Le Pérou attend dans l’angoisse la date du 12 octobre
APIC – Dossier
Un évêque dénonce le vrai visage du Sentier Lumineux
Jacques Berset, Agence APIC
Le Pérou attend dans l’angoisse le 12 octobre, date du 500e anniversaire de
la conquête de l’Amérique latine. Cette date symbolique – que les terroristes du «Sentier Lumineux» entendent bien commémorer par le fusil et la dynamite pour s’attirer la sympathie des Indios assujettis depuis la colonisation espagnole – marque également le premier mois de détention d’Abimael
Guzman, «l’invincible Président Gonzalo» tombé entre les mains de la police
le 12 septembre dernier. Un courageux évêque péruvien d’origine française,
Mgr Luciano Metzinger, montre le vrai visage du «Sentier Lumineux»; il dénonce la sympathie que certains intellectuels de gauche occidentaux ont
pour ce mouvement fanatique.
Dans la nuit du samedi 12 septembre, une cinquantaine d’hommes de la
DINCOTE, la Direction contre le terrorisme de la Police nationale du Pérou,
encerclent une maison moderne de deux étages, dans la rue Calle Uno 459 du
quartier La Calera de Surco, à Lima, propriété du jeune musicien Celso Garrido Lecca et de sa soeur Marisa, une belle jeune fille de famille bourgeoise aisée connue dans les milieux de la danse. Les policiers mettent la
main sur le chef du «Sentier Lumineux», Abimael Guzman, la «camarada Miriam», Elvia Nila Iparraguire Revoredo, ainsi que Laura Zambrano, dite la
«camarada Meche», et d’autres membres importants du Comité central du Parti
communiste du Pérou/Sentier Lumineux.
Cette opération depuis longtemps planifiée, clôt un chapitre de la longue et sanglante histoire de ce mouvement de guérilla d’obédience maoïste,
auquel le gouvernement péruvien attribue la mort de 25’000 personnes et des
pertes de plus de 20 milliards de dollars, l’équivalent de la dette extérieure du Pérou. Ce que le gouvernement péruvien omet de mentionner, ce
sont les milliers de paysans massacrés et les milliers de «détenus-disparus» qui sont à mettre au compte des forces de sécurité officielles. Dès le
début, les autorités ont laissé la bride sur le cou à des militaires qui
ignorent le sens même du terme «droits de l’homme» dans leur lutte antisubversive.
Cette arrestation met également fin à un véritable mythe, celui du «Président Gonzalo», cet obscur professeur de l’Université d’Ayacucho devenu
l’ennemi public numéro un, capable, dans la mythologie populaire des endroits les plus reculés des Andes ou de la forêt amazonienne, de se transformer en oiseau ou en serpent pour échapper à la police. Mais elle met
aussi un terme à une autre idée répandue, celle que le «Sentier» est une
guérilla populaire, qui a de fortes racines indiennes.
Le «Sentier Lumineux» n’est pas un mouvement de libération populaire
«On pense en Europe que le ’Sentier Lumineux’ est un mouvement de libération des peuples opprimés, des travailleurs et des ethnies autochtones;
or, c’est absolument faux: ce mouvement, certes, s’appuye sur cette oppression de cinq siècles, mais il poursuit de tout autres buts!» Celui qui parle ainsi est un «théologien de la libération avant l’heure», Mgr Luciano
Metzinger, un évêque de 82 ans d’origine lorraine. Ancien évêque de la prélature territoriale andine d’Ayaviri – qu’il a fondée en 1958 sur un territoire aussi grand que la Belgique et dont les paroisses s’échelonnent de
5000 m d’altitude à la forêt vierge amazonienne – il avait fait «l’option
préférentielle pour les pauvres» bien avant le Concile Vatican II, ou les
assemblées épiscopales latino-américaines de Medellin et Puebla.
«Ce que j’ai vu là-haut, c’était terrible: un monde incroyable de misère, d’oppression, d’exploitation, sous la coupe des ’gamonales’, les grands
propriétaires terriens métis ou blancs… Et le peuple indien, à genoux!»
Très tôt, Mgr Metzinger achète avec l’aide internationale une grande ferme
de 900 hectares, «Waqrani», – qu’une colonne du «Sentier Lumineux» allait
attaquer en 1989 – et met sur pied l’Institut d’Education Rurale ainsi
qu’un Institut pour les femmes et de nombreux autres organisations populaires permettant aux Indiens de «se mettre debout». Le jugement de Mgr Metzinger sur cette guérilla d’obédience maoïste est ainsi d’autant plus convaincant qu’il vient d’un homme engagé aux côtés des pauvres et que l’on ne
peut en aucun cas soupçonner de conservatisme.
