Le Caire:interview exclusive du Pape Shenouda III (190288)
«Pas de pèlerinage en Terre Sainte avant le retour des Palestiniens»
Le Caire, 19février(APIC) «En se rendant en Terre Sainte sans tenir compte du problème politique, à savoir le droit des Palestiniens à habiter dans
leurs terres et leur pays, on minimise l’importance de ce problème» , c’est
ainsi que s’est exprimé le Pape Shenouda III, chef spirituel de l’Eglise
copte orthodoxe, sur la position de l’Eglise copte d’Egypte face à Israël.
Dans une interview accordée à l’agence APIC, le Pape Shenouda III a parlé
en tant qu’autorité morale et spirituelle pour les chrétiens du ProcheOrient.
L’Egypte, le seul pays arabe à entretenir des relations diplomatiques
avec Israël, compte la communauté chrétienne la plus importante au ProcheOrient. Elle est divisée en trois groupes principaux : orthodoxe, catholique et protestant. Mais la grande majorité des chrétiens d’Egypte (90 0/0
au moins) fait partie de l’Eglise copte orthodoxe fondée par Saint Marc
lui-même en l’an 61 après J.-C. Cette Eglise a pour chef spirituel le Pape
Shenouda III, le 117ème successeur de Saint Marc. Il réside actuellement au
Caire. Ce pape, connu pour sa forte personnalité, est considéré par sa communauté comme une grâce de Dieu dans une période ou la montée de l’intégrisme musulman se fait de plus en plus sentir. Exilé par Sadate en septembre 1981 au Monastère de Wadi Natroun, il fut réhabilité et fut autorisé
à revenir à son siège par Moubarak en janvier 1985.
Le Pape Shenouda III étend sa juridiction ecclésiastique sur les membres
de son Eglise qui vivent en Egypte, en Ethiopie, au Soudan et dans d’autres
pays d’Afrique et du Proche-Orient, ainsi que sur une large diaspora copte
vivant en Europe, en Amérique et en Australie. Mais comme Patriarche d’une
Eglise-mère du premier siècle, son autorité morale et spirituelle est ressentie par tous les chrétiens du Moyen-Orient dans une période ou l’oecuménisme est à l’ordre du jour en Orient comme en Occident.
Il était important de connaître la position du Pape Shenouda III face à
la politique d’Israël. L’argument de certains milieux sionistes ou sympathisants de cette cause est simple : Dieu a promis la Terre de la Palestine au Peuple élu, le Peuple juif. En conséquence, tous les juifs, d’ou
qu’ils viennent, de Moscou, de New York ou d’ailleurs, ont le droit de revenir en Palestine, malgré la présence depuis des siècles d’habitants autochtones : les Palestiniens chrétiens, juifs ou musulmans.
APIC: La presse égyptienne rapporte que vous interdisez à votre communauté
chrétienne de faire le pèlerinage en Terre Sainte. Comment expliquez-vous
cette position d’un chef religieux chrétien d’un pays qui entretient des
relations diplomatiques avec Israël ?
Le Pape Shenouda: La position de notre Eglise est connue en matière de
pèlerinage, et nous l’avons exprimée à plusieurs reprises. Notre Eglise
s’oppose au pèlerinage en Terre Sainte tant que les habitants autochtones
de la Palestine, nos frères Palestiniens qui vivent dans l’exil, ainsi que
nos frères arabes des autres pays arabes, ne sont pas autorisés par Israël
à venir en Palestine. Le pèlerinage en Terre Sainte pourrait paraître comme
une question religieuse. Mais en fait, le pèlerinage est lié à un problème
bien plus complexe, un problème politique. En se rendant en Terre Sainte
sans tenir compte du problème politique, à savoir le droit des Palestiniens
à habiter dans leurs terres et leur pays, on minimise l’importance de ce
problème politique. Pour nous, les deux questions, religieuse et politique,
sont liées. l’Eglise ne veut pas être un facteur de désunion, mais d’union.
