Homélie TV du 1er août 2018 (Lc 11, 31-36)
Monseigneur Valerio Lazzeri, évêque de Lugano – Col du Gothard
Traduction
Chers amis,
Nous n’avons pas fait de recherche particulière pour trouver des textes bibliques appropriés à notre rencontre désormais traditionnelle sur le Gothard le jour de la Fête Nationale. Ceux que nous avons entendus sont les passages proposés aujourd’hui par la liturgie ambrosienne (Milan), en usage dans cette partie de notre territoire diocésain. Cependant, bien qu’elles n’aient pas été choisies spécifiquement, ces lectures nous concernent de près.
Une histoire nationale
Elles nous parlent de notre effort réel, même s’il ne nous est pas toujours conscient. L’auteur du second Livre des Chroniques propose en effet de « raconter leur histoire nationale » à des gens qui, au moins par quelques aspects nous ressemblent : des gens effrayés, prêts à se mettre sur la défensive face à toute sollicitation extérieure, mais aussi collectivement peu sûrs d’eux-mêmes, peu sûrs dans le fond de la valeur de leurs institutions. Le Chroniqueur écrit à l’époque de la reconstruction du pays après l’exil et s’adresse à un peuple dont on peut deviner l’état d’esprit: après tant d’années d’humiliation, il a pu repartir, reconstruire le temple, recommencer à vivre comme juif sur sa propre terre. Mais c’est un roi étranger et païen, Cyrus, qui leur a offert cette possibilité. Une chance, bien sûr, mais comment en être heureux et satisfait ?
Les murs du temple ont été remis sur pied. Les bâtiments importants refont belle figure. On vit confortablement chez soi. Cependant, l’entreprise la plus difficile est de donner une nouvelle impulsion et une fierté aux coeurs qui ont oublié les vraies raisons pour lesquelles ils devraient se réjouir et rendre grâce. D’où l’accent mis sur la visite de Salomon par la reine de Saba, reine du Sud, dont Jésus parle aussi dans l’Évangile. Il ne s’agit pas de nourrir une fierté nationale stupide, mais de guérir une blessure, d’effacer les cicatrices d’une longue culture de frustration.
La sagesse de Salomon vient de Dieu
Bien sûr, tout le monde sait que tout n’était pas parfait dans le Royaume de Salomon ! Personne n’ignore que c’est précisément à ses vieilles faiblesses que beaucoup de dommages ultérieurs peuvent être attribués à l’histoire d’Israël, à commencer par la division du Royaume. Mais cela ne doit pas effacer dans la conscience du peuple la seule vraie richesse qui lui appartient : sa sagesse ! Ce n’est pas ce qu’Israël a réussi à conquérir avec sa propre force, mais ce que Dieu a suscité dans le cœur du roi par son amour gratuit et prévenant, ainsi que le reconnaît la reine étrangère : « Béni soit le Seigneur ton Dieu, qui a placé sa bienveillance en toi pour te placer sur son trône comme roi pour l’Éternel ton Dieu. Parce que ton Dieu aime Israël et a l’intention de le faire subsister pour toujours, il t’a placé sur eux comme roi pour exercer la loi et la justice « .
Dieu source de tout bien
Par ce récit, nous recevons un enseignement très important, même pour nous aujourd’hui, ici en Suisse: nous pouvons rester solides, nous pouvons avoir confiance en l’avenir, nous pouvons surmonter nos craintes, mais pas en nous accrochant à nos propres moyens et nos propres capacités. Nous trouvons notre solidité en cultivant le souvenir reconnaissant de l’avoir reçue, en premier lieu de ceux qui sont venus avant nous, bien sûr, mais ultimement du Dieu vivant, première et unique Source de tout bien.
Nationalisme, protectionnisme
Pensons un peu à notre temps! Nous vivons à une époque où renaît, non seulement chez nous, mais partout en Europe et dans le monde, le besoin d’affirmation de soi, de sa propre culture, de ce qu’on appelle son identité. Le nationalisme, le protectionnisme et le «souverainisme» sont exacerbés presque partout. Les énergies les meilleures sont investies dans la construction de murs qui ont la prétention de défendre ce que l’on croit être son propre monde, sa vision des choses, sa propre culture et sa façon de vivre et d’être sur terre.
Très souvent on discute sur la défense de la patrie en se raidissant ou en se repliant sur soi-même. Nous nous faisons des illusions sur le fait que des barrières politiques et économiques de plus en plus impénétrables pourraient éviter la confrontation difficile mais indispensable avec l’autre, un autre que nous avons tendance à décrire comme une menace pour notre propre bien-être et notre stabilité. La vraie force de Salomon ne tient pas aux biens extérieurs exposés devant la reine de Saba, mais au don de grâce qui les précède et dont ils ne sont que l’expression.
