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Paris: Le jésuite Paul Valadier commente l’»affaire Gaillot» (200195)

«L’Eglise ne sait pas gérer les conflits»

Paris, 20janvier(APIC) «L’Eglise ne sait pas gérer les conflits», estime

le jésuite français Paul Valadier, réagissant à la récente révocation par

le Vatican de Mgr Jacques Gaillot, l’évêque d’Evreux. Professeur de philosophie morale et politique au Centre Sèvres à Paris et à l’Université catholique de Lyon, le Père Valadier est connu pour sa volonté d’ouvrir davantage le catholicisme à la société moderne.

Le Père Valadier, ancien rédacteur en chef de la revue jésuite «Etudes»,

commente pour l’APIC ce qu’il convient désormais d’appeler «l’affaire Gaillot».

APIC:La révocation de Mgr Gaillot ne cache-t-elle pas des dessous politiques?

PV:Il est difficile d’affirmer cela en bloc. Ce qui est certain, c’est que

le ministre de l’intérieur, Charles Pasqua, n’a pas apprécié le livre «méchant» que Jacques Gaillot a écrit sur lui (»Coup de gueule contre l’exlusion», ndlr). Le même Charles Pasqua a été reçu il y a peu à la curie romaine et a été entendu.

APIC:Cette décision a-t-elle un lien avec l’échéance toute proche des

élections présidentielles?

PV:Non, je n’irais pas jusque-là, c’est aller trop vite en besogne. Par

contre, pour revenir à votre première question, il est sûr que le Vatican a

l’oreille des conservateurs. Combien a-t-il mis de temps pour congédier Mgr

Lefebvre, pourtant très acerbe, voire insultant à l’égard du pape? Infiniment plus que pour Jacques Gaillot, alors que celui-ci est sans reproche

sur le plan doctrinal.

APIC:Mais plus profondément, qu’est-ce qui a amené la destitution de

l’évêque d’Evreux?

PV:Il y a dans le fonctionnement actuel de l’Eglise catholique romaine,

dans ce qu’elle a de bureaucratique, une logique de l’exclusion. C’est comme si elle était favorable, dans ses ressorts intimes, aux catastrophes qui

poussent au rejet certains de ses membres: c’est une institution qui ne

sait pas gérer les conflits. Il est totalement absurde de sa part d’avoir

eu ce type de réflexe: «Il parle trop, on l’élimine, il se taira». C’est

tout le contraire qui se produit.

La conception de la collégialité épiscopale est unanimiste, au lieu de

permettre une pluralité, des divergences de voix. Ou elle chemine dans ce

sens, ou elle parlera de plus en plus la langue de bois. Pour être juste,

je dois dire que ces derniers jours nous avons vu de belles réactions de

protestations de la part de certains évêques français.

APIC:Quel rôle a joué le pape dans toute cette affaire?

PV:La curie romaine est, je le crois profondément, coupée de la réalité.

Toute dévouée au pape, elle le protège, filtre les informations qui lui

parviennent. Que saura-t-il de cette histoire? Sans doute pas grand’chose:

qu’il y aura eu un peu de remous en France. On aura privilégié pour lui les

réactions de soulagement des conservatuers, en amont et en aval de la decision de révocation de Jacques Gaillot.

Par aillleurs, il ne faut pas négliger que Jean-Paul II, en tant que Polonais, n’a pas, personnellement, de culture démocratique, je veux dire

qu’il ne voit pleinement l’importance de la liberté de la parole dans la

démocratie. Car ce que dit Jacques Gaillot n’est pas méchant. Pour l’essentiel, son message c’est que l’Evangile est du côté des pauvres. Il ne fait

pas de doute, par ailleurs, que le pape, au delà de ses dénégations tant du

capitalisme ultra-libéral que du communisme, est conservateur. Pour preuve

sa dénonciation réitérée de la sécularisation de la société, qui ne trompe

pas. J’estime quant à moi que la laïcité de la société est un salut pour

l’Eglise car elle l’empêche de tomber dans le totalitarisme.

APIC:Ces dysfonctionnements proviennent-ils de la structure même de

l’Eglise romaine, très hiérarchisée, centralisatrice?

PV:Il est vrai en effet que la centralisation romaine est excessive depuis

le Moyen-Age. La collégialité est pourtant une structure propre à l’Eglise

catholique. En ce sens, le pape est, avant tout, l’évêque de Rome. Ce qui

lui a donné, par extension, des prérogatives. Mais de là à évoquer le «maître» des évêques français, comme l’a fait l’écrivain André Frossard, c’est

tout à fait excessif et maladroit. Cela montre autant une approche peu

nuancée de l’Eglise, de son histoire, qu’une «papolâtrie» douteuse.

Rôle éminemment positif de Jean Paul II pour le dialogue interreligieux

Cette centralisation est de plus en plus ingérable depuis Rome au fur et

à mesure que l’Eglise s’étend à d’autres continents, comme l’Afrique. Plus

l’Eglise s’inculturera, moins ce sera possible. Par contre il faut reconnaître à Jean Paul II que son rôle dans toute l’impulsion donnée au dialogue interreligieux est éminemment positif et courageux. Il a senti là qu’il

y avait une nécessité, une ouverture indispensable. (Propos recueillis par

Jean-Claude Noyé/apic/eb)

20 janvier 1995 | 00:00
par webmaster@kath.ch
Temps de lecture : env. 3  min.
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