Elle veut que la position des Arabes soit une et ferme. Tant que les Palestiniens ne sont pas autorisés par Israël à revenir dans leurs terres et
leur pays pour y demeurer, nous interdisons aux chrétiens d’aller en Palestine faire le pèlerinage en Terre Sainte bien que nous ayons le très vif
désir de visiter les Lieux Saints pour y prier. Cette position est claire
et nette.
Est-ce que cette interdiction est aussi la position des autres Eglises en
Egypte, à savoir l’Eglise protestante ou l’Eglise catholique d’Egypte, et
dans quelle mesure cette interdiction est respectée par votre propre communauté ?
Il va de soi que je ne peux parler que de ce qui concerne ma propre communauté et sur laquelle j’ai l’autorité hiérarchique ecclésiastique, à savoir
l’Eglise copte orthodoxe. Mais nous disons que tous les chrétiens d’Egypte
et d’ailleurs doivent s’abstenir de se rendre en Terre Sainte tant que le
problème palestinien n’est pas résolu. A notre connaissance, tous les
chrétiens d’Egypte, catholiques, protestants et orthodoxes, respectent
notre interdiction. Nous adressons une réprimande et une désapprobation aux
contrevenants. Mais à notre connaissance, il n’y a point d’infraction à
cette interdiction.
Des groupes d’amitié judéo-chrétienne en Occident avancent que le Peuple
juif est un Peuple élu auquel Dieu a promis la Terre de Palestine. A ce
titre, les Juifs du monde entier auraient le droit de revenir en Palestine,
fut-ce au détriment des droits des Palestiniens chrétiens ou musulmans qui
vivent en Palestine depuis des siècles. Que répondez-vous à ces objections?
Les concepts de Peuple élu et de la Terre promise sont des concepts qui
sont limités dans le temps. Ils appartiennent seulement à l’époque avant la
venue du Christ. La raison d’être de ces concepts était que le Peuple juif
avant la venue du Christ était le seul peuple au monde qui adorait le Dieu
unique, alors que tous les autres peuples qui l’entouraient étaient des
peuples polythéistes. Afin de sauvegarder la foi du Peuple juif et empêcher
que ce peuple ne se mèle aux peuples polythéistes qui l’entouraient, Dieu a
établi une sorte de quarantaine, un isoloir territorial qui était la Palestine dans l’attente de la venue du Christ. Lorsque le Christ est venu, il a
donné l’ordre à ses disciples: «Allez dans le monde entier, proclamez
l’Evangile à toute la création» (Mc 16,15 et Mt 28,19). Depuis ce momentlà, les concepts du Peuple élu limité au peuple juif et de la Terre promise
limitée à la Palestine n’ont plus leur raison d’être. Désormais, après la
venue du Christ, tous les croyants du monde entier sont devenus le Peuple
élu. Il est d’ailleurs irrationnel de dire que Dieu laisse des centaines de
millions de gens qui croient en lui pour n’élire qu’une petite minorité de
quelques millions de juifs qui d’ailleurs ne croient pas en Jésus-Christ.
C’est ce que j’avais expliqué au président américain, Jimmy Carter. Je lui
ai dit: «Si le peuple juif était le seul peuple élu, alors ni moi, ni toi
ne serions élus».
Mais que dites-vous de la Terre promise ?
Comme je vous l’ai dit, la Terre promise était un isoloir, une quarantaine
pour empêcher les juifs, le seul peuple avant Jésus-Christ adorant le Dieu
unique, de se mêler aux autres peuples polythéistes qui l’entouraient.
L’Ancien Testament est plein d’exemples qui démontrent que lorsque le
Peuple juif se mêlait à d’autres, il adorait les divinités de ces peuples.
Dieu le leur a souvent reproché. Dans Jérémie, il est dit: «Ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive, pour se creuser des citernes lézardées qui
ne tiennent pas l’eau» (Jr 2,13).
