurée.

Bien ! Maintenant, imaginons qu’un chercheur découvre, au fond d’un tiroir d’une vieille bibliothèque ou dans les sables du désert, un ancien manuscrit qui parle de Marthe et de Marie.

Ce serait véritablement passionnant.

Ça nous permettrait de compléter nos connaissances à leur sujet.

Eh bien, chose inouïe, cet antique manuscrit, je l’ai trouvé !

Et Anne-Marie va vous en lire quelques extraits :

« … Jésus arriva à Béthanie où se trouvait Lazare, qu’il avait relevé d’entre les morts. On y offrit un dîner en son honneur : Marthe servait, tandis que Lazare se trouvait parmi les convives.

Marie prit alors une livre d’un parfum de nard pur, de grand prix ; elle oignit les pieds de Jésus, les essuya avec ses cheveux et la maison fut remplie de ce parfum. ».

Vous avez entendu ?

Marie ne serait pas cette femme discrète, passive, très en retrait qu’on imagine !

D’après ce manuscrit, elle aurait fait preuve d’une audace incroyable.

Devant tout le monde, elle aurait posé un geste, osé une offrande, manifesté pour le Christ un amour et une liberté tout à fait saisissants.

Admettons que mon manuscrit dise vrai.

Et que ce soit Marie qui ait versé ce parfum sur les pieds de Jésus. Puis, dénouant ses cheveux, qui les ait essuyés.

Est-ce que ça ne modifierait pas notre regard ?

Est-ce que ça n’élargirait pas notre compréhension de l’Evangile ?

Sachant que cette femme était capable d’écouter le Christ, mais l’avait aussi imploré avec une douceur, une tendresse incomparables !

Ça me fait penser à ces paroles de Mère Teresa : « Plus nous recevons dans notre prière silencieuse…, plus nous pouvons donner dans notre vie active. Nous avons besoin d’écoute et de silence pour toucher les âmes… et porter un regard neuf sur toutes choses… L’essentiel n’est pas ce que nous disons, mais ce que Dieu nous dit, et ce qu’il dit à travers nous ».

Mais Anne-Marie nous lit un dernier extrait de ce manuscrit … :

« Il y avait un homme malade ; c’était Lazare de Béthanie, le village de Marie et de sa sœur Marthe.

Il s’agit de cette même Marie qui avait oint le Seigneur d’une huile parfumée et lui avait essuyé les pieds avec ses cheveux ; c’était son frère Lazare qui était malade.

Les sœurs envoyèrent dire à Jésus : – Seigneur, celui que tu aimes est malade…

Or Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare.

Lorsque Marthe apprit que Jésus arrivait, elle alla au-devant de lui, tandis que Marie était assise dans la maison. Marthe dit à Jésus : – Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera.

Jésus lui dit : – Ton frère ressuscitera.

– Je sais, répondit-elle, qu’il ressuscitera lors de la résurrection, au dernier jour.

Jésus lui dit : – Je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais. Crois-tu cela ?

– Oui, Seigneur, répondit-elle, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde.

Là-dessus, elle partit appeler sa sœur Marie et lui dit tout bas : – Le Maître est là et il t’appelle.

A ces mots, Marie se leva immédiatement et alla vers lui.

Lorsque Marie parvint à l’endroit où se trouvait Jésus, dès qu’elle le vit, elle tomba à ses pieds et lui dit : – Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort.

Lorsqu’il les vit se lamenter, elle et les Juifs qui l’accompagnaient, Jésus frémit intérieurement et il se troubla.

Alors Jésus pleura.

A nouveau, Jésus frémit intérieurement et il s’en fut au tombeau ;

c’était une grotte dont une pierre recouvrait l’entrée.

Jésus dit alors : – Enlevez cette pierre. Marthe, la sœur du défunt, lui dit :

– Seigneur, il doit déjà sentir… Il y a en effet quatre jours…

Mais Jésus lui répondit :

– Ne t’ai-je pas dit que, si tu crois, tu verras la gloire de Dieu ?

Vous avez entendu ?

Ce texte, cet antique manuscrit que j’ai en ma possession, qui nous apporte des révélations extraordinaires sur Marthe et sur Marie. Il se trouve que vous le connaissez aussi bien que moi. Puisque c’est, tout simplement : l’Evangile de Jean !

Et alors que Luc ne consacre que 5 versets à Marthe et à Marie.

Jean, lui, nous parle d’elles et de leur frère Lazare pendant 68 versets et pas moins d’un chapitre et demi ! Excusez du peu : ça fait seulement 13 fois plus !

Et vous voyez à quel point ça peut éclairer d’un jour nouveau notre point de vue sur ces deux sœurs.

Nous les rencontrons, dans la profondeur et la vérité de leur être.

Marthe et Marie ! Généreuses, accueillantes, passionnées, tellement attachantes avec leurs contradictions :

Comme Marthe : capable d’une des plus belles confession de foi de l’Evangile : – « Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde ». Mais qui, l’instant d’après, s’emporte ou est saisie par le doute.

Marie et Marthe : éplorées, crucifiées par le deuil, courant, éperdues, au devant du Christ et lui reprochant : – « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort ».

Puis goûtant la résurrection, la Vie, « témoins de la gloire de Dieu ».

Quelle joie de redécouvrir avec vous cette Bonne Nouvelle adressée aux femmes, adressée à nous par des femmes.

Et de se rendre compte que, loin de faire des différences entre Marthe et Marie, Jésus les aime toutes les deux. Amen»

16e dimanche du temps ordinaire

Lectures bibliques : Genèse 18, 1-10a; Colossiens 1, 24-28; Luc 10, 38-42

21 juillet 2013 | 13:56
par Barbara Fleischmann
Temps de lecture : env. 6  min.
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