La peur de l’islam en Europe est souvent liée à l’ignorance
Lausanne: colloque de spécialistes de l’islam (131292)
Lausanne, 13décembre(APIC) La peur de l’islam colportée par l’opinion publique et les médias occidentaux est principalement liée à l’ignorance. «La
majorité des musulmans n’ont aucun intérêt pour les conflits politiques,
mais cherchent tout simplement à vivre leur foi islamique dans la paix», a
déclaré le professeur Jacques Waardenburg, directeur du Département d’histoire et des sciences des religions de l’Université de Lausanne, lors d’un
colloque international sur l’islam en Europe qui a eu lieu du 7 au 9 décembre dans le cadre de l’Université lausannoise. En compagnie d’un confrère
italien, M. Stephano Alevi (Milan), le professeur Waardenburg a présenté
les principales conclusions de cette rencontre au service de presse protestant romand (SPP).
Lors de ce colloque, une dizaine de chercheurs d’Angleterre, de Hollande, de France et d’Italie avaient été invités. Un certain nombre de membres
de la Société suisse de Sciences des religions étaient également présents.
Le vécu des femmes musulmanes
Un des points forts du colloque de Lausanne a été la découverte du vécu
religieux des femmes islamiques. «Pour nous, chercheurs masculins, c’est un
monde auquel nous n’avons pas accès, puisque nous ne pouvons parler aux
femmes musulmanes», explique le professeur Waardenburg. «C’était extraordinaire de pouvoir découvrir des comportement religieux dont nous n’avions
aucune idée». Mmes Y. Weibel (Strasbourg) et Y. Bartelink (Nimègue) ont
présenté les résultats de leur travaux avec des femmes musulmanes immigrées
en Europe. Celles-ci ont effectué une prise de conscience qui les a conduites à une sorte de reconversion à l’islam traditionnel basé sur le Coran et
la Sunna (tradition coranique).
De la tradition à l’intégration
Une distinction a été établie entre trois types de femmes islamiques. Le
type traditionnaliste dont les représentantes suivent à la lettre les enseignements de leur mère et de leur famille; les «scripturalistes» qui savent lire et écrire et plongent les racines de leur pratique directement
dans les texts coraniques; enfin les femmes musulmanes libérales. Ces dernières acceptent les valeurs de la société européenne qui les accueille,
tout en cherchant à combiner ces valeurs avec les prescriptions de la religion musulmane. Les deux dernières catégories rejettent en outre toute forme de superstition, comme par exemple la vénération de la «main de Fatima».
«J’ai toujours eu l’impression que les femmes qui travaillent sont déjà
sur le chemin d’une certaine émancipation», déclare le professeur Waardenburg. «Mais il faut se pencher sur la notion d’émancipation. Car la manière
se s’émanciper n’est pas forcément la même pour une femme musulmane que
pour une femme chrétienne occidentale». Cette réflexion sur une recherche
dont les résultats modifient le regard du chercheur lui-même, a constitué
un élément parmi les plus intéressants du colloque.
Des chrétiens se convertissent à l’islam
En Italie comme en France on trouve un nombre important de chrétiens
convertis à l’islam. Ceux-ci jouent le rôle de «ponts» entre les cultures.
Comme l’a souligné Jacques Waardenburg: «Cela nous donne un nouveau regard
sur l’islam, puisqu’il ne s’agit plus d’une religion liée à une ethnie,
mais d’une religion dynamique».
Les diverses formes que revêt l’islam parmi les peuples immigrés sont à
mettre en relation avec les différents cadres d’accueil. En Suisse notamment, une compréhension gnostique de l’islam a permis d’offir une réponse
spirituelle à la recherche spirituelle des occidentaux. Certains Européens
ont été initiés à des ordres mystiques musulmans. Leur mode de vie correspondait à une dimension personnelle et métaphysique de l’islam. L’attrait
des Européens pour l’islam se situe donc plutôt sur le plan spirituel que
pratique. Et ce sont les convertis qui peuvent jouer le rôle d’intermédiaires en réinterprétant l’islam. On assiste donc à une certaine reformulation
de l’islam par les Européens. Mais la grande majorité des musulmans immigrés est constituée par une population peu instruite. Les nouvelles formes
de l’islam européen dépendent donc beaucoup du niveau d’instruction des musulmans vivant en Europe, ainsi que des influences qui jouent dans leurs
organisations (traditionalisme, libéralisme).
Perceptions diverses du «fantôme islamique»
La manière dont les musulmans sont perçus dépend-elle donc du pays qui
les accueille ? L’affaire Rushdie apparaît à cet égard exemplaire aux yeux
du professeur Waardenburg: «Le jugement porté par Khomeiny en Iran ne pouvait pas coexister avec l’opinion des écrivains britanniques pour lesquels
la liberté d’expression littéraire constituait un droit fondamental. Entre
les immigrés d’une part et la société qui les reçoit d’autre part, on observe un choc culturel».
Pour le spécialiste italien Stephano Alevi, la réponse de la société envers l’immigré musulman est déterminante. Elle dépend de plusieurs facteurs: la confession protestante ou catholique des autochtones, le fait que
le pays d’accueil soit de tradition coloniale ou non, la présence ou non
d’une attitude raciste, l’existence de réseaux associatifs accueillants, la
collaboration des Eglises avec les organismes d’intégration des immigrés.
«En France par exemple, la presse traite essentiellement des aspects politiques de l’islam et particulièrement dans sa dimension fanatique. En Italie on s’intéresse plutôt aux questions de droit familial: «que se passet-il si un musulman se marie avec une catholique?» . Il reste que, indépendamment des personnes humaines, il existe une sorte de ’fantôme islamique’
qui fait peur. «C’est comparable à l’antisémitisme polonais; il n’y a presque plus de juifs en Pologne, mais l’antisémitisme s’y trouve toujours»,
ajoute le professeur italien. (apic/spp/ba)