Homélie du 02 juin 2013
Prédicateur : Frère Luc Devillers, OP
Date : 02 juin 2013
Lieu : Monastère de la Visitation, Fribourg
Type : radio
Frères et sœurs, nous voici chez les Sœurs de la Visitation. Dans les Règles et Constitutions qu’il a rédigées pour elles en 1613, le futur saint François de Sales a écrit : « Cette Congrégation […] a convenablement choysi pour Patronne Nostre Dame de la Visitation, puisque en ce mistere la tres glorieuse Vierge fit cet acte solemnel de sa charité envers le prochain que d’aller visiter et servir sainte Élizabeth au travail de sa grossesse, et composa néanmoins le cantique du Magnificat, le plus doux, le plus relevé, plus spirituel et plus contemplatif qui soit escrit . » Par ces mots, saint François a résumé les deux parties de l’évangile de ce jour : la visite que fit Marie à sa vieille cousine et son chant du Magnificat.
Avec justesse, il y voit un merveilleux raccourci de la vie chrétienne, toute imprégnée de charité active et débordante d’action de grâces. Action et contemplation vont de pair, à condition de ne pas les résumer à la caricature que l’on en fait parfois : l’action devenant alors pur activisme, fuite dans l’agir horizontal, et la contemplation étant synonyme de fuite verticale, par laquelle on croit atteindre Dieu en se coupant du monde et des autres.
À l’image de Marie visitant Élisabeth, nous sommes appelés à aimer en vérité le prochain. C’est la seule manière qui nous soit offerte pour dire notre amour de Dieu. Car, comme le dit la Première lettre de Jean : Celui qui n’aime pas son frère qu’il voit ne saurait aimer Dieu qu’il ne voit pas (1 Jn 4,20). La charité agissante et inventive nous fait aimer l’autre, quel qu’il soit, au nom de Dieu. Cela commence dans le cercle de famille et englobe tous les âges, comme dans la scène de la Visitation : Marie se rend avec hâte chez sa vieille cousine à un moment où celle-ci a particulièrement besoin d’aide, et du sein de sa mère le petit Jean-Baptiste accueille avec joie l’enfant Jésus porté par Marie. Mais l’autre qui attend notre visite, c’est aussi tout être humain, spécialement l’exclu en qui le Christ se reconnaît : J’étais malade ou en prison, et vous êtes venus me visiter… C’est encore celui en qui nous voudrions voir un ennemi, mais que le Christ nous demande de regarder autrement : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent. Et saint Paul ce matin renchérit : Bénissez ceux qui vous persécutent, souhaitez-leur du bien et non du mal. Les mots « amour » et « charité », trop souvent galvaudés, usés et trahis, expriment le mystère même de Dieu : Dieu est amour, dit encore la Première lettre de Jean (1 Jn 4,8.16). Comme le Christ nous a aimés jusqu’à donner sa vie pour nous, notre amour de l’autre nous engage jusqu’au bout.
Quant à notre contemplation, elle s’enracine dans l’action de grâces. Tel est bien le Magnificat de Marie. Ce chant jaillit de l’Ancien Testament et du judaïsme de son temps. Marie y parle en son nom personnel, mais aussi au nom de son peuple, dont elle reprend les mots pour tisser vers après vers son propre cantique. Elle y dit son expérience de l’amour de Dieu : il vient sauver son peuple, il aime les petits et les pauvres, il comble de biens les affamés mais renvoie les riches les mains vides. Il y a quelque chose de révolutionnaire dans ce cantique, et certains militants ou dirigeants politiques ne s’y sont pas trompés. Le théoricien de l’Action française ne pouvait que le détester. Quant à l’ancien dictateur d’Argentine qui vient de mourir, il n’avait pas pu en interdire l’usage liturgique, mais il en avait censuré le verset qui dit : « Il a renversé les puissants de leurs trônes, il a élevé les humbles. » Le cantique de Marie apparaît comme la mise en œuvre poétique d’une vraie théologie de la libération.
Si Marie exprime sa louange, c’est parce qu’elle a déjà goûté à la visite de Dieu : Le Seigneur s’est penché sur son humble servante, le Seigneur a fait pour moi des merveilles : saint est son Nom ! Elle nous invite à reconnaître les merveilles que Dieu a déjà faites dans notre vie, et à le louer d’avance pour celles qu’il veut encore y faire. Non seulement ce cantique, mais toute la scène de la Visitation déborde de joie, comme les lectures de cette messe l’ont souligné. Chez le prophète Sophonie, les verbes de joie se succèdent et se renforcent l’un l’autre : Pousse des cris de joie, fille de Sion ! Éclate en ovations, Israël ! Réjouis-toi, tressaille d’allégresse, fille de Jérusalem ! Saint Paul aussi nous exhorte à la joie, tout en précisant que cette joie ne doit pas se faire indiscrète face à une personne accablée de tristesse : Soyez joyeux avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent. À l’image de Marie, à l’invitation de Sophonie et de Paul, soyons donc des êtres de joie et de compassion, heureux de nous savoir aimés de Dieu et sauvés, promis par lui à la vie, appelés aussi à annoncer son salut. Car la vraie raison de cette joie, c’est le salut que Dieu offre à tous. Aujourd’hui, il est discrètement présent dans l’enfant Jésus encore caché dans le sein sa mère, mais déjà repéré par Jean-Baptiste.
Bien des gens ne voient dans le message chrétien qu’une menace de jugement, suscitant la peur. Il est temps de leur dire que le salut de Dieu est source de joie, et non de peur. C’est notre devoir, à chacune et chacun de nous aujourd’hui, de tout faire pour que ce monde, qui est sorti des mains de Dieu et aimé de lui, accueille le trésor de la Bonne Nouvelle. Comme Marie, hâtons-nous de lui porter la joie ! Non pas la joie factice, toute de façade, des placards publicitaires ou des magazines de sectes. Mais la joie mûre qui vient de Dieu, et permet même de traverser les plus dures épreuves. Cette joie que Jésus offre à ses disciples : Je vous dis cela pour que ma joie soit en vous, et que votre joie soit complète… je vous verrai de nouveau et votre cœur sera dans la joie, et votre joie, rien ni personne ne pourra vous l’enlever (Jn 15,11 ; 16,22). C’est cette joie que le pape François nous invite à vivre, à goûter pour mieux la donner.
Mais le prophète Sophonie a encore évoqué une autre joie, beaucoup plus étonnante : Le Seigneur ton Dieu… aura en toi sa joie et son allégresse… il dansera pour toi avec des cris de joie, comme aux jours de fête ! Comment aurions-nous pu imaginer que Dieu lui-même sauterait de joie ? Et pourtant, Sophonie nous le déclare : notre Dieu est un Dieu qui danse de joie ! Or, ce qui fait sa joie, c’est son propre peuple, c’est nous ! Ne refusons pas, frères et sœurs, de faire la joie de notre Dieu. Accueillons comme Marie les merveilles qu’il fait dans notre vie. Disons au monde qu’il est aimé et appelé à la vie. Ainsi, tous ensemble, nous pourrons nous préparer à entrer dans la joie du Seigneur. Et, dans son Royaume, nous danserons de joie avec lui, chacun de nous faisant la joie de l’autre. Amen.»
Lectures bibliques : Sophonie 3, 14-18a; Romains 12, 9-16b; Luc 1, 39-56
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