Le «Sentier Lumineux» a peur des pauvres
«Le ’Sentier Lumineux’ a peur des pauvres…», note l’évêque. Quand le
professeur Guzman a commencé son mouvement avec des étudiants de l’Université d’Etat de San Cristobal de Huamanga, à Ayacucho, en 1980, il n’y avait
pas d’Indiens dans ses rangs, car il n’y a guère d’Indios à l’Université.
Sa base était formée de gens de la petite bourgeoisie et de métis, souvent
de jeunes intellectuels frustrés, sans avenir, avec un horizon professionnel totalement bouché. «C’est qu’au Pérou, il y a proportionnellement plus
d’universitaires qu’en Europe; c’est une catastrophe, car 10 % peut-être
des diplômés trouvent du travail. Les riches – un tout petit nombre – émigrent à l’étranger et se font de belles places aux Etats-Unis, au Canada ou
en Australie».
«Or, poursuit Mgr Metzinger, ces jeunes sont intelligents et ont reçu
une formation politique très intense; ils ont vu que les gouvernements qui
se sont succédés à la tête du pays – qu’ils soient de droite, de gauche ou
du centre – malgré leurs grandes promesses de transformer le monde, ont
échoué lamentablement. Ils en tirent la conclusion qu’il n’y a plus d’autres solutions que la force: pour construire un pays où l’homme de la rue
soit souverain, il faut passer l’épée!» Pour ses disciples fascinés par
leur «caudillo», Abimael Guzman est considéré comme la «quatrième épée», et
après Marx, Lénine et Mao, comme l’unique marxiste véritable qui va imposer
un nouveau marxisme au Pérou… avant de conquérir le monde entier.
Durant de nombreuses années, c’est uniquement par le journal sendériste
«El Diario», paraissant alors au grand jour à Lima, que l’on recevait des
informations sur ce mouvement clandestin mystérieux. Lorsque le journal a
été fermé à l’occasion d’une descente de police en 1988, le directeur Luis
Arce Borja est parvenu à s’enfuir en Belgique, où il édite depuis à Bruxelles «El Diario International» et coordonne des réseaux de soutien au mouvement sendériste qui recrutent dans ce qui reste de groupuscules maoïstes
d’extrême-gauche de nombreux pays occidentaux – dont la Suisse – et dans la
diaspora péruvienne.
C’est quand les sendéristes ont changé de méthode et sont passés des attaques à la dynamite contre des objectifs «stratégiques» à l’assassinat de
membres des «ayllus», les communautés indiennes, qu’est apparue la vraie
nature du «Sentier Lumineux». Non seulement ils rançonnaient ces communautés indiennes qu’ils prétendaient défendre et les forçaient à fournir vivres et renseignements sur les autorités locales, mais ils se sont mis à recruter les jeunes par la force.
«Ceux qui ne voulaient pas participer, on les tuait sur place, devant
tout le monde, avec leur famille; ceux qui croient que le ’Sentier Lumineux’ est l’unique guérilla indienne d’Amérique latine se trompent absolument: les Indios sont très peu nombreux». Dans des régions du Sud de l’Altiplano, qui ouvrent un passage direct vers la Bolivie, les sendéristes
n’ont pas pu passer, car les Indiens se sont dressés contre eux. Ni la police ni l’armée n’avaient pu contenir leur avance, note Mgr Metzinger, mais
les communautés indiennes ont résisté de façon passive, comme du temps de
Gandhi.
«Le ’Sentier Lumineux’ n’est pas un mouvement populaire, leur unique logique est la conquête du pouvoir; ils ont besoin du peuple et l’utilisent
pour cet unique but», affirme Luciano Metzinger. Quand quelqu’un se dresse
sur leur passage, comme plusieurs leaders de gauche dans les quartiers populaires, comme la militante Maria Elena Moyano, de la Communauté urbaine
autogérée de Villa El Salvador, à Lima, ils n’hésitent pas à assassiner
sans pitié. Ils l’ont abattue devant ses enfants avant de faire sauter son
corps à la dynamite. «Tout ce qui ne vient pas d’eux, qu’ils ne peuvent
contrôler, ils le tuent; ils ne cherchent pas la sympathie du peuple». Les
sendéristes interdisent aux paysans de produire plus que le nécessaire à la
consommation locale, dans le but d’affamer les villes. Les seuls quartiers
de Lima qu’ils contrôlent, «c’est par la peur».
L’espoir pourtant
Aujourd’hui, il y a pourtant des signes d’espoir dans la population péruvienne: la capture d’Abimael Guzman «a été une vraie fête nationale, toutes les rues étaient pavoisées, c’était un mythe qui s’effondrait».
