Candidature proposée pour le prix Nobel de la paix.
Rigoberta Menchù symbole de l’indianité en Amérique latine. (210792)
Guatemala, 21 juillet (APIC) De tous les pays d’Amérique latine victimes de
la violence politique, le Guatemala est certainement celui qui a payé le
tribut le plus lourd au niveau de ses populations indiennes. Rigoberta Menchù est aujourd’hui la femme indiennne guatémaltèque la plus connue dans le
monde. Fondatrice et membre de la direction du Comité d’unité paysanne,
membre également de la Représentation unitaire de l’oppositlion guatémaltèque, Rigoberta Menchù est devenue le symbole de l’indianité en Amérique latine. C’est à ce titre que l’Argentin Adolfo Pèrez Esquivel, prix Nobel de
la paix 1980, a présenté sa candidature au Comité Nobel pour 1992 dans le
cadre du 5e centenaire de la découverte de l’Amérique latine.
L’APIC donne ci-dessous de larges extraits de la lettre de candidature signée par A. Pèrez Esquivel, dans une traduction de l’agence DIAL.
En présentant la candidarure de Rigoberta Menchù au prix Nobel de la
paix, je voudrais rappeler d’abord une des pensées qu’elle a exprimées à
l’occasion des cinq cents ans de la résistance indienne, une période qui
est synonyme de souffrances et de persécutions, mais également placée sous
le signe de l’esprit de résistance et de l’espoir de parvenir à une vie
digne et au respect de l’identité des peuples:
«Le combat que j’ai choisi de mener n’a de limites ni dans le temps ni dans
l’espace. Seuls ceux d’entre nous qui portent la cause dans leur coeur sont
prêts à prendre tous les risques.(…) Nous avons camouflé notre idenditité
pour pouvoir mieux résister. (…) Alors a on dit et répété: pauvres indiens qui ne savent parler! cela a fait que d’autres parlent pour nous.
C’est pourquoi j’ai décidé d’apprendre l’espagnol (…)En ce temps qui est
le nôtre, avec la patience de nos ancêtres, nous gagnerons»
La situation qui est celle du peuple indien, comme de l’ensemble du peuple guatémaltèque, est faite de répression, de persécution, de destruction
des villages et des ethnies de la part des dictatures militaires qui se
sont succédées Cette situation se perpétue malheureusement jusqu’à ce jour
sous des gouvernements dit démocratiques. L’histoire du Guatemala est aussi
l’histoire des peuples indiens de l’ensemble du continent, de l’Amérique du
Nord à l’Amérique du Sud en passant par l’Amérique centrale, une histoire
faite de discrimination raciale et culturelle. C’est le cri de ces peuples
qui retentit par la voix de Rigoberta.
Sa vie est un témoignage, comme survivante du massacre de sa famille et de
sa communauté. Comme voix qui s’élève avec puissance et beauté au rythme
des peuples, de leurs cultures opprimées et de l’affirmation de leur identité culturelle.
Il ne s’agit aucunement de prôner une lutte raciale.
Pour Rigoberta Menchù, il ne s’agit pas de prôner la lutte raciale et
encore moins de refuser de reconnaître le fait irréversible de l’existence
de la population métisse. Ce qu’elle exige, par contre, c’est la reconnaissance de sa culture, de son caractère inaltérable et de la part de pouvoir
qui lui revient de droit.
Les indiens du Guatemala, à l’égal d’autres pays d’Amérique latine, constituent la majorité de la population. On pourrait d’une certaine manière,
toutes proportions gardées, comparer la situation des peuples indiens en
Amérique latine à celle d’Afrique du Sud où une minorité blanche exerce le
pouvoir absolu sur une majorité noire.
De son univers indien et par la force des circonstances, Rigoberta Menchù s’est vue dans l’obligation en tant que victime, et en abandonnant son
travail de catéchiste, d’assumer le destin de son peuple et de devenir la
voix d’un peuple opprimé. Elle a dû apprendre l’espagnol pour pouvoir communiquer, étant donné que sa langue est le quiché. Rigoberta a choisi l’arme
de la parole comme moyen de combat et aussi avec l’aide d’amis, celle de
l’écrit. Elle témoigne de sa vie et de son peuple dans l’ouvrage «Moi, Rigoberta Menchù», par Elisabeth Burgos Debray.
