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APIC – Interview

Les chrétiens coptes d’Egypte à

l’approche du Synode pour l’Afrique

L’Eglise copte: un exemple d’inculturation

Rencontre avec sa béatitude Stéphanos II Ghattas, patriarche d’Alexandrie

Jacques Berset, Agence APIC

Le 10 avril prochain, le pape Jean Paul II ouvrira à Rome l’assemblée spéciale du Synode pour l’Afrique. A cette occasion, les coptes d’Egypte feront entendre la voix de chrétiens installés au bord du Nil dès le 1er siècle de notre ère. Selon la tradition, évangélisée par saint Marc, cette

communauté chrétienne – majoritaire en Egypte lors de la conquête arabe en

640 – peut se targuer d’une expérience de 13 siècles de résistance à l’islamisation et de cohabitation plus ou moins bien réussie avec la société

arabo-musulmane. Grâce à son enracinement dans la culture égyptienne et son

engagement social au service de tous les citoyens sans discrimination.

«Géographiquement, nous sommes Africains, mais contrairement aux autres

Eglises autrefois florissantes d’Afrique du Nord, malgré toutes les persécutions, l’Eglise d’Egypte est restée presque intacte et compte aujourd’hui

sept à huit millions de fidèles», lance sa béatitude Stéphanos II Ghattas,

patriarche copte-catholique d’Alexandrie. Membre de la commission de préparation, il a participé pendant plus de quatre ans aux travaux préparatoires

du Synode pour l’Afrique. Mgr Ghattas nous reçoit dans son palais cairote

de la rue Ibn-Sandar, au Pont-de-Koubbeh, dont le portail est pour une fois

libéré de l’escouade de policiers en armes qui gardent habituellement les

édifices religieux chrétiens sur tout le territoire du pays. Terrorisme islamiste oblige.

APIC:Quel est l’apport particulier des coptes à ce Synode qui sera certainement dominé par les problèmes de l’Afrique noire ?

S.B.StéphanosIIGhattas:Nous apportons notre contribution au chapitre de

l’évangélisation, puisque le Synode africain porte en particulier sur la

nouvelle évangélisation à l’approche de l’an 2’000. Mais c’est avant tout

dans le domaine de l’inculturation que l’Egypte peut faire valoir son expérience: notre pays a été l’un de ceux qui ont été évangélisés dès le 1er

siècle, par saint Marc. Comme le dit la tradition, c’est en effet l’évangéliste Marc qui est le fondateur de notre Eglise. Depuis cette date, l’Egypte a reçu l’annonce de l’Evangile. Contrairement aux autres Eglises du Nord

de l’Afrique, comme par exemple celles d’Algérie ou de Tunisie, qui ont

complètement disparu après avoir été parmi les Eglises les plus florissantes, le christianisme, malgré toutes les persécutions, a pu se conserver

chez nous.

En fait les persécutions n’ont jamais cessé en Egypte dès le début du

christianisme, déjà sous l’empire romain. D’ailleurs, en plus du calendrier

musulman partant de l’hégire (ce calendrier indique actuellement l’an 1414)

et du calendrier ordinaire en usage en Egypte, les coptes ont leur propre

calendrier dont le point de départ coïncide avec le début du règne de Dioclétien. Il part de 284 après J.C., date du massacre des chrétiens. On

l’appelle le «calendrier des martyrs» et il porte aujourd’hui la date de

1710.

C’est la persécution anti-chrétienne la plus violente que l’Egypte ait

jamais connu et c’est pourquoi nous avons commencé à compter notre existence liturgique à partir de ce moment-là. Nous avons également connu la persécution byzantine, qui a séparé catholiques et orthodoxes au Ve siècle,

dans le cadre des querelles nées autour du Concile de Chalcédoine, puis la

persécution arabe et turque. Aujourd’hui encore, même si le gouvernement et

les gens apprécient le travail social et éducatif de l’Eglise copte, les

chrétiens sont toujours soumis à de nombreuses discriminations sociales et

professionnelles et aux interminables tracasseries administratives pour rénover ou construire leurs lieux de culte.

APIC:Comment l’Eglise copte a-t-elle pu se maintenir malgré toutes les

avanies qu’elle a subies ?

S.B.StéphanosIIGhattas:Il y a plusieurs raisons. La première, c’est la

langue: on n’a pas employé la langue latine, mais la langue copte, puis

l’arabe. Aujourd’hui, en plus de la langue liturgique copte, nous utilisons

l’arabe qui est devenue notre langue maternelle à tous. Nous sommes donc

inculturés dans ce pays.