L’espoir de l’évêque vient surtout de l’auto-organisation du peuple, dans
les quartiers pauvres… et d’un fait nouveau: après le carnage de la rue
Tarata – le 16 juillet une voiture piégée dévastait cette rue riche, dans
le quartier huppé de Miraflores -, les pauvres des «barriadas» sont venus
manifester leur solidarité. «Les attentats dans les quartiers pauvres
n’avaient jamais suscité d’intérêt dans les couches aisées, et voilà que
les pauvres, eux, se montrent solidaires! Il y a un espoir de plus de solidarité sociale».
Mais le peuple reste dans l’expectative: le 12 octobre risque d’être
sanglant, si l’on en croit les promesses des terroristes. Et le 23 novembre
prochain, jour d’élections du «congrès constituant démocratique», les sendéristes ont annoncé une grève armée, c’est-à-dire qu’ils tireront sur ceux
qui se rendront aux urnes et sur les bureaux de vote. «D’ici-là, le peuple
péruvien retient sa respiration». (apic/be)
Encadré
Originaire de Forbach, en Moselle, Mgr Luciano Metzinger est né le 27 décembre 1910. Ordonné prêtre en 1933, le Père Metzinger, prêtre du SacréCoeur de Picpus – travaille avant la guerre comme professeur au séminaire
de Poitiers. Officier dans l’armée française, il connaît l’internement dans
les stalags. Après sa libération des camps de prisonniers, il se met au
service de la Résistance. Colonel de l’Armée Secrète, il est arrêté en 1943
par la Gestapo et déporté en camp de concentration. Il devait être guillotiné pour espionnage lorsque ses juges allemands furent mobilisés et envoyés sur le front de l’Est. Ce sont les troupes de Patton qui le délivreront
du camp de concentration de Dachau en 1945, où les prisonniers étaient réduits à l’état de morts-vivants. A sa libération, il deviendra pour un
temps gouverneur civil et militaire de l’île de Reichenau, sur le Lac de
Constance, camp par où transitaient les survivants des camps. C’est en 1958
que Mgr Metzinger est nommé prélat d’Ayaviri, au Pérou, pays dans lequel il
vit depuis 38 ans. (apic/be)
Encadré
Il y a 5 ans, le cardinal archevêque de Lima estimait que pour le «Sentier
Lumineux», «l’Eglise sera pour le dessert». Depuis, les assassinats de prêtres, de religieuses catholiques et de pasteurs évangéliques étrangers et
péruviens n’ont pas cessé. Trois prêtres – deux franciscains polonais et un
prêtre missionnaire italien – ont notamment été tués l’an dernier. Un autre
missionnaire italien, le Père salésien Giuliano Rocca, âgé de 30 ans, a été
tué fin septembre dans le district de Jangas. (apic/be)
Des photos de Mgr Metzinger peuvent être commandées à l’agence APIC
Sida : que fait l’Eglise catholique en Suisse romande (241189)
APIC-Dossier
1er décembre 1989 : Journée mondiale du sida
Fribourg, 24novembre(APIC/Bernadette Dubois) Le 1er décembre a été proclamé Journée mondiale du sida par l’Organisation mondiale de la santé
(OMS). La terribe maladie fait toujours des ravages, en effet, 182’463 cas
de sida ont déjà été recensés dans 152 pays depuis son apparition en 1979
jusqu’au 1er octobre 1989, mais on estime à trois fois plus le nombre de
personne qui ont été ou sont atteintes du virus. En Suisse, pays particulièrement touché par la maladie, 921 cas avaient déjà été enregistrés au 30
juin de cette année. De nombreuses actions sont entreprises pour ces malades. L’Eglise catholique, elle-même, vient d’organiser au Vatican une conférence internationale sur le sida où la nécessité d’une aide, morale et
spirituelle, envers les sidéens a été répétée.
Devant cette avancée de la maladie et pour une meilleure assistance morale des malades, qu’est ce que l’Eglise catholique a entrepris en Suisse
romande pour les sidéens ? A Genève, tout d’abord, l’année dernière, même
si les Eglises n’étaient pas, en tant que telles, au premier plan dans la
lutte contre le sida, un groupe d’ecclésiastiques s’est constitué pour
s’occuper plus spécialement des sidéens. Les membres de cette équipe sont :
deux pasteurs (Bernard Buunk et Dominique Roulin), un prêtre catholique
(Gérard Barone), un curé catholique-chrétien (Franz Murbach) et un rabbin
(François Garai) de la communauté israélite libérale.
