Birmanie: le pape doit rencontrer l'armée
Le Saint-Siège a ajouté deux rendez-vous au programme du pape François lors de son voyage en Birmanie et au Bangladesh, du 27 novembre au 2 décembre. Il s’agit d’une audience privée avec le chef des armées birmanes et d’une rencontre avec des Rohingyas réfugiés au Bangladesh. Décryptage avec le Père Bernardo Cervellera, directeur de l’agence Asianews.
A la veille du voyage du pape en Birmanie, le Père Bernardo Cervellera, directeur d’Asianews, agence officielle de l’Institut pontifical pour les Missions étrangères, décrypte la portée de ces ajouts sur la feuille de route du pape.
Comment interprétez-vous ces changements de dernière minute dans le programme du pape?
On ne pouvait pas organiser un voyage pontifical en Birmanie en occultant la présence de l’armée. Dans ce pays, une bonne partie de l’économie et de la sécurité sont encore entre ses mains. Le pape rencontrera donc Aung San Suu Kyi, mais également le chef des armées, Min Aung Hlaing. C’est très important pour l’avenir du pays, afin de parvenir un jour à une réconciliation entre l’armée et le gouvernement civil. C’est l’armée qui a provoqué la crise des Rohingyas, mais il est indispensable de l’intégrer dans le renouveau du pays que promeut Aung San Suu Kyi, ministre des Affaires étrangères. Et l’armée ne semble pas contre…
De l’autre côté, le pape François rencontrera des Rohingyas, mais au Bangladesh. L’Eglise tient-elle une position médiane dans la crise actuelle?
Ce n’est pas une position de neutralité ! Au contraire, le Saint-Siège est très engagé, avec la conviction que la possibilité d’un changement ne peut venir que des deux parties. Rencontrer les Rohingyas en Birmanie aurait été considéré comme une offense, y compris pour le peuple birman. La population est en effet très remontée car des témoignages récents font état de violences commises par des Rohingyas musulmans contre les hindous et les bouddhistes, dans l’Etat d’Arakan en Birmanie.
Rencontrer les Rohingyas en Birmanie aurait été considéré comme une offense
Quel est l’enjeu principal de ce voyage selon vous?
L’Eglise, tant en Birmanie qu’au Bangladesh, constitue une petite minorité. Le pape vient donc soutenir son témoignage devant les majorités bouddhiste [en Birmanie] et musulmane [au Bangladesh]. Non pas pour les défier, mais pour se mettre au service de la société toute entière. Ces deux pays ont besoin d’un projet de développement qui permette le partage des richesses. Dans les deux cas, il existe d’un côté des familles et des généraux très riches, et une pauvreté abyssale de l’autre. Il faudra notamment être attentif à la rencontre du pape François avec les jeunes dans ces deux pays, car ils constituent l’avenir. Le pontife les appellera certainement à construire la société de demain.
On parle de nombreuses conversions au christianisme dans ces pays…
Selon nos informations, il s’agit essentiellement de conversions venant de l’animisme. Parmi les facteurs favorables, en Birmanie, il y a le fait que le bouddhisme ne soit plus religion d’Etat depuis deux ans. Par ailleurs, les animistes sont une minorité pauvre et oubliée. Elle trouve dans les œuvres chrétiennes de charité – écoles, hôpitaux, assistance – une voie de survie. L’Eglise est donc en expansion, même si elle reste elle aussi une minorité.
Derrière ces deux pays, il y a deux géants : l’Inde et la Chine. Le pape leur adressera-t-il un message sous-jacent?
Le Bangladesh s’est séparé de l’Inde en 1948. Bien que la culture bengalie leur soit commune, la différence réside dans la majorité musulmane de ce pays. Mais le message du pape sera, je pense, aussi adressé à l’Inde. A savoir qu’une majorité religieuse peut coexister pacifiquement avec des minorités. La tentation fondamentaliste existe en effet également au sein de la majorité hindoue en Inde. La Birmanie, quant à elle, devient en effet progressivement un Etat laïc qui garantit la liberté de religion et les droits des chrétiens dans la société. Là encore, il s’agit d’un message adressé à la Chine au sujet de la liberté religieuse. (cath.ch/imedia/ap)