Jérôme Jean Hauswirth

Le scribe, la veuve et les deux piécettes

Nous sommes dans les derniers jours de la vie publique de Jésus. Il est à Jérusalem, dans le temple. Les controverses se multiplient autour de lui. Après avoir dénoncé l’enseignement des scribes et des pharisiens, Jésus dénonce leur conduite, pour prévenir la foule contre la trompeuse apparence de ces beaux messieurs. Car, de fait, la science des scribes ne leur donne pas la vertu; heureusement, il ne suffit pas d’être instruit pour être sage.

Pour mémoire, un scribe, à l’époque de Jésus, recevait une savante formation d’érudit lui permettant de devenir un personnage public important vers 40 ans. Homme expert en questions juridiques, conseiller officiel, le scribe était puissant et redoutable. Cela peut nous étonner, mais dans l’évangile de ce jour, Jésus condamne leur habitude vestimentaire. Ils portaient un long manteau avec des franges sophistiquées, alambiquées cousues aux quatre coins du vêtement, afin de se souvenir du commandement divin (Nb 15, 38-39). Ces houppes étaient volontairement allongées pour se donner un genre, être visibles et reconnues de loin, et aussi par bigoterie. C’était de la vanité vestimentaire, par désir d’être honoré et par besoin de dominer en se faisant voir.

«Méfiez-vous des scribes qui tiennent à sortir en robes solennelles».

Le scribe n’avait pas compris que l’honneur qui lui était rendu sur les places ou dans les synagogues l’était en vertu de sa fonction, et non de sa personne. En clair, on rendait hommage à la Loi, mais pas au tartempion occupant la fonction. Confondre fonction et magistrat revient à confondre l’âne et les reliques qu’il porte. Je ne résiste pas à vous rappeler l’enseignement de la Fable:

Un baudet chargé de reliques
S’imagina qu’on l’adorait :
Dans ce penser il se carrait,
Recevant comme siens l’encens et les cantiques.
Quelqu’un vit l’erreur, et lui dit :
«Maître baudet, ôtez-vous de l’esprit
Une vanité si folle.
Ce n’est pas vous, c’est l’idole,
A qui cet honneur se rend,
Et que la gloire en est due.»
D’un magistrat ignorant
C’est la robe qu’on salue.

Fait encore plus grave, le scribe se servait de son autorité morale pour voler et extorquer des fonds aux personnes dont il avait la charge. C’est donc d’un scribe escroc et hypocrite dont il s’agit ici. Sa faute est la plus grave qui soit, car il n’est pire crime que d’exploiter le pauvre sans défense. C’est pourquoi il est dit dans l’Ecriture que Dieu lui-même sera son protecteur et son vengeur: «Vous ne maltraiterez aucune veuve ni aucun orphelin; si tu le maltraites et s’il crie vers moi, j’entendrai son cri, ma colère s’enflammera, je vous tuerai par l’épée, vos femmes seront veuves et vos fils orphelins» (Ex 22, 21-22).

Mais soyons justes, plus que contre les scribes, Jésus veut nous mettre en garde contre les fausses valeurs, comme le paraître, le goût des honneurs et la névrose de puissance. Contre la puissance, Jésus propose le service. Un pouvoir «pour» les autres, et non pas «sur» les autres.

Et voici maintenant la scène mémorable! Assis en face de la salle du trésor du Temple, Jésus regarde les personnes qui déposent leur aumône. Il remarque une pauvre veuve passant devant le tronc et y mettant tout ce qu’elle possède: deux piécettes, i.e. trois fois rien. Il se tourne alors vers les disciples et dit «Amen, je vous le dis: cette pauvre veuve a mis dans le tronc plus que tout le monde. Car tous, ils ont pris sur leur superflu, mais elle, elle a pris sur son indigence: elle a tout donné, tout ce qu’elle avait pour vivre».

Jésus oppose ici deux types de comportements religieux. Celui des scribes prétentieux à celui, humble, de la pauvre veuve. Vous savez que la veuve c’est dans l’Antiquité l’image même de la faiblesse et de la dépendance. Cette femme veuve est donc la pauvreté même. Et voici cette dame-pauvreté qui fait un don dérisoire aux yeux des hommes, deux piécettes. Pourtant, en offrant ces deux piécettes, elle a tout donné car elle a donné de son indigence. Quelques précisions de vocabulaire. L’indigence est l’état de celui qui n’a pas ce qu’il faut pour vivre. Le nécessaire est ce dont on ne peut pas se passer pour vivre. A contrario, le superflu recouvre tout ce qui n’est pas nécessaire. Voici donc que la grandeur du geste de cette femme se trouve dans le dépouille de ce dont elle a besoin! Jésus consacre cette attitude. Il la montre en exemple à ses disciples. Car ce qui a de la valeur aux yeux de Dieu n’est pas ce que les hommes voient. Les hommes voient l’apparence, Dieu voit plus en profondeur, il voit le cœur (1 Sa 16, 7).

En définitive, le salut n’est pas une affaire de simagrée. Il exige de conformer ses actes à ses convictions. Et voilà bien la difficulté! Le salut, fondamentalement, est de placer sa confiance hors de soi, en Dieu, et de conformer son agir à Sa volonté. C’est accepter, dans un acte de foi total, de se dépouiller du nécessaire même. Afin d’être nu, vide, pure capacité pour que Dieu puisse nous remplir de sa grâce et de son amour.

Seigneur, comme cette veuve qui n’a rien et qui donne de son nécessaire, apprends-nous à être généreux de toute notre surabondance et même de notre indigence.

Puissions-nous imiter celle qui «a donné de ce qu’elle avait, afin de posséder ce qu’elle ne voyait pas».

Seigneur, dans le fond, donner son nécessaire, c’est donner sa vie.
C’est s’en remettre à toi pour ne pas mourir.
Que nos vies soient toujours plus une offrande de nous-mêmes.
Alors nous serons à ton image et à ta ressemblance, toi qui as tout donné pour nous enrichir de ta pauvreté.

Amen.

Père Jérôme Jean

8 novembre 2012 | 13:21
par Jérôme Jean Hauswirth
Temps de lecture : env. 4  min.
Partagez!