La Belgique confrontée à une vague d’immigration (010392)
«L’immigration et l’islam nous offrent une nouvelle chance»
Conférence du chanoine Van Schoubroeck
Bruxelles, 1er mars(APIC) La présence à Bruxelles de nombreuses personnes
immigrées, et spécialement de musulmans, place l’Eglise devant de nouveaux
défis, mais offre aussi aux chrétiens – aux Belges et aux autres – une nouvelle chance, a déclaré le chanoine Raymond Van Schoubroeck, vicaire épiscopale chargé des communautés non-belges, lors d’une conférence organisée
le 27 février au Centre chrétien «El Kalima».
Les chrétiens de la capitale belge, comme bien d’autres Bruxellois du
reste, sont de plus en plus frappés par la diversité voire l’»étrangeté»
des personnes qu’ils côtoient. Souvent, l’»insécurité» ressentie devant
cette diversité provoque la méfiance. Et pourtant, observe le vicaire épiscopale, après quelques années, une évidence s’impose: les personnes que les
Belges continuent à considérer comme des «étrangers» ne partiront plus:
mieux veut donc apprendre à gérer seinement la cohabitation des uns et des
autres. C’est même davantage que de cohabitation qu’il s’agit, car il y a
rencontre et interpénétration des réalités, comme l’indiquent ces nouveaux
mots-programmes: «Interracial», «»interreculturel», «interreligieux».
Selon R. Van Schoubroeck, l’évolution de l’immigration est liée à quatre
caractéristiques de la société actuelle. La mobilité: 20% de la population
de la capitale belge change chaque année, sans parler des voyages d’affaires, des déplacements de fonctionnaires européens ou des mouvements de réfugiés. Les dominations sociales et économiques de rapports de force entre
pays, entre continents, entre sociétés. La mobilité et les brassages de population favorisent aussi le pluralisme. Le métissage culturel, s’il ne
s’accompagne pas d’approfondissement et de redécouverte des traits originaux de chaque culture, peut néanmoins conduire à «un nivellement culturel». La présence d’une population immigrée d’origine musulmane vient donc
aussi interroger les chrétiens sur leur propre christianisme.
Evangéliser une nouvelle Europe
A l’heure où beaucoup de responsables d’Eglise appellent de leurs voeux
une «nouvelle évangélisation de l’Europe», le vicaire épiscopal préfère
parler d’une «évangélisation de la nouvelle Europe». Les chrétiens, précise-t-il, ne doivent pas cultiver leur identité dans un repli sur eux-même,
mais dans l’ouverture à d’autres croyants, et notamment aux musulmans qui,
fils d’Abraham comme eux, confessent le Dieu unique. Puisqu’une «nouvelle
Europe» se crée sous leurs yeux, c’est ensemble qu’il faut dès à présent
collaborer.
L’orateur belge attend des communautés chrétiennes qu’elles jouent un
rôle prophétique dans la promotion du métissage, en renonçant à des attitudes paternalistes pour faire place concrètement aux étrangers, se mettre à
l’écoute de leur culture… Si les chrétiens veulent bâtir de nouveaux
ponts entre l’Evangile et les cultures d’aujourd’hui, il leur faudra créer
des «communautés» marquées par l’option découverte à l’égard des personnes
d’origine «étrangère». De cette convivialité, le chanoine n’attend pas seulement de nouveaux métissages, mais également un renouvellement de la vision chrétienne de l’Autre.
Jeunes, femmes et pauvres
Dans la pratique, trois catégories de personnes interpellent spécialement l’Eglise sur ses capacités d’ouverture à autrui: les jeunes, les femmes et les pauvres. Les jeunes, même s’ils font de temps en temps peur aux
adultes, sont les plus vulnérables. C’est particulièrement vrai pour les
jeunes de familles immigrés, qui n’ont pas de racines dans leur pays d’accueil, où d’ailleurs «leurs morts ne reposent pas». Enfants du voyage, ces
jeunes n’ont pas de grands-parents sur place, pas d’histoire commune avec
les autres habitants. De plus, ils subissent de nombreux rejets, sur les
plans économiques, culturels, religieux. Les jeunes sont aussi mal outillés
pour passer, y compris sur le plan religieux, d’un engagement soutenu par
de fortes traditions familiales et sociales à un engagement davantage soumis à la fragilité de la décision individuelle. Ils ont également besoin
d’un «nouveau langage symbolique pour découvrir et nommer la présence de
Dieu dans l’histoire».
Les femmes interpellent également l’Eglise. Leur rôle et leur statut,
dans l’Eglise et dans la société, posent des questions centrales en cette
fin de siècle, note le chanoine Van Schoubroeck, qui se déclare confiant
dans les capacités de l’Occident à contribuer encore à la libération des
femmes, bien que le spectacle de la femme-objet et l’étendue de la prostitution aient de quoi freiner un trop grand optimisme à cet égard. En tout
cas, l’égalité des droits devrait être pour les chrétiens, insiste-t-il,
une option préférentielle.
Enfin, Bruxelles, comme d’autres capitales et trop d’autres villes, offre aujourd’hui un vaste et triste panorama de la pauvreté. le chanoine invite sur ce point les chrétiens à rester critiques par rapport à leurs conceptions de la pauvreté, parfois bizarrement «idéalisée», parfois aussi réduite à des clichés sur le quart monde, mais aussi oublieux des réalités
dramatiques que peuvent vivre les immigrés ou les réfugiés».
Dialogue interreligieux
Sur le plan proprement religieux, l’islam, qui prône la soumission au
Tout-Autre transcendant, invite aussi les chrétiens à réfléchir à l’»Amour
toujours transcendant» dont parle leur propre religion, remarque le conférencier. Parallèlement, le sens de la Révélation de Dieu mériterait d’être
réexaminé: la Révélation doit-elle être comprise, à la manière de l’islam,
comme une intervention directe de Dieu dans l’histoire, ou à la manière du
christianisme, comme une Parole inspirée par l’Esprit et communiquée et interprétée par la médiation de la communauté des croyants?
L’Eglise affirme que le salut des hommes passe, en définitive, par une
voie unique: Jésus-Christ. Mais comment comprendre le caractère unique de
Jésus? A la faveur de la rencontre avec l’islam, ne peut-on considérer la
fécondité spécifique d’autres voies? Comment présenter le christianisme?
Les musulmans peuvent d’ailleurs beaucoup, suggère le chanoine Schoubroeck,
pour inciter les chrétiens à progresser dans l’expression et la communication de leur foi, comme dans la solidarité et la vie communautaire.
Mais au-delà de l’islam, c’est le problème du dialogue avec bien d’autres conceptions religieuses et philosophiques qui est posé. L’orateur souligne non seulement l’importance de ce dialogue pour la vérité des rencontres, mais aussi sa nécessité pour la foi: Dieu ne va-t-il pas se révéler
lui-même aux hommes dans ce dialogue. Et ce dialogue n’aidera-t-il pas les
hommes à ne plus se considérer comme le point de référence de toutes choses, tout en permettant de construire une «éthique planétaire». Les religions portent ici une responsabilité particulière, note le vicaire épiscopal: aider les hommes à porter leur avenir en commun. (apic/cip/pr)