Les groupes d’amitié judéo-chrétienne disent que le retour des juifs actuellement en Palestine est une réalisation des prophéties de l’Ancien
Testament qui prévoyaient le retour des Juifs. Qu’en dites-vous ?
Toutes les prophéties qui concernent le retour des juifs en Palestine visaient leur retour de l’exil à Babylone, avant Jésus-Christ. Ces prophéties
se sont réalisées au sixième siècle avant J.-C. et n’ont aucune portée actuelle. Les Livres d’Esdras et de Néhémie relatent d’ailleurs ce retour effectué dans le passé. Ces prophéties de retour n’ont aucune portée après la
venue du Christ. Si vous apportez ces prophéties, nous vous démontrerons
verset par verset qu’elles ne concernent nullement notre époque. Dieu a
promis au Peuple juif de le ramener de Babylone après son exil, et ceci
s’est réalisé dans le passé et c’est fini. Ce retour là, dans le passé,
était d’ailleurs conditionnel. Dieu dit aux juifs qu’il les ferait revenir
de Babylone s’ils respectaient les commandements de Dieu, faute de quoi
Dieu les disperserait à nouveau. Et cette dispersion a eu effectivement
lieu après la destruction du Temple en l’an 70 après J.-C. par l’empereur
romain Titus comme l’avait prophétisé le Christ (Mt 24,2).
D’autre part à supposer que le retour des juifs concernerait notre
temps, est-ce que cela signifie que les sacrifices d’animaux devront avoir
lieu et que le sacerdoce juif serait de nouveau rétabli, avec ce que cela
comporte d’apostasie pour les chrétiens? Et s’ils veulent faire des sacrifices, ou les feront-ils? Ils ne connaissent pas le lieu du Temple avec
exactitude. S’ils disent que leur Temple serait sur l’emplacement de la
Mosquée El Aqsa, cela signifie qu’il faudrait détruire la Mosquée. Ce qui
implique nécessairement une catastrophe politique et une confrontation sans
pareil avec les musulmans de par le monde. Quant au sacerdoce juif, il a
été interrompu, et le feu sacré a été éteint, à tout jamais, depuis la
destruction du Temple. Nous souhaitons d’ailleurs que vous nous adressiez
les écrits de ces groupes d’amitié judéo-chrétienne et nous répondrons à
chaque argument qu’ils avancent.
Et je voudrais ici revenir sur le concept du Peuple juif élu: le Peuple
élu aujourd’hui est tout peuple qui croit en Dieu. Est-ce que Dieu rejette
des milliers de millions de croyants qui croient en lui pour ne se cantonner qu’à quelques millions de juifs? Saint Paul dit dans sa lettre aux Romains que toute personne qui croit dans la foi d’Abraham est fils d’Abraham, et nous sommes tous fils d’Abraham spirituellement et par la foi (Rm
4, 16-17). Le Christ dit des juifs: «Si vous êtes enfants d’Abraham, faites
les oeuvres d’Abraham» (Jn 8,39). La suite de ce passage, très dur à
l’égard des juifs, ajoute: «Vous êtes du diable, votre père, et ce sont les
désirs de votre père que vous voulez accomplir» (Jn 8,44). La question de
l’élection du peuple juif est entièrement liquidée avec la venue du christianisme. Sinon que ferions-nous avec le verset de l’Evangile: «Allez dans
le monde entier, proclamez l’Evangile à toute la création» (Mc 16,15)? Et
encore un autre point: Est-ce que les juifs d’aujourd’hui sont les juifs
authentiques du passé? Est-ce qu’ils présentent les sacrifices qui sont
exigés d’eux? Ont-ils un sacerdoce? Ils n’ont rien du judaïsme ancien.
(apic/sald/bd)
Ces propos ont été recueillis par le Dr. Sami Alddeb, chrétien de Palestine, juriste, qui a écrit une thèse sur les chrétiens en pays d’Islam.