Je me lance dans une tâche de conscientisation
Face au drame de son peuple, Rigoberta se lance dans une tâche de conscientisation. Elle rappelle le jour où son frère, âgé de seize ans, a été
appréhendé par les soldats, torturé puis brûlé vif en compagnie d’autres
membres de la communauté. Quelque temps plus tard son père périt carbonisé
au cours de l’occupation de l’Ambassade d’Espagne. Le 19 avril 1980 la mère
de Rigoberta, une militante de sa communauté est enlévée et assassinée
après avoir été torturée pendant plusieurs jours. Les soldats l’avaient exhibée en public, puis suspendue et laissée, dans l’espoir de voir arriver
Rigoberta pour se saisir d’elle.
Elle rappelle que sa mère lui disait: «ce n’est pas pour t’empêcher
d’être femme, mais tu dois te battre comme le font tes frères».
La douleur et la souffrance ont marqué sa vie,mais elle en a fait une
école de résistance pour se battre avec son peuple, pour se mettre au service des gens dans le besoin. Elle a renoncé aux satisfactions personnelles, tout comme au mariage et à la maternité. Son horizon c’est la femme
guatémaltèque, c’est le machisme, c’est l’oppression dans la société. Elle
s’explique: «Nous avons découvert dans nos discussions sur le problème de
la femme qu’il faut que l’homme aussi soit présent pour donner son avis sur
la question et apporter sa contribution. Pour apprendre à son tour car si
on n’apprend pas on avance pas. Le combat nous a enseigné que beaucoup de
compagnons sont capables de clairvoyance, mais qu’ils n’y arriveront pas
s’ils ne cheminent pas avec leurs compagnes qui sont bien plus en avance. A
quoi ça sert d’éduquer la femme si l’homme n’est pas là, il n’apprend pas
lui-même et ne collabore pas? Monter une organisation de femmes c’est donner une arme supplémentaire au système qui nous opprime. Nous n’en voulons
pas. Nous voulons simplement une participation sur le même pied d’égalité».
«Il faut faire beaucoup de sacrifices. C’est ainsi que, comme paysans,
nous sommes devenus capables de mener nos combats. C’est la conséquence de
notre façon de voir. Bien sûr, pour mener tout ça il faut quelqu’un qui a
de la pratique. Ce n’est pas parce qu’on a plus connu la faim qu’on est davantage capable de réfléchir. On a la conscience des choses que quand on
les a vécues de l’intérieur. Dans notre organisation la majorité des responsables sont indiens; mais il y a aussi des compagnons ladinos. A la direction il y a des femmes. Il faut supprimer les barrières d’ethnies, d’indiens et de ladinos, de langues, d’hommes et de femmes, d’intellectuels et
de pas intellectuels»:
Rigoberta a choisi de se battre aux côtés de son peuple pour obtenir un
changement, elle dit: «le moment viendra où les choses seront différentes,quand nous serons tous, je ne dis pas installés dans une maison,mais au
moins libérés dans nos terres du sang et de la sueur du grand nombre».
Rigoberta Menchù est devenue la représentante des peuples indiens. Elle
exige le droit à la vérité et à l’identité pour les cultures indiennes et
les peuples indiens. Une voix qui dénonce les injustices dont est victime
le peuple Guatémaltèque.
Rigoberta mène une action importante sur le plan national et international en faveur de la liberté et des garanties essentielles à l’édification
d’une vraie démocratie.
Rigoberta est une femme indienne qui sait ce que sont la douleur et la
souffrance mais qui, en dépit de tout cela, explique Adolfo Pérez Esquivel
ne fait preuve d’aucune faiblesse. Elle démontre à la face du monde ce que
sont la dignité d’un peuple et le combat pour la liberté.
Cinq cents ans de cheminement des peuples indiens et d’apports d’autres
réalités et cultures ont marqué la vie des peuples indiens de ce continent.
Rigoberta apporte sa contribution à la recherche de la paix.
C’est pour toutes ces raisons, affirme l’ancien prix Nobel argentin que
je propose au Comité Nobel la candidature de Rigoberta Menchù au prix Nobel
de la paix 1992. (apic/dial/ak)