Malheureusement, cette année, le groupe s’est partiellement disloqué,
faute de temps. Mais tous travaillent, à titre personnel ou dans le cadre
de la maison de Sid’accueil pour sidéens, auprès des malades du sida. De
plus, certains prendront part à la conférence de presse organisée le 1er
décembre à Genève par le groupe Sid’accueil.
A Neuchâtel, même si aucun aumônier pour les sidéens n’a été nommé pour
le moment, les responsables de l’Eglise catholique ont un très grand souci
de ces malades et participent à de nombreuses activités organisées par des
organismes privés ou publiques en faveur des sidéens.
A Fribourg, en Valais et dans le Jura, personne n’a été chargé de
l’accompagnement de ces malades, ce sont pour le moment les aumôniers des
hôpitaux, ceux des prisons ou bien ceux qui s’occupent plus précisément des
toxicomanes qui assistent les sidéens.
Dans le canton de Vaud, par contre, un prêtre catholique de rite maronite, l’Abbé Maroun Tarabay a été nommé cette été, par Mgr Pierre Mamie, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, pour «un ministère d’accompagnement
des personnes touchées par le sida». Il a reçu une formation spéciale pour
cette tâche qu’il assume soit au CHUV, soit au Centre du Levant, spécialisé
dans la lutte contre la toxicomanie, soit, encore, dans la maison pour malades du sida qui vient d’être ouverte à Lausanne au début de cette semaine.
Pour l’abbé Tarabay, chaque sidéen est différent. La solitude du malade
et l’attitude de l’entourage et de la famille sont diverses, elle dépendent
notamment de l’origine du sida pour le malade. En effet, si le malade est
toxicomane, la rupture avec l’entourage a été antérieure à la maladie et
causée par la consommation de drogues. Par contre, l’homosexuel, est nettement plus entouré, les homosexuels ont d’ailleurs été les premiers à prendre des mesures de prévention contre la propagation de la maladie.
Le vicariat épiscopal vaudois avait déclaré, lors de la nomination de
l’abbé Tarabay, que l’»accompagnement spirituel par des personnes particulièrement compétentes ne dispense pas de nous situer chrétiennement face à
celles et ceux qui sont atteints par le sida, tout particulièrement lorsque
leur durée de vie est comptée. Dans les rapports humains de chaque jour,
qu’il s’agisse de la profession, des loisirs, de l’habitats, regarder le
sidéen comme un être à part entière évitera à notre société de créer un
nouveau ghetto. Le regarder comme une personne ayant aux yeux de Dieu la
pleine dignité d’homme… Cela relève de la foi».
De son côté, l’Institut d’éthique sociale de la Fédération des Eglises
protestantes de Suisse et la Commission nationale suisse Justice et paix de
l’Eglise catholique romaine avaient publié ensemble une brochure en 1988
sur «Sida – Le retour de l’angoisse?1. Elle traite la notion de SIDA comme
«signe des temps» et l’étudie et la critique afin de mettre en évidence les
problèmes de société liés à cette maladie et de proposer des orientations
éthiques pour y faire face. (apic/bd)
La brochure «SIDA – Le retour de l’angoisse» compte 76 pages et peut être
obtenue au prix de 10 francs (+ port) à l’Institut d’éthique sociale de la
FEPS (Terreaux 10, 1003 Lausanne) ou auprès de la Commission Justice et
Paix (CP 1669, 3001 Berne).
Encadré
Le sida dans le Tiers-Monde
La situation des malades du sida est bien plus dramatique dans le
Tiers-Monde qu’en Europe. C’est pourquoi, des oeuvre d’entraide, comme
Caritas, organisent des ateliers de réflexion sur le sida dans les pays du
Tiers-Monde et appuyent des projets et des programme de soutien pour que
des mesures intégrées contre le sida soient établies dans différents pays.
Caritas participe financièrement à des projets au Brésil (7538 cas déclarés
de sida en 1989), au Chili (125 cas), en Ouganda (7375 cas), en se souvenant que les cas déclarés ne sont que la partie immergée de l’iceberg.
Dans les pays du Tiers-Monde, c’est dans les régions les plus pauvres où
les médias étatiques classiques ne pénètrent pratiquement par que la
population reste dans l’ignorance, dans les villes comme dans les campagnes. Pourtant les Eglises locales et les communautés, de même que les organisations villageoises auxquelles les collaborateurs ecclésiaux ont accès, s’offrent à participer à la conscientisation à propos du sida. C’est
pourquoi, les oeuvres d’entraide essayent le plus possible d’informer sur
le sida dans les régions les plus pauvres du globe. (apic/bd)