Deuxièmement, nous avons la liturgie copte, qui nous est propre. Elle

n’a pas été importée du dehors comme la liturgie latine au Maghreb. Là-bas,

les chrétiens étaient presque étrangers à leur pays, tandis qu’ici, nous

sommes tout à fait autochtones, réellement Egyptiens avec les autres Egyptiens. D’ailleurs le mot copte n’est que le dérivé du mot grec Aiguptios,

signifiant égyptien, habitant la vallée du Nil. Les chrétiens sont les authentiques descendants des pharaons. Les autres habitants sont venus du dehors ou sont des convertis du christianisme à l’islam.

Troisièmement, l’Eglise d’Egypte a survécu grâce aux moines qui ont pu

se maintenir dans le pays et conserver leur vie monastique. Le berceau du

monachisme chrétien a été effectivement l’Egypte, notamment avec saint Antoine le Grand. Les moines se sont retirés dans le désert; ils ont fortifié

leurs monastères avec de hauts murs, pour éviter les bandes de pillards qui

les mettaient à sac.

D’autre part, l’Eglise copte est depuis longtemps appréciée par le gouvernement et les musulmans en général pour ses écoles et son engagement social, qui bénéficient à tous, sans discriminations. Les écoles catholiques

sont parmi les plus appréciées du pays, grâce à la qualité de l’éducation

et de l’enseignement. Elles ne sont pas destinées uniquement aux catholiques ou aux chrétiens en général; elles sont pour tous les citoyens. Dans

nos écoles – payantes ou gratuites -, nous avons ordinairement de 50 à 75%

d’élèves musulmans, et cela ne provoque aucune difficulté. Les musulmans y

suivent l’enseignement religieux islamique, donné par des professeurs musulmans.

Le témoignage que nous donnons dans les hôpitaux et les dispensaires est

aussi précieux. L’ont sait que dans un hôpital, lorsqu’il y a des religieuses, le travail est très soigné et ne se fait pas pour de l’argent. Dans le

domaine social, la Caritas, le Catholic Relief Service (CRS) et l’Association de la Haute-Egypte pour l’éducation et le développement profitent à

tous les citoyens, sans distinction de religion, et cela fait beaucoup pour

l’image de marque de l’Eglise.

Donner en exemple l’Eglise copte aux Eglises d’Afrique

Ainsi, au titre d’une inculturation qui a permis le maintien d’une chrétienté autochtone vivante dans un environnement souvent hostile, nous pouvons donner en exemple l’Eglise copte d’Egypte – et aussi l’Eglise d’Ethiopie – à nos frères des Eglises d’Afrique noire. Car nous pouvons nous demander si le christianisme qui a été prêché chez eux par les missionnaires

va pouvoir résister dans le futur.

Malgré toutes les difficultés auxquelles les chrétiens coptes ont dû et

doivent encore faire face en tant que minorité dans ce pays islamique, nous

avons pu traverser les siècles. Nous allons donc à Rome avec beaucoup de

confiance et nous attendons beaucoup de ce Synode pour le développement de

l’Eglise africaine. Comme le disait récemment le pape, le Noir africain devient un symbole d’espérance, parce que l’Eglise d’Afrique est une Eglise

jeune, dynamique, encore fervente. C’est là que se joue une part de l’avenir de l’Eglise. (apic/be)

Encadré

Quelques données sur le Patriarcat d’Alexandrie

D’après la tradition, l’origine du Patriarcat d’Alexandrie remonte à saint

Marc. L’évangéliste, représenté symboliquement par un lion ailé, aurait

prêché dans les années 50 ou 60 dans la métropole portuaire égyptienne fondée près de quatre siècles plus tôt par Alexandre le Grand. Ce Patriarcat

joua un rôle important dans l’Eglise universelle durant les cinq premiers

siècles de l’ère chrétienne, grâce à ses écrivains, exégètes et philosophes

comme Pantène, Clément d’Alexandrie, Origène, Denys le Grand, Héraklas, Didyme… Grâce aussi à ses grands patriarches, confesseurs et docteurs de

l’Eglise: Alexandre, Athanase, Théophile et Cyrille.

C’est également dans cette Eglise que naquit au IVe siècle, dans le désert, le monachisme chrétien, avec les grands fondateurs que sont saint Antoine le grand, saint Pacôme, saint Macaire. Le modèle de la vie monastique

fut popularisé en Europe par saint Athanase, patriarche d’Alexandrie, qui

fit un voyage à Rome. Alexandrie, second «siège» après Rome en raison du

rôle important joué dans les cinq premiers siècles de l’ère chrétienne,

s’imposait alors comme l’un des pôles de la pensée chrétienne.

Le Patriarcat d’Alexandrie fut à la pointe du combat contre l’hérésie du

patriarche de Constantinople Nestorius (le nestorianisme, qui professait

l’existence dans le Christ de deux personnes, l’une divine, l’autre humaine, fut condamné par le Concile d’Ephèse en 431). Puis il se divisa à la

suite du Concile oecuménique de Chalcédoine en 451 à propos de la doctrine

du monophysisme (l’unique personne du Christ a une unique nature et non

deux) rejetée par une majorité soutenue par l’empereur de Byzance.

Les Egyptiens, quant à eux, suivirent dans leur majorité leur patriarche

Dioscore, déposé, et le siège d’Alexandrie resta un temps vacant. Ils se

donnèrent le nom d’»orthodoxes», tandis que les minoritaires restés attachés à Rome furent nommés «melkites», partisans de la position de l’empereur, qui protégeait le Concile de Chalcédoine. Ils prirent plus tard le

nom de «catholiques». (apic/be)

Encadré

Des siècles d’effort pour réunir les chrétiens d’Egypte

L’Eglise copte orthodoxe, qui rassemble la très grande majorité des chrétiens coptes d’Egypte, compterait, selon des sources gouvernementales qui

cherchent à minimiser son importance, quelque 3,5 millions de fidèles.

L’Eglise d’Egypte affirme de son côté que ses ouailles sont en réalité

trois fois plus nombreuses. Forte d’une septantaine d’évêques et de plus de

quarante diocèses, elle a à sa tête, selon le titre donné dès le IIIe siècle, un pape, patriarche d’Alexandrie. Son diocèse comprend les deux villes

d’Alexandrie et du Caire. Le titulaire en est depuis 1971 Sa Sainteté le

pape Chénouda III, qui porte aussi le titre de 117e successeur de saint

Marc.

Durant des siècles, le Saint-Siège fit de grands efforts pour l’union et

il y eut une volumineuse correspondance avec les patriarches orthodoxes.

Une première tentative d’union eut lieu au Concile de Florence en 1443.

L’union fut signée le 4 février de cette année-là, mais la distance,

l’ignorance et les persécutions en firent échouer l’exécution. Une seconde

tentative fut faite au Concile de Memphis (Le Caire), en 1582, en enfin une

troisième en 1814, mais sans jamais aboutir à l’union souhaitée.

Des minorités catholiques

Le Saint-Siège ne négligea pas la petite minorité catholique et les pères franciscains, établis en Egypte au XVIIe siècle, s’en occupèrent. En

1741, Benoît XIV nomma Athanase, évêque copte de Jérusalem, vicaire apostolique pour les coptes catholiques d’Egypte. Il y eut depuis cette date des

vicaires apostoliques, avant que le pape Léon XIII, en 1895, ne rétablisse

le patriarcat copte catholique d’Alexandrie (érigé en 1824). Aujourd’hui,

le patriarcat catholique compte près de 200’000 fidèles, répartis en six

diocèses (diocèse patriarcal d’Alexandrie et diocèses de Mynia, Assiout,

Sohag, Louxor et Ismaïlia).

Ces six diocèses sont desservis par quelque 150 prêtres diocésains et

une trentaine de franciscains et autres religieux. Religieux lazariste, ancien évêque de Louxor, né en 1920 près de Tahta, dans le gouvernorat de Sohag, en Haute-Egypte, Mgr Andraos Ghattas a été élu patriarche d’Alexandrie

par le Synode patriarcal en 1986. Il prit le nom de Stéphanos II, par affection pour son prédécesseur, Sa Béatitude le cardinal Stéphanos Ier Sidarouss.

A côté des coptes catholiques, on trouve également en Egypte une communauté grecque melkite catholique (quelque 7’500 fidèles), maronite (environ

6’000), syrienne catholique (2’000), arménienne catholique (2’000), chaldéenne catholique (500) et latine (8’000). On compte une cinquantaine de

congrégations religieuses, dont une majorité d’origine latine. La communauté copte évangélique, créée au XIXe siècle par des missionnaires américains, affirme avoir plusieurs centaines de milliers de fidèles. (apic/be)

Les divers reportages que l’agence APIC publiera ces prochains jours sur

l’Egypte et la chrétienté copte sont illustrés par les photos de l’agence

CIRIC, Chemin des Clochetons 8, Case postale 50, CH-1000 Lausanne, tél.

021/625 28 29, fax. – 625 28 35)

31 mars 1994 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 8  min.
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