Briller « pour que ceux qui entrent voient la lumière »!
En fait la reine de Saba – l’Evangile nous le rappelle – n’a pas seulement quelque chose d’unique à apprendre de Salomon, mais aussi, tout comme une autre catégorie d’étrangers, les habitants de Ninive, quelque chose à enseigner à ceux qui veulent être disciples de Jésus. Il nous est dit avec une vigueur particulière : « Ils se dresseront contre les hommes de cette génération et les condamneront». Pour quelle raison? Parce que chaque génération humaine tend à ne pas reconnaître ceci : aucun pays n’est en lui-même la lumière, capable en soi de la faire briller sur le monde, mais chaque pays n’est qu’une lampe, allumée et posée sur le candélabre par un autre. Ne pas s’illuminer soi-même, mais briller « pour que ceux qui entrent voient la lumière »!
Chers amis, est-ce la direction dans laquelle nous allons? Seraient-ce les réflexions qui nous poussent à nous réjouir, à faire la fête ensemble, en ce Premier Août 2018? Ce qui nous rassemble dans ce lieu plein de souvenirs et d’inspiration, est-ce le mouvement de joie d’un corps éclairé par un oeil et un regard de simplicité ? Ou est-ce un réflexe d’autoprotection, la simple réaction négative d’un corps obscurci par un œil mauvais, étroit et mesquin, incapable de regarder vers un horizon sans visions ni perspectives d’avenir?
L’Evangile nous disait : «Examine si la lumière qui est en toi n’est pas ténèbres». C’est un avertissement qui ne peut pas nous laisser indifférent! Cela nous concerne chaque fois que nous tombons dans la tentation de nous enfermer en nous-mêmes; chaque fois que nous nous donnons l’excuse d’avoir tout ce qu’il nous faut, avant de travailler pour le bien des autres. En réalité, aucun membre d’un organisme ne peut se sentir bien quand il ne pense qu’à lui-même.
Avoir le souci des autres
Le souci de chacun doit être toujours que tout le corps auquel il appartient – physique, social, politique, économique et institutionnel – soit sans compromis avec l’obscurité, et ne casse ni sa logique ni sa dynamique. Ce souci des autres ne se réalise pas lorsqu’un membre pense à lui seul apporter une purification pour tous en fonction de ses propres critères et même au détriment de l’autre. Ce souci des autres implique que nous nous rendions compte ensemble que le rayonnement n’est possible que lorsque nous ne nous isolons pas, nous ne nous séparons pas, nous ne perdons pas notre intérêt pour ce qui se passe à l’extérieur, comme pour échapper au désastre général.
Nous sommes ici pour célébrer l’Eucharistie, pour confesser notre foi, pour renouveler l’adhésion du cœur à ce que nous avons reçu, parce que nous savons que ni nos idéologies ni nos systèmes de valeurs abstraites ne suffisent à chasser les craintes de nos cœurs. Nous sommes fatigués d’entendre ceux qui nous font la morale, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre! Ce qui nous sauve ne sera qu’un sursaut du cœur.
Nos lectures bibliques nous disent : «Voici quelqu’un de plus grand que Salomon, plus grand que Jonas! ». Il y donc une Présence, pour laquelle il vaut la peine de se déplacer de loin pour la rencontrer. Un cœur miséricordieux, capable dans toutes les situations de relancer l’histoire, malgré toutes les annonces d’une destruction imminente et inévitable.
Le Gothard : symbole d’une communication entre différents peuples
C’est le mystère chrétien pour lequel nous nous sommes réunis pour célébrer dans ce lieu particulier. Dans le passé, le Gothard a pu représenter le réduit national, dans lequel se réfugier pour se défendre de l’extérieur. Aujourd’hui cependant, le Gothard est le symbole de plus en plus important d’une communication entre différents peuples, sans lesquels nous ne pourrions exister, ni tout simplement vivre.
Rappelez-vous les mots de l’Evangile! En venant ici nous ne sommes pas « dans un endroit caché ou sous un boisseau, mais sur un chandelier ». Certainement pas dans une position de privilège à maintenir, ou de supériorité dont se vanter, mais de service et de responsabilité. Que le Seigneur nous aide à en prendre conscience, à en tirer les conséquences pratiques, à ne pas blinder définitivement toutes nos voies d’accès, afin que «quiconque entre puisse voir la lumière».
Liturgie selon le rite ambrosien, soit lectures pour le mercredi de la 10e semaine après la Pentecôte :
2e Livre des Chroniques, 8,17-9,12; Luc 11